CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


 


 

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Clint EASTWOOD
liste auteurs

Breezy USA VO  1973 107' ; R. C. Eastwood ; Sc. Jo Heims ; Ph. Frank Stanley ; M. Michel Legrand ; Int. William Holden (Frank Hamon), Kay Lenz (Breezy), Marj Dusay (Betty Tobin), Roger Carmel (Bob Henderson), Joan Hotchkis (Paula Harmon).

   Épris d'une mineure hippie, un homme mûr tenant à jouir seul de son train de vie confortable de directeur d'agence immobilière après un divorce et quelques liaisons, doit affronter la désapprobation publique et se résoudre à voir son existence bouleversée.

   Ours et poupée ou roi et bergère, quoi qu'il en soit il s'agit de jouer d'un mythe et rien de plus, bien qu'il s'accorde parfaitement avec la conception eastwoodienne de la liberté. En toile de fond, l'affrontement des générations et des classes entre hippies et champions du rêve américain, lequel n'est pas tout à fait incompatible avec celui de l'auteur. En apparence, pas de frontière : un riche peut aimer une ado de la génération "not washed", laquelle peut s'accommoder du cynisme de l'homme d'affaires. En réalité la souillon s'émerveille devant la douche de son bienfaiteur, supplié de la laisser s'y décrasser, allant jusqu'à briquer la salle de bains après avoir obtenu satisfaction. Breezy, de plus, ne se drogue pas comme sa copine dont l'état lamentable s'affiche à dessein. Elle ne couche pas non plus avec l'automobiliste qui la prend en stop : hippie certes, mais propre quand-même.
   On retrouve la recette bien connue du blanchiment racialiste : "Tu es noir, mais toi ce n'est pas pareil…" De l'autre côté, tout est fait pour dévoiler le preux chevalier derrière le masque de cynisme de Frank. Sportif, il sait parler aux gosses, conseille des inconnues sur leur choix vestimentaire, se montre fair-play ou sensible avec les femmes de son passé, sauve un chien écrasé bref, passe avec succès tous les tests de bonté.
   Les contradictions sociales sont donc totalement gommées au bénéfice d'une conception individualiste. Il s'agit essentiellement de valoriser le courage d'un noble citoyen s'affichant avec une mineure qu'il a conquise au travers d'un échange d'une spirituelle vivacité.
   Excellent dialogue en effet, agrémenté d'une maîtrise du panoramique et pano-travelling pseudo réalistes pour enfoncer des portes ouvertes : ce qui est à découvrir ne débordant jamais le même cercle. Le risque se limite au son direct en extérieur (gratuit mais prometteur) et aux effets de zoom, impressionnants lorsque les vagues du Pacifique semblent sur le point d'engloutir les amants sur la grève.
   Ainsi va ce destin, qu'il est constamment prévisible. On a beau saisir de grands instants d'enthousiasme juvénile face à la stupeur quinquagénaire. Au demeurant une agréable distraction aussi bien filmée qu'accompagnée "en fosse" par la pianistique concertante de bon
ton d'un Michel Legrand dûment hollywoodisé. 9/02/02 Retour titres Sommaire

Honky Tonk Man USA VO 1982 122' ; R. C. Eastwood ; Sc. Clancy Carlile d'après son roman ; Ph. Bruce Surtees ; M. Steve Dorff ; Pr. Clint Eastwood/Malpaso ; Int. Clint Eastwood (Rod Stovall : Galerie des Bobines), Kyle Eastwood (Whit), John McIntire, Verna Bloom.

   Dans les années trente, Rod, chanteur-compositeur de country music, alcoolique, voleur de poules et tuberculeux doit auditionner à Nashville à la belle saison. En rutilante décapotable borgne il charge au passage, avec son neveu "Hoss" (Whit) qui sera le chauffeur sans permis du périple à travers le Tennessee, le grand-père plein de souvenirs de la Conquête de l'Ouest. Le voyage accumule les péripéties. Rod est arrêté à cause d'un vol de poules mais, à défaut de preuves, emprisonné pour consommation de whisky de contrebande. Whit le délivre en arrachant les barreaux de la prison à la force de la voiture. À Memphis, dans un cabaret réservé aux Noirs, Whit intoxiqué par la fumée des stupéfiants s'abat sur l'opulente poitrine de la chanteuse de blues qu'accompagne Rod. Une autre fois, Rod ayant conduit au bordel son neveu, pianote durant le dépucelage un boogie-woogie endiablé qui passe "en fosse" à leur départ.
   L'argent provient d'une dette recouvrée chez un mauvais payeur qui entendait s'acquitter en cédant sa servante mineure Marlène. Rod se fait rembourser arme au poing, mais éprise de lui la fille s'est glissée dans la malle de la voiture. Elle est découverte par un "Highway guard" qui les arrête à cause du phare borgne et du chauffeur, mais se laisse soudoyer. Ils tombent en panne dans un patelin où les gens ont un accent impossible. Des hennissements hors champ tiennent lieu de gentille moquerie. Rod se débarrasse de Marlène qui se prétend enceinte de lui. Le grand-père les quitte, puis Rod prend le bus pour Nashville. Whit chargé de la voiture retrouve à Nashville son oncle, refusé à l'audition à cause d'une grave crise de toux, mais par ailleurs engagé pour faire un disque de "Honky Tonk Man", dont les paroles sont en partie de Whit. L'enregistrement terminé
in extremis, Rod meurt assisté de Whit et de Marlène qui, repentante, les a rejoints. À l'enterrement les deux ados seuls accompagnés à la guitare entonnent un chant d'adieu auquel se joint le fossoyeur noir.

   L'étui de l'instrument couché sur le gazon du cimetière s'ouvre comme un cercueil. Whit a jeté dans la fosse les clés de la voiture expirante, enveloppée de vapeur. Le fossoyeur recouvre respectueusement de terre le cercueil. Ils se mettent en route tous deux pour la Californie où Whit muni de la guitare doit rejoindre ses parents. Un couple dans un cabriolet garé écoute le dernier succès : "Honky Tonk Man".
   Un fascinant univers marginal et authentique se déploie à travers ce road movie de la Dépression, grâce à la liberté d'un montage plus intuitif que narratif et où, principalement d'écran, la musique n'intervient hors diégèse que discrètement ! 7/01/01
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Le Retour de l'inspecteur Harry (Sudden Impact) USA VO  1983 117'
Commentaire

Impitoyable (Unforgiven) USA 1992 125' ; R. C. Eastwood ; Sc. David Webb Peoples ; Ph. Jack Green : M. Lennie Nihaus ; Int. Clint Eastwood (Bill Munny), Gene Hackman (Little Bill Dagget), Morgan Freeman.

   En 1880 au Kansas, Bill Munny, ancien tueur notoire ramené dans le droit chemin par sa défunte épouse, mène avec ses deux enfants une rude vie de fermier. Il est sollicité par un jeune tueur admiratif pour un contrat avec les pensionnaires d'un bordel : abattre contre une prime de mille dollars deux cow-boys ayant mutilé et défiguré une consœur. Le héros n'accepte pas sans la participation de Ned, son ancien équipier noir. Le contrat est exécuté mais Ned battu à mort est exposé dans son cercueil avec une pancarte infamante par le Shérif Little Bill Dagget, une brute sans pitié qui terrorise le comté. Bill, qui fut déjà humilié et quasiment tué par le même, surgit dans le saloon-bordel où, sous la conduite du shérif, les hommes s'apprêtent à le prendre en chasse. Après avoir descendu l'équipe de Little Bill, il part tranquillement sur son cheval en menaçant de terribles représailles le premier des survivants qui oserait le viser.

   Certes, le thème de la vengeance dans un monde sans loi est éculé, et Clint Easwood (Galerie des Bobines) sait bien faire jouer les ficelles du sentiment de vengeance en raison directe de l'humiliation. Mais il lui imprime une vigueur nouvelle. Le manichéisme traditionnel cède la place à une violence généralisée.
   Il n'y a donc d'issue que pour le plus violent, celui qui sait se dépouiller totalement de toute sensibilité. Le héros a ceci de particulier, qu'après totale rémission, il s'abandonne à la violence avec une rage redoublée par le réveil, sous l'effet du besoin et du ressentiment, du démon initial. Le mal chez lui reste toujours mêlé de bien. De même, le décor d'une grande beauté sauvage soulignée par des effets de lumière, exacerbe par antithèse le mal rongeur de cette humanité.
   Au final, le tintement des éperons de Munny rythme implacablement le massacre. Rejetant déjà le bain de sang dans le passé, il s'éloigne au trot derrière un rideau de pluie diluvienne. Il terminera dans les affaires et, décemment, élèvera ses enfants, grâce au magot.
   Moralité : la fin justifie les moyens. C'est la bonne vieille odeur de poudre de l'Ouest rural revue à travers la guerre technologique généralisée de notre mondialisation. C'est à ce titre surtout qu'
Unforgiven mérite une certaine estime, comme on dit. 1/04/01 Retour titres Sommaire

Mémoires de nos pères (Flags of our Fathers) USA VO 2006 125' ; R. C. Eastwood ; Sc. William Broyles Jr. et Paul Haggis, d'après James Bradley ; Ph. Tom Stern ; Mont. Joel Cox ; M. C. Eastwood ; Pr. Warner Bros Pictures/C. Eastwood, Steven Spielberg, Robert Lorenz ; Int. Ryan Philippe (John "Doc" Bradley), Adam Beach (Ira Hayes), René Gagnon (Jesse Bradford), Jamie Bell (Iggy), Paul Walker (Hank Hansen), Benjamin Walker (Harlon Blok), Barry Pepper (sergent Mike Strank), Neal McDonough (Capitaine Severance), Tom McCarthy (James Bradley).

   En 1945, la victoire de la bataille décisive d'Iwo Jima se résume pour le public américain à la photo de cinq Marines et d'un infirmier de la Navy plantant la bannière étoilée au sommet du mont Suribachi. Décrétés héros nationaux, les trois survivants, Jack Bradley, René Gagnon et Ira Hayes, un Indien Pima, sont rapatriés et font la tournée du pays pour, par la vente de bons du Trésors, lever des fonds afin de parachever cette guerre. Malgré les doutes émis par la presse, ils assurent aux parents de ceux qui ne sont pas revenus qu'ils étaient bien sur la photo.
   René Gagnon termine sa vie comme gardien d'immeuble et Ira meurt de froid dans la misère. Seul Jack, l'infirmier, a réussi dans les pompes funèbres. À la fin de sa vie, sur son lit de mort, il se remémore les horreurs traversées et tente de reconstituer la vérité, assisté de son fils James, le narrateur incarnant l'auteur du roman qui inspire le film. Qui était vraiment sur la photo, laquelle est en fait une reconstitution sur place, l'authentique drapeau ayant été récupéré comme relique par les autorités ?

   Dénoncer la réécriture de l'histoire comme régulation imaginaire du public, tel est le but. Mais beaucoup plus ambitieux, le film entend dresser la fresque démesurée sinon grandiose de la guerre. Il dispose pour ce faire d'un budget de quatre-vingt millions de dollars. Bien que plus de moitié moindre que pour Titanic, c'est bien lourd pour un démontage idéologique, bien encombrant pour s'y retrouver dans les défilés de la falsification des consciences, par trop hypothéqué par des visées financières pour dénoncer une entreprise conduite selon des intérêts contraires à ceux de l'histoire et des esprits qui s'en nourrissent !
   On se croirait en effet dans le film de quelqu'un qui ne figure sans doute pas par hasard dans la rubrique "production" : c'est le soldat Ryan rempilant dans le Pacifique. Mêmes corps déchiquetés que sur la plage du D Day, même genre de panoplie d'acteurs bien photogéniques... Impressionnant matos militaire... Il s'agit, du reste, davantage d'apologue que de vision inédite questionnante. Démonstration qui plus est confuse, non seulement de ce qu'elle s'encombre d'un tel coûteux spectaculaire, mais que s'y greffent d'autres causes plus ou moins claires, telle que celle du racisme anti-indien.
   Réalisation par conséquent désespérément académique et vaine. Il y avait matière à creuser sur place pourtant sur la base de la fameuse photo. Le ci-devant cynisme eastwoodien se fait du coup désirer. Il eût été plus stimulant que le sérieux larmoyant de cette superproduction. Voir aussi l'excellent article de Michaël Delavaud de la revue Eclipses. 4/10/08
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Blake EDWARDS
liste auteurs

Opération jupons (Operation Petticoat) USA VO 1959 124' ; R. B. Edwards ; Sc. Maurice Richlin, Stanley Shapiro, d'après Paul King et Joseph Stone ; Ph. Russell Harlan, Clifford Stine ; Pr. Robert Arthur ; Int. Cary Grant (commodore Matt Sherman : Galerie des Bobines), Tony Curtis (lieutenant Nick Holden), Joan O'Brien (Dolores Crandall), Din Merrill (Barbara Duran).

   Des auxiliaires féminines fuyant l'invasion japonaise sont évacuées dans un sous-marin de l'US Navy qui, repeint en rose pour cause de pénurie de peinture, est pris en chasse par ses compatriotes, lesquels finalement le reconnaissent comme des leurs grâce à un lâcher de sous-vêtements féminins par lance-torpille.

   L'argument censément émoustillant est aussi prétexte à faussement remettre en cause le machisme militaire. Aucune imagination. On a voulu créer des situations cocasses sans trop se préoccuper du tissu interstitiel. Par exemple il fallait des bébés, on embarque donc des femmes indigènes en danger, dont plusieurs accouchent dans le sous-marin (tout le monde sait que ces gens-là se reproduisent comme des lapins !) 28/04/01 Retour titres Sommaire

Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany's) USA VO 1961 110' ; R. B. Edwards ; Sc. George Axelrod, d'après Truman Capote ; Ph. Franz Planer ; Dir. Art. Hal Pereira, Roland Anderson ; Mont. Howard Smith ; M. Henry Mancini ; Pr. Martin Jurrow/Richard Shepherd ; Int. Audrey Hepburn, (Lullaby "Holly" Golightiy), Georges Peppard (Paul Varjak), Patricia Neal (Edith Parenson), Mickey Rooney (Mr Yunioshi), José Luis de Villalonga (José de Silva Perreira), Alan Reed (Sally Tomato).

   Jeune femme fantasque aimant le luxe, Holly a quitté un mari texan pour s'installer à New York où elle organise des soirées. Mais pour arrondir ses fins de mois, elle doit rendre des visites rémunérées à un détenu de Sing Sing, Sally Tomato. À son voisin, l'écrivain Paul Varjak qui est amoureux d'elle, elle préfère donc le planteur brésilien José de Silva Perreira. La jeune femme cependant ayant des ennuis avec la justice pour avoir transmis sans le savoir des messages codés de Tomato à son avocat, le riche fiancé rentre dans son pays par peur du scandale. Elle compte bien le suivre, mais la fugue de son chat, qui s'est réfugié chez Paul, change son destin...

   La comédie se surpasse grâce à la personnalité d'Audrey Hepburn (Galerie des Bobines). En contraste avec une palette éclatante de comédie musicale : taxis ripolinés, dominantes orangées de la séquence d'escapade à deux dans New York, parapluie rouge parmi les noirs au final, deux affiches colorées sur le mur minable, etc., la Grosse Pomme joue habilement sa mélancolique partie comme désert matinal ou pluviosité sur poubelles et caisses d'emballages. Le burlesque du propriétaire chinois (Mickey Rooney) est un contrepoint assez sobre comme convention. Le restant est réellement inventif : coïncidence providentielle à une soirée du chapeau enflammé par un mégot puis éteint par hasard, etc.
   Le mélange des genres mène toujours loin quand il procède d'un projet cohérent. Ici la cruauté amoureuse ne fait pas de concession à la comédie, qu'elle approfondit. 30/12/99
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Harry EDWARDS
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Plein les bottes (Tramp, Tramp, Tramp) USA N&B Muet 1926 62' ; R. H. Edwards ; Sc. Frank Capra, Tim Whelan, Hal Conklin, J. Frank Hollyday, Murray Roth, Gerald Dufy ; Ph. Elgin Lessley et George Spear ; Pr. Harry Langdon Corporation ; Int. Harry Langdon (Harry Logan), Joan Crawford (Betty Burton), Edwards Davis (John Burton), Tom Murray (Nick Kargas, le propriétaire des Logan), Carlton Griffith (Roger Caldwell), Alec B. Francis (Amos Logan), Brooks Benedict (le taxi).

   Le
bottier Amos Logan est en difficulté en raison de la concurrence du grand manufacturier Burton. Faute de régulariser le retard de loyer sous les trois mois il sera expulsé. En conséquence, Harry, le fils, va concourir, pour vingt-cinq mille dollars, dans la traversée à pieds du continent organisée par Burton. Il est amoureux de Betty la fille de ce dernier qui, sous le slogan "walk with me", figure sur l'affiche publicitaire à laquelle il fait les yeux doux et dont il collectionne les exemplaires. Émue par cette ferveur et cette vulnérabilité elle l'encourage en lui remettant la paire de Burton de l'épreuve. À la suite de maintes désopilantes péripéties et de hasards providentiels, il l'emporte sur l'irascible champion du monde, Nick Kargas, qui est aussi son propriétaire et créancier, et épouse la belle.

    Apprentissage capitaliste de la vie et de l'amour au moyen du burlesque. Immature à ce point, le personnage est voué à affronter des épreuves qui le mûrissent et lui permettent
, Cendrillon du rêve américain, de coiffer doublement le champion, son propriétaire, au poteau, et d'épouser la fille du roi de la chaussure. Il tire par là profit de la cause même de la déconfiture de la fabrique familiale : la beauté de Betty qui a fait doubler le chiffre d'affaires de Burton au détriment des petits artisans.
   Cette forme de comique repose sur le refoulement de la petite enfance. Le rire provoqué par les maladresses du personnage étant une défense contre la régression infantile. Le film en tire plaisamment parti dans la dernière séquence du bébé incarné par Langdon. Les situations les plus invraisemblables, sources d'un rire convulsif, découlent de la démesure du danger, du à l'ignorance. Suspendu sur une palissade au-dessus du vide, Harry, en arrachant des clous pour s'y arrimer, ne fait que la démantibuler, d'où s'ensuit inévitablement la chute vertigineuse.
  Mais en raison même de l'intensité de ces images, les intervalles qui les séparent constituent des temps morts. S'endormir, s'habiller, payer le taxi, sept minutes pour le bagne, huit pour le cyclone, etc. 21/04/18
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Atom EGOYAN
liste auteurs

Exotica Canada VO  1994 100' ; R. A. Egoyan ; Ph. Paul Sarossys ; M. Mychael Danna ; Int. Bruce Greenwood (Francis), Mia Kirshner (Christina), Don McKellar (Thomas), Elias Koteas (Eric), Arsinée Khanijian (Zoé).

   Film distillant à grands frais, avec sa subtile musique orientalisante accompagnant des images moites entrecoupées de flashes-back dilatoires, un lent mystère qui n'en est pas un.

   Trois destins de douleur se croisent. Ceux de Thomas, Francis et Eric. Thomas drague les hommes en leur offrant des places de ballet. Il tient un commerce d'animaux exotiques aux comptes douteux sur lesquels enquête l'inspecteur du fisc Francis. Ce dernier fréquente l'Exotica, une boîte de strip-tease dont Eric est l'animateur. Francis verse un supplément pour la prestation de proximité, à sa table, de la juvénile Christina avec laquelle il semble avoir des liens privilégiés, comme, à l'extérieur, avec la fille d'un ami qu'il rémunère pour un simulacre de baby-sitting. Un soir Eric viole le règlement en touchant Christina, sur l'incitation préalable et anonyme d'Eric qui l'expulse avec violence. Francis requiert l'aide de Thomas contre une indulgence fiscale. Thomas apprend que Francis est connu à l'Exotica pour avoir été accusé à tort du meurtre de sa propre fille. Son comportement avec les très jeunes femmes relève de la compensation fantasmatique. De même la violence d'Eric qui avait découvert le cadavre.

   Réalisation représentative de la tendance pseudo-artistique de certains auteurs capables de savants effets fétichistes pour connaisseurs à l'instar des frères Coen, voire de David Lynch. On se laisse fasciner le temps de la projection, puis tout se dissipe. 8/05/02 Retour titres Sommaire

De beaux lendemains (The Sweet Hereafter) Canada VO couleur 1997 110' R., Sc. A. Egoyan, d'après Russell Banks ; Ph. Paul Sarossy ; M. Mychael Danna ; Int. Ian Holm (Mitchell Stephens), Bruce Greenwood (Billy Ansel), Sarah Polley (Nicole Burnell), Arsinée Khanjian (Wanda Otto), Tom McCamus (Sam Burnell).

   L'avocat Mitchell Stephens tente de convaincre de se constituer partie civile les parents de quinze enfants tués dans un accident de bus scolaire. Il voudrait à la fois confondre les vrais responsables et mettre un coup d'arrêt à ce genre de catastrophe. Les souffrances personnelles occasionnées par sa fille droguée et séropositive qui avait failli mourir à trois ans, lui dictent les mots appropriés.
   Mais dans cette région montagneuse isolée il se heurte à des résistances liées non seulement au deuil mais aussi au poujadisme communautaire hostile à toute intervention extérieure. Cependant, à faire état d'une faute de la conductrice, le faux témoignage de l'adolescente et rescapée hémiplégique Nicole met fin au procès. Obsédée par le conte du joueur de flûte de Hamelin, qui entraîne tous les enfants dans un gouffre, à l'exception du petit boiteux resté en arrière, elle s'identifie à ce dernier et n'aspire qu'à rejoindre les petits défunts, pour de "beaux lendemains".

   Récit faisant jouer habilement les pièces d'un puzzle comportant belles photos, acteur principal remarquable, vastes paysages neigeux, jolie musique plus ou moins médiévale ad hoc avec flûte, luth, et tambour, proche de l'évocation amérindienne des Esprits, le tout davantage fait pour transformer en spectacle cannois un thème insoutenable.
   La petite-culotte glissant complaisamment le long des jambes jusqu'en bas c'est toujours intéressant et c'est pourquoi un plan lui est consacré,
fût-il totalement hors-jeu. Le talent du conteur qui sait faire interférer le présent du vieil homme allant rejoindre sa fille en avion, avec le passé de son enquête et celui qui a précédé l'accident à l'aide de raccords séduisants, ne saurait dissimuler le vide émotionnel des images et la médiocrité du jeu de la plupart des acteurs.
   La mort victorieuse soulignée par une musique consentante est l'aveu d'une incapacité au dépassement éthique
(1) ou visionnaire qu'on est en droit d'attendre d'une œuvre aussi ambitieuse. Subsiste un pénible malaise résultant de l'exploitation de la sensibilité du spectateur au moyen de belles images. 21/08/01 Retour titres Sommaire

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Serguei Mikhailovitch EISENSTEIN
liste auteurs

La Grève (Statchka) URSS 1924 1969m ; R. S. M. Eisenstein ; Sc. S. M. Eisenstein, V. Pletniev, I. Kravchounovsky, Gregori Alexandrov ; Ph. Edouard Tissé ; Pr. Goskino, Boris Mikhine ; Int. Ivan Kljuvkin (un activiste), Alexandre Antonov (un ouvrier), Maxime Chtrauch (l'indicateur " la chouette "), G. Alexandrov (le contremaître), Mikhail Gomorov (le suicidé), I. Klukvine (le militant).

   En 1912, dans une usine de la Russie tsariste, l'agitation ouvrière couve, mais rien n'échappe aux indicateurs, comparés à des animaux malfaisants dressés à traquer la Bête rouge. La grève éclate à la suite du suicide d'un ouvrier injustement accusé de vol. Bien que les commandes s'entassent sur son bureau, le patron utilise la liste des revendications pour lustrer ses souliers. Parmi la racaille embusquée au cimetière aux tonneaux, les indicateurs recrutent des provocateurs qui mettent le feu à un dépôt d'alcool. Les grévistes sentant la machination se dispersent mais ils doivent essuyer la violence des lances à incendie. La police montée chargeant envahit l'immeuble où se sont réfugiés les grévistes, laissant derrière elle un champ de cadavres.

   Premier opus d'un brillant jeune homme de vingt-six ans qui, assisté d'un photographe hors-pair, met en œuvre toutes les ressources de son esprit inventif. C'est un kaléidoscope où se heurtent à toute vitesse des plans au contenu déferlant de toutes échelles.
   Réalisme, symbolisme, burlesque et grotesque se mêlent dans la même fougue. Aux beaux
visages de l'ombre des opprimés où brillent la fureur des prunelles et des dents s'opposent les chairs adipeuses et placidement cyniques des patrons ou, d'une autre façon, les trognes de la racaille provocatrice. Pittoresque réalisme de bas-fonds dans ce "cimetière" où l'on peut disparaître en un clin d'œil au fond de grands tonneaux affleurant à la surface. Les indicateurs incarnent le mal absolu.
   À force cela devient lourd, comme dans la scène du bœuf que l'on égorge en parallèle avec le
massacre (plagiée dans Apocalypse Now) ou celle emblématique du bébé lâché par un policier du haut de l'escalier. À ne laisser aucun répit dans l'accélération, le rythme du montage finit par se tétaniser, excluant toute émotion.
   Eisenstein s'avère là cérébral davantage qu'artiste. Sa tête bouillonne d'idées extraordinaires mises ensuite en application. 28/08/03
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Le Cuirassé Potemkine (Bronenosetz Potemkin) URSS Muet N&B 1926 65' 
Commentaire

Alexandre Nevski URSS VO 1938 100' ; R. S. M. Eisenstein ; Sc. P. Pavlenko et S. Eisenstein ; Ph. E. Tissé ; M. S. Prokofiev ; Int. N. Tcherkassov (le prince Alexandre Nevski), N. Okhlopkov (Vassily Bouslaï), A. Abrikosov (Gavrilo Olebsitche), D. Orlov (Ignat), V. Massalinova (Amelfa Timofeevna), V. Ivasheva Olaga), A. Danilova (Vassilissa).

   Après avoir battu les Suédois sur la Néva, le prince Alexandre Nevski s'est retiré dans une communauté de pêcheurs. Les Russes le supplient de se mettre à leur tête pour repousser les Chevaliers teutoniques. Il accepte et lève les paysans. Grâce à la stratégie et au courage du prince, les Teutons sont défaits sur le lac glacé Tchoudsk. La glace se rompt sous le poids de leurs armures, les Russes étant épargnés grâce à la cotte de maille. La belle Olga avait promis d'épouser le plus vaillant de ses deux prétendants, Gavrilo et Bouslaï. Après la mêlée, alors qu'ils sont tous deux couverts de blessures et épuisés, déclarant son rival plus courageux que lui, ce dernier se rabat sur une belle guerrière nattée.

   Par la stylisation des images autant que par le manichéisme naïf associé aux combats massifs et aux valeurs chevaleresques, l'œuvre se rattache au genre épique. Mais l'épopée se trouve adultérée par le parallèle distractif de l'épisode amoureux teinté de burlesque (le "montage d'attractions" ici n'est guère convaincant) et les arrière-pensées visant, au nom du danger allemand contemporain, à fédérer les peuples soviétiques autour de Staline. Le cadrage s'emploie à mettre en valeur le charisme du personnage d'Alexandre, identifié par le style du heaume à Alexandre le Grand.
   En bref, des procédés de l'ordre du divertissement de masse contribuent à l'instrumentalisation de l'art. Du coup, le manichéisme chevaleresque au nom de la guerre sainte devient une doctrine de haine. Les Teutons sont
fourbes et grotesques. Les représentants du pape qui les soutiennent évoquent la lâcheté et la mort.
   L'esthétique tient à des raisons formelles : le cadrage surtout, exalté par le dogmatique
commentaire de la superbe partition musicale. La science du cadre permet de dépasser la centration de l'a priori cognitif en faveur d'un jeu entre diégèse et cadre et la redistribution des rapports d'échelle à l'intérieur du cadre (composition quadratique (1)), d'autant mieux que la composition est toujours extrêmement épurée : lorsqu'un combattant débite une blague il n'y a pas masse autour de lui comme à l'ordinaire, mais stylisation par épure. Les mouvements de foule paraissent feindre le respect des limites du cadre en le frôlant avant de le franchir. Des files interminables traversent le champ sur le tracé de figures décalées et mal inscrites dans le cadre comme si celui-ci n'était qu'une transition absurde et dérisoire du hors champ. Ce que confirme la distribution d'échelle des éléments dans le cadre : ciels dominant une mince bande de terre où s'alignent des silhouettes lilliputiennes. Ou contrastes d'échelle outranciers entre premier et second plan.
   Les fiançailles de l'idéologie politique et de l'art seront toujours obscènes. Question cependant : qu'est-ce qui est le plus abject, l'endoctrinement autoritaire de l'Est ou la propagande bien-pensante et spontanée du cinéma dominant de l'Ouest ? 25/08/03
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Luciano EMMER
liste auteurs

Dimanche d'août (Domenica d'agosto) It. VO N&B 1949 75' ; R. L. Emmer ; Sc. Sergio Amidei, Franco Brusati, Cesare Zavattini, Luciano Emmer ; Ph. Domenico Scala, Leonida Barboni ; M. Roman Viad ; Pr. Colonna Films ; Int. Anna Baldini (Marcelle), Vera Carmi (Adriana), Franco Interlenghi (Henri), Massimo Serato (Robert).

   Manifeste néoréaliste reconstituant la journée du dimanche 7 août 1949 : début=matin et départ de Rome pour la plage d'Ostie, fin=soir et retour.

   Film de groupe avant la lettre par l'entrecroisement de plusieurs destins, et dont l'accompagnement musical se conjugue avec la diégèse de façon subtile. Coda de samba coïncidant ironiquement avec le geste de coquetterie un peu raide d'une femme antipathique, jazz au rythme énumérateur accordé avec une rangée en travelling de jeunes alignés de dos sur des travées, mais qui s'avère être effectivement joué sur la piste de danse.
   Le réalisme social touche diverses couches sans didactisme. Le filmage de Rome comme de la gare, de la route, du train, de la plage soigne l'aspect documentaire.
   Ce n'est pas tout à fait comme on l'a dit "l'authentique chef-d'œuvre du cinéma italien de l'immédiate après-guerre". On y sent l'influence du
Voleur de bicyclette (1948) dans la manière de filmer la multitude, même s'il y a plus de gouaille que de lyrisme ou de pathétique. 6/02/00 Retour titres Sommaire

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Ildikó ENYEDI
Liste auteurs

Corps et âme (Testrol és lélekről) Hongr. VO 2017 116’
Commentaire

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Jean EPSTEIN
liste auteurs

La Chute de la maison Usher Fr. Muet N&B 1928 64'
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L'Homme à l'hispano Fr. N&B 1933 125' ; R., Sc. Jean Epstein, d'après r. de Pierre Frondaie : Ph. Joseph Barth, Armand Thirard ; Mont. Marthe Poncin ; Son Marcel Courmes, Norbert Gernolle ; M. Jean Wiener ; Pr. Les Films P.J. de Venloo ; Int. Jean Murat (Georges Dewalter), Marie Bell (Stéphane Oswill), George Grossmith Jr. (Lord Oswill), Gaston Manger (Deleone), Joan Helda (Mme Deleone), Louis Gauthier (Maître Montnormand). 

   Bien que de condition modeste, Georges Dewalter arrive à Biarritz dans une Hispano-Suiza achetée par Deleone pour sa maîtresse Florimonde mais prêtée à son vieux copain de régiment Georges pour tenir le cadeau secret aux yeux de Madame Deleone, en résidence, comme Florimonde, à Biarritz. Tout le monde admire le faste du conducteur. Dans les salons des Deleone, coup de foudre entre milady Stéphane Oswill et Dewalter, qui ne peut risquer de décevoir la belle en divulguant son état véritable. Milord Oswill, le richissime mari, qui est au courant, entend se venger. Ayant fait miroiter à sa femme le divorce qui la rendrait libre, il menace Dewalter de tout dire s'il ne renonce pas à elle, et lui offre un gros chèque pour disparaître. Dewalter brûle le chèque et propose un pacte : il disparaîtra si Oswill jure de se taire. Le pacte étant conclu, Dewalter se suicide dans l'étang du château pendant une réception de la famille de Stéphane. 

   De facture allègre et économique, le film alterne les recadrages par changement de grosseur, en usant de la tension des angles. Alors que les vents musicaux de la bande sonore, soutiennent sans complexe l'élan de l'Hispano fonçant vers un destin tragique mais rigoureusement calculé, plus thétique que pathétique. Le bouillonnement de la grosse cylindrée en gros plan sonore donne la mesure de l'énergie en acte, d'autant qu'il est invraisemblable, monté sans doute à partir de l'enregistrement d'une motrice industrielle. Ce genre d'audace appartient véritablement à la filmicité, comme le hors-champ frontal de la nuit noire extérieure dans laquelle s'enfonce à la fin Dewalter pour "disparaître". Ou encore le raccord en surimpression du couple amoureux et du nez de l'avion annonçant l'arrivée du mari. Je n'en dirai pas autant des effets spéciaux kaléidoscopiques mêlant défilés de paysages et automobile lancée. Celle-ci, à bon droit, saisie en tant que principal actant par tel ou tel détail en des angles suggestifs. Une réelle vitalité qui n'a d'égal que le délectable cynisme d'Oswill, réhaussé par l'arrogance du nabab. "J'adore les gens qui foutent le camp,  je suis sûr de ne jamais les revoir" annonce-t-il au début avec un effet prospectif qui communique le cynisme au film lui-même. En faisant contrepoint à l'idylle, cette mécanique dévastatrice alimente la dialectique du conflit. C'est à la mesure de l'action hautement morale du protagoniste, et de l'éloge de l'amour qui le sous-tend, amour vainqueur au prix d'un sacrifice contre les puissances de l'argent. 22/05/20 Retour titres Sommaire  

Le Tempestaire Fr. N&B 1947 23'
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Victor ERICE
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L'Esprit de la ruche (El espíritu de la colmena) Esp. VO 1973 95’
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Jean EUSTACHE
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La Maman et la Putain Fr. N&B 1973 209'; R. , Dial., Sc. J. Eustache ; Ph. Pierre Lhomme ; Pr. Pierre Cottrell ; Int. Jean-Pierre Léaud (Alexandre), Danièle Lebrun (Veronika), Bernadette Laffont (Marie), Elisabeth Weingarten (Gilberte).

   Prix spécial du jury au festival de Cannes 1973. Fiction-document poétique post-soixante-huitard peignant à traits oxymoriques les mœurs libres et désabusées de l'époque. Alexandre, jeune oisif trônant aux Deux-Magots, vit aux crochets de Marie la "maman" de trente ans en l'absence de qui il rencontre Veronika, une infirmière logée à l'hôpital qui "se fait baiser" copieusement à titre précaire par le tout-venant. Ils ont de longues conversations au "bord de l'eau", au café où dans l'appartement de Marie.
   Le ton est à la fois cérémonieux et primesautier, ce que contredisent les visages émouvants en plans fixes. On parle beaucoup de sexe, mais aussi de cinéma (hommage à Bresson notamment dont on sent par ailleurs l'influence). Elle demande : "vous ne voulez pas me baiser ?" Il décline tout d'abord. Les propos sont cyniques comme si l'amour qui triomphe à la fin dans une scène hystérique ne pouvait s'exprimer que de façon haineuse. La relation sexuelle triangulaire passionnée qui s'ensuit en exacerbe le ton.

   Ces interminables plans fixes sont portés par la tension d'une fausse impro qui a du souffle, et la rigoureuse focalisation sonore par laquelle les événements en profondeur de champ sont silencieux, et cela sans musique aucune autre que dûment diégétique..! Un film qui fait date mais dont on n'a retenu que l'aspect réaliste du jeu à la spontanétité construite.
   L'essentiel est plutôt dans l'art de pousser le seuil de rupture du fragment le plus loin possible, et dans cette troublante contradiction entre l'apparence blasée et la passion qui couve. Ce qu'on a pris pour réalisme n'est que pièce du système. C'est là qu'éclate la liberté, davantage que dans la crudité des paroles clouées comme des trophées obscènes au maître-mur de cet édifice baroque et mouvant. 22/05/00
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Mes Petites amoureuses Fr. 1974 123'
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Ugo FALENA
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Roméo et Juliette It. Muet N&B coloré au pochoir (Pathécolor) 1912 40' env. ; R., Sc. U. Falena, d'après Shakespeare ; Pr. Film d'Arte Italiana, Rome/S.A. Pathé-Frères, Paris ; Int. Francesca Bertini (Giuletta), Gustavo Serena (Roméo), Giovanni Pezzinga (Thibalde).

   Juliette et Roméo, qui appartiennent à des familles ennemies, s'aiment. Ils se marient en secret. Le père de Juliette la destine en mariage à Thibalde, qui surprend leur intimité. Roméo est exilé pour avoir blessé son rival en duel. Afin d'échapper à la décision paternelle, Juliette absorbe un narcotique donnant l'apparence de la mort. Revenu clandestinement, Roméo dupé se poignarde au moment où l'épouse morte s'éveille. Elle s'empare du poignard et va rejoindre son amour dans la tombe.

   Roulements d'yeux et gestes aussi grandiloquents que signalétiques s'exercent dans de beaux décors, médiévaux en extérieurs, stylisés et chatoyants en intérieur, par plans fixes avec quelques imperceptibles travellings de recadrage toutefois.
   À noter, le pathétique funèbre du drap de catafalque soulevé par un courant d'air d'outre-tombe et le voile remué de même, venant caresser le poignard, ce qui inspire à Roméo le geste fatal.
   Irremplaçable intérêt de témoignage d'un genre du temps : celui du "film d'art", dont les vertus devaient reposer sur de prestigieux antécédents dramatiques ou picturaux. Voir les
images. 3/07/03 Retour titres Sommaire

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Joseph FARES
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Jalla ! Jalla ! Suède VO 2000 88' ; R., Sc. J. Fares ; Ph. Aril Wretblad ; M. Daniel Lemma ; Pr. Memfis film ; Int. Fares Fares (Roro), Torkel Peterson (Mans), Tuva Novotny (Lisa), Abdulahad Fares (Abdul), Kathoun Fares (Farmor), Laleh Pourkarim (Yasmin), Leonard Terfelt (Paul).

   Roro et Lisa s'aiment mais la famille arabo-chrétienne de Roro entend lui faire épouser la Libanaise Yasmin. Il feint d'accepter pour rendre service à celle-ci menacée de rapatriement libanais si elle reste célibataire. Par ailleurs, Mans, le meilleur ami de Roro, a des problèmes avec sa petite amie parce qu'il ne bande plus depuis trois semaines. Mais il retrouve son intégrité après s'être follement épris de Yasmin. Le jour du grand mariage il y a foule. Roro déclenche une bagarre monstre en imposant Lisa à la place de celle attendue. Les deux couples s'enfuient avec la bénédiction du père de Roro.

   Tous les ingrédients d'une comédie burlesque avec matraquage "de fosse", effets spéciaux, zooms brutaux et autres extravagances plus ou moins faciles, mais avec beaucoup de drôlerie, et divers jolis plans de visages de jeunes amoureuses. 11/03/02 Retour titres Sommaire

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Asghar FARHADI

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A propos d'Elly (Darbareye Elly) Iran VO (farsi) 2009 118' ; R., Sc. A. Farhadi ; Ph. Hossein Jafarian ; Mont. Hayedeh Safiyari ; Son Hassan Zahedi ; Pr. A. Farhadi ; Int. Taraneh Alidousti (Elly), Gloshifteh Farahani (Sepideh), Mani Haghighi (Amir), Shahab Hosseini (Ahmad), Merila Zarei (Shohreh), Peyman Moadi (Peyman), Rana Azadivar (Nassi), Ahmad Mehranfar (Manouchehr), Saber Abar (Alireza).

   Un groupe d'amis de la fac de Téhéran passe trois jours en WE au bord de la mer Caspienne. Un célibataire et trois couples avec enfants dont Amir et Sepideh, qui a invité Elly, l'institutrice de leur fille, dans l'idée d'une union avec Ahmad le célibataire. Celle-ci a accepté sous la réserve expresse de ne rester qu'une nuit. Mais Sepideh insiste et cache même ses affaires et son portable pour qu'elle ne puisse s'échapper. 
   Chacun étant à ses occupations, Elly est chargée au pied levé de surveiller les enfants sur la plage. Soudain une des fillettes vient appeler à l'aide. Le petit Arash a disparu. On parviendra in extremis à le sauver de la noyade sans remarquer l'absence d'Elly. Les recherches restent vaine et les secours en mer abandonnent. L'hypothèse que la jeune femme qui tenait tant à limiter son séjour ait pu s'éclipser met un doute, le corps restant introuvable. Joint via le portable de la disparue le fiancé accourt et comprend que l'e
scapade était une manière de rupture. Finalement il sera appelé à identifier le corps à la morgue. 

   Situation limite d'autant que rien dans le ton de joyeux week-end en bande ne la laissait prévoir, et que l'ambiguïté ne cesse d'épaissir le mystère. Elle devient le révélateur du comportement humain dans ses contradictions les plus criantes, où la culpabilité joue un grand rôle. Ce qui est intéressant et peu banal c'est cette opacité du devenir, le récit procédant des enjeux liés aux personnages et de la nature de leurs rapports, et non l'inverse qui relèverait d'un programme déclaré. Ainsi le mensonge tenant lieu de défense de la culpabilité génère les péripéties. On hésite longtemps à dévoiler au fiancé la vérité pour se protéger du scandale que représente l'entremise matrimoniale auprès d'une jeune femme déjà engagée, faute morale gravissime dans cette société. Ce qui génère des développements dilatoires. Tout,  du reste,
part du plan secret de Sepideh à cet égard et de ses ruses pour retenir Elly afin de caser son ami Ahmad. La caméra et le montage ont ce même rôle à accentuer le non-dit et le hors-champ qui est le non-dit de l'image.   12/02/15 Retour titres Sommaire

Une séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin) Ir. VO 2011 114'
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Le Passé
 
(Gozashte) Fr. 2013 130'
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Le Client (Forushande) Ir. VO 2016 125'
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John FARROW

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La Grande horloge (The Big Clock) USA VO N&B 1948 95' ; R. J. Farrow ; Sc. Jonathan Latimer, d'après Kenneth Fearing ; Ph. John Seitz ; M. Victor Young ; Pr. Paramount ; Int. Ray Milland (George Stroud), Charles Laughton (Earl Jannoth), Maureen O'Sullivan (Georgette Stroud), George Macready (Steve Hagen), Rita Johnson (Pauline York).

   Journaliste à Crimeway Magazine, une des nombreuses publications appartenant à l'ignoble magnat Earl Jannoth, George Stroud, n'a jamais pu s'octroyer des vacances. Pire : sa femme attend depuis sept ans le voyage de noces. Une nouvelle fois, étant sur le départ, il est sollicité par le patron en raison de ses talents d'enquêteur. Il démissionne et se saoule dans un bar avec Pauline York, la maîtresse de Jannoth. S'apercevant qu'il a raté le train et que son épouse est partie avec leur petit garçon, il poursuit la soirée et se retrouve au domicile de la jeune femme, qu'il doit quitter précipitamment à l'arrivée de Jannoth. Ce dernier insulté par Pauline perd son sang-froid et l'assomme à mort avec un cadran solaire que George avait dérobé dans le bar.
   Ayant rejoint son épouse par air, George est rappelé pour une enquête concernant Pauline. Il accepte pour ne pas la compromettre. En réalité Jannoth dissimule le crime pour en charger la mystérieuse personne qui se trouvait avec sa maîtresse cette nuit-là : George doit donc retrouver un inconnu qui n'est autre que lui-même. Il découvre bientôt le
meurtre et comprend qu'il en sera accusé. Au siège de l'empire de Jannoth, les témoins affluent et George est bientôt forcé de se cacher. Mais, avec l'aide de son épouse revenue de la campagne, il finit par confondre Jannoth qui s'affole, abat son complice et associé puis fait une chute mortelle dans la cage de l'ascenseur.

   Le film, lui, ne tombe jamais dans la cage de la banalité pour maintes raisons. Le récit commence par la fin alors que George traqué dans l'immeuble risque sa vie. Ce compte à rebours est associé au thème de la grande horloge, qui est la fierté de Jannoth : une horloge parfaite réglant toutes les heures de l'édifice. Son mécanisme est logé dans une tour qu'occupe aussi le poste de commande.
   Cette métaphore qui est aussi celle du pouvoir s'enrichit en tant que telle d'un beau décor
futuriste constellé de cadrans et de témoins lumineux, auquel répond un luxe d'une modernité toujours en vigueur après plus d'un demi-siècle.
   Conduit avec une précision d'horloge justement, le récit se complexifiant graduellement ne laisse aucune chance à son héros. L'ultime dénouement jaillit donc comme un ressort qui se débande.
   La personnalité de Laughton fait merveille sans empiéter sur les autres personnages et le dialogue est constamment empreint d'une sorte d'inimitable humour sérieux. 16/04/03
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Rainer Werner FASSBINDER
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Pourquoi M. R. est-il atteint de folie meurtrière ? (Warum laüft herr R. Amok) RFA VO couleur 1969 88' ; R. W. Fassbinder et Michael Fengler ; Ph. Dietrich Lohmann ; M. "Gehnicht vorbei" de Christian Anders ; Mont. Franz Walsch et Michael Fengler ; Pr. Wilhelm Rabenbauer ; Int. Kurt Raab (Herr R.), Lilith Ungerer (son épouse), Amadeus Fengler (leur fils), Franz Marn (le patron), Harry Baer (un collègue).

   Monsieur Raab, jolie épouse au foyer, et gracieux enfant, travaille dans un cabinet d'architecte où il gagne bien sa vie et peut espérer de l'avancement, donc un appartement plus spacieux. Mais des ombres légères s'avancent. Son fils connaît quelque déboire scolaire, des conflits anodins éclatent entre ses parents et son épouse, ses coups de fil privés sur son lieu de travail dépassent un peu la mesure, il fait un long discours de pochard à la fête de Noël du bureau. On sent que sa promotion est compromise mais que de toute façon ce travail ne l'intéresse pas.
   Un soir il se saisit d'un lourd chandelier dont il allume la chandelle, se dirige vers la voisine qui papotait avec sa femme pendant qu'il s'évertuait à suivre une émission TV, l'assomme à mort puis exécute dans la foulée femme et fils. Le lendemain matin, il se pend dans les toilettes du bureau.

   À couper le souffle, tant cela survient comme dans la vie, sans aucun signe annonciateur, grâce sans doute aux séquences en temps réel associées au refus du raccord.
   La caméra semble prendre le malaise avec légèreté. Elle s'attarde longuement en plongée sur la tête penchée d'un collègue à sa table à dessin faisant de petits tracés avec minutie, puis toujours en plongée, passe à un autre, rendant simplement sensible le tassement vertébral généralisé dans l'air confiné stagnant à hauteur de table.

   Le Septième continent de Haneke lui doit sûrement beaucoup. Pas une ride! Ne pas toutefois oublier la contribution de Michael Fengler. 29/01/01 Retour titres Sommaire

Whity 1970 RFA VO 95’ 
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Tous les autres s'appellent Ali (Angst essen Seele auf) RFA VO 1973 93' ; R., Sc. R. W. Fassbinder ; Ph. Jürgen Jürges ; M. Doc. Archives ; Pr. Tango Film, Munich ; Int. Brigitte Mira (Emmi), El Hedi Ben Salem (Ali), Barbara Valentin (Barbara), Irm Hermann (Krista), Fassbinder (Eugen).

   Récit assez didactique mais authentique et généreux. Un Marocain épouse une femme de vingt ans son aînée. Rejet brutal de la part des trois enfants mariés de celle-ci et du voisinage. Déboussolé, Ali la trompe puis lui revient mais gravement atteint dun ulcère à l'estomac. Entre-temps, par un de ces revirements imprévisibles du réel social, ils sont acceptés.

   Le récit n'impose donc pas sa logique rigide. Le réel psychologique est longuement interrogé dans des plans rapprochés fixes sur des regards ou, en plus intense, sur l'image du personnage dans le miroir. Les sons hors champ, dont celui du baby-foot, y impriment une forte tension. La profondeur de champ des intérieurs - parfois floue - à travers un chambranle marque la distance propre à l'étranger toujours quelque peu exclu.
   Les entrées de la maison armées de barreaux évoquent la prison. Regard malicieux du réalisateur lorsque les époux se quittent symétriquement du côté opposé le matin sur le trottoir au son d'une cloche ou qu'Emi prend la défense les Arabes tout en dégustant une banane. Mais inquiétude le soir lorsque Ali attend sur le même trottoir et que le même tintement se fait entendre.
   Ce sont en fait des ambiguïtés voulues comme quand Emi s'exclame : "On ne reste pas dans cette porcherie !", puis sanglote en émettant des bruits porcins. De même que, bien qu'apparemment antiraciste, elle souhaite dîner dans le même restaurant qu'Hitler. Elles sont à la mesure du déroulement imprévisible des faits.
   Fassbinder, en nous montrant l'envers du racisme ordinaire, rend dérisoires les fausses valeurs qui le sous-tendent. Mais il nous avertit que le bien ne repose que sur des ambiguïtés ou des motifs latéraux. 28/02/00
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Martha RFA VO 1973
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Maman Kusters s'en va au ciel (Mutter Küsters fahrt zum Himmel) RFA VO 1975 95'
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Roulette chinoise (Chinesisches Roulett) RFA VO 1976 76' ; R., Sc., Dial. R.W. Fassbinder ; Ph. Michael Balhaus ; M. Peer Raben ; Pr. Films du losange/Albatros Prod. ; Int. Margit Carstensen (Ariane), Ulli Lommel (Kolbe), Anna Karina (Irène), Alexander Allerson (Gerhard), Andrea Schober (Angela), Macha Méril (Traunitz), Volker Spengler (Gabriel), Brigitte Mira (Kast).

   Gerhard vient passer le week-end avec sa maîtresse Irène dans son château que garde Kast avec son fils Gabriel. Il tombe sur Ariane, son épouse, en compagnie de son amant Kolbe. Puis, flanquée de sa gouvernante muette Traunitz, débarque Angela, la fillette de Gerhard et d'Ariane, une infirme qui a manigancé la rencontre en faisant croire à son père qu'elle allait au zoo avec sa mère. Elle organise un jeu de la vérité appelé "roulette chinoise" (portrait chinois en français). On choisit secrètement une personne parmi l'assistance et on répond aux questions "si elle était telle chose que serait-elle ?" Le meneur de jeu, s'arrange pour qu'il en sorte un portrait cruel de sa mère. Celle-ci tire sur la gouvernante qu'elle ne fait que blesser après avoir visé sa propre fille.

   Prenant le contre-pied des valeurs cinématographiques admises, à partir d'une dramaturgie forte fondée sur la haine, le mensonge et la cruauté qui accouche la vérité, Fassbinder (ce ne peut être que de lui, cette façon insolente de suivre son propre chemin sans chercher à s'ajuster le moins du monde aux habitus de la profession) filme en gros plan des visages paradoxaux à la fois surpris dans leur naturel élan intentionnel et en suspens le temps du plan.
   Attestant que le mensonge provient d'une laborieuse présomption d'unité, le mobilier en plexiglas dédouble et redistribue par réflexion des fragments de corps, comme des mots en quête douloureuse de reformulation. Dans l'atmosphère raréfiée par les compromissions du monde réel, c'est donc un univers dépourvu des concessions sociales d'usage qui vient ventiler nos poumons asphyxiés.
   On a dit que ce n'était pas un bon Fassbinder. Air connu. Que veut dire bon ou mauvais en l'absence des critères appropriés ? Chaque détail est à sa place et tient son sens de l'indémontrable évidence d'un ensemble nécessaire. 5/07/03
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Le Mariage de Maria Braun (Die Ehe der Maria Braun) RFA VO 1978 120' ; R., Dial. R.W. Fassbinder d'après Gehrard Zwerens ; Sc. Peter Marthesheimer, Pia Frölich ; Ph. Michael Ballhaus ; M. Peer Raben ; Pr. Albatros Film ; Int. Hanna Shygulla (Maria Braun), Klaus Löwitsch (Hermann Braun), Ivan Desny (Oswald), Gottfried John (Willi), Gisela Uhlen (la mère de Maria).

   L'officier d'état civil qui fuyait sous les bombes est forcé d'achever les formalités du mariage de Maria et d'Hermann en uniforme d'officier pour le départ imminent au front. Il est donné bientôt pour mort mais elle n'y croit qu'après confirmation d'un copain de retour. Entraîneuse dans un bar, la veuve supposée devient la maîtresse d'un Noir américain dont elle tombe enceinte (l'enfant ne survivra pas). Hermann surgissant à l'improviste les surprend sur le point de. Maria tue son amant sans le vouloir, mais c'est Hermann qui endosse le crime et doit purger une lourde peine de prison.
   Déterminée en l'attendant à faire fortune pour deux, elle devient la maîtresse et la collaboratrice de l'homme d'affaires français Oswald, qui l'aime tout en admettant qu'elle n'aime que son mari. Il se rend à la prison à l'insu de Maria "pour connaître l'homme qu'elle aime" et conclure avec lui un pacte secret. À sa libération, Hermann refuse de vivre dans la maison qu'a fait construire sa femme et disparaît, ne donnant signe de vie que par l'envoi régulier d'une rose. Après la crise cardiaque fatale d'Oswald, il revient. Le jour même, le notaire leur rend visite pour leur apprendre qu'ils ont hérité chacun de la moitié de la fortune du défunt. Maria ayant machinalement soufflé pour éteindre le gaz
comme une allumette au lieu de fermer le robinet, une étincelle fait exploser la maison.

   Le récit est donc en boucle. Explosions au début et à la fin, et le grand amour n'aura connu qu'une nuit, celle des noces. Ce choix narratif à la fois extravagant et conventionnel imprime une note d'ironie au récit rendu léger, en contraste avec le destin de l'héroïne. Véritable figure de tragédie aux actes et paroles d'une crudité pure. Son engagement matrimonial est si absolu que sa vie sexuelle continue sans culpabilité comme ce qu'elle se doit à elle-même pour accomplir sa grande mission d'amour.
   Le son très étudié participe fortement de l'univers émotionnel. Le souffle court de la locomotive s'accorde avec l'anxiété de Maria dans l'attente du retour à la gare. Sifflet ou pulsations de vapeur interviennent à d'autres moments. Le montage image-son témoigne également d'un travail du langage et non de la représentation
(1).
   Au premier plan de la scène où Maria démontre ses talents de femme d'affaires au milieu des négociateurs masculins, figure le clavier d'un piano à queue, l'adagio d'un concerto pour piano de Mozart accompagnant la scène. Puis Oswald se met au piano et double le pianiste "de fosse" d'un son faussé. D
issonante unisson sublimant le rayonnement de Maria au service duquel le pianiste se met à sa manière. C'est à la fin de cette scène que Maria lui déclare : "je veux coucher avec vous".
   En faisant honte au rouleau compresseur de la marchandise-spectacle, Fassbinder nous en délivre ! 5/11/00
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La Troisième génération (Die dritte Generation) RFA VO 1979 106'
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Lili Marleen RFA VO 1980 115' R. R.W. Fassbinder ; Sc. R.W. Fassbinder, Manfred Purzer, Joshua Sinclair, d'après L. Andersen ; Ph. Waver Schwarzenberger ; M. Peer Raben, Norbert Schultze, Gustav Mahler ; Pr. Roxy Film/CIP Film/Rialto Film ; Int. Hanna Schygulla (Willie), Giancarlo Giannini (Robert Mendelsson), Mel Ferrer (David Mendelsson), Karl-Heinz von Hassel (Henkel), Christine Kaufmann (Miriam), Karin Baal (Anna Lederer), Adrian Hoven (Ginsberg).

   La chanteuse de Cabaret Willie devient la figure de proue du régime hitlérien pour avoir lancé une chanson nostalgique célèbre sur le front et au-delà : "Lili Marleen". Juif influent aidant une organisation de résistance, le père de Robert, son amant zurichois et pianiste doué, la fait secrètement interdire de séjour en Suisse. Sans être farouche avec les dignitaires nazis, elle vit luxueusement avec son virtuose helvétique, qui la visite en Allemagne au risque de sa vie. Pour lui, elle collabore à la résistance. Les nazis la soupçonnant interdisent la chanson, désormais trop emblématique pour s'oublier. À la fin de la guerre, Willie rentre à Zurich où elle découvre que Robert maintenant chef d'orchestre en renom est marié. Elle part seule dans la nuit.

   Les faux raccords et autres astuces de liaison, les ellipses, les plans distanciés à travers des vitrages, les recherches d'angle rappelant l'esthétique nazie, les mystères de la polychromie nocturne, le montage parallèle "engagé" de la chanson avec les massacres du front, les qualités de la prestation de Hanna Schygulla, y compris son interprétation de chanteuse, n'empêcheront pas ce film d'être sans doute un des moins intéressants de Fassbinder.
   L'utilisation des plus conventionnelles de la musique auxiliaire (pourtant de Peer Raben !) n'en est qu'un symptôme. C'est que l'histoire et la biographie, où le réalisateur allemand n'est pas vraiment dans son élément, y pèsent par trop. Le seul aspect vraiment personnel réside dans le portrait d'une femme que ses contradictions placent au-dessus des contingences bourgeoises. 26/06/02
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Berlin Alexanderplatz RFA-It. 1980 15h 30, feuilleton en 13 épisodes et un épilogue VO (berlinois)
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Lola, une femme allemande (Lola) RFA VO 1981 113' R., Dial. R.W. Fassbinder ; Sc. Peter Märthestheimer, Pea Fröhlich, Rainer Fassbinder ; Ph. Xavier Schwarzenberger ; M. Peer Raben ; Pr. H. Wendland/Rialto Film/Trio Film ; Int. Barbara Sukowa (Lola), Armin Mueller-Stahl (von Bohm), Mario Adorf (Shuckert), Matthias Fuchs (Esslin), Karin Baal (la mère de Lola), Ivan Desny (Wittich), Christine Kaufmann (Susi).

   En 1957, dans une petite ville allemande que pourrissent des spéculateurs immobiliers menés par Shuckert, cynique entrepreneur et propriétaire d'une maison close, le gouvernement a nommé un nouveau directeur des travaux publics, l'intègre von Bohm, qui souhaite remettre de l'ordre sans bousculer les privilèges. Mais, ignorant de son identité, il s'éprend de la star du bordel Lola, également favorite de Shuckert. Quand il apprend la vérité, il décide d'abord de couler ce dernier, puis, pour épouser Lola, se laisse corrompre. La jeune beauté vénale devient une femme respectable tout en restant la maîtresse de Shuckert, qui leur a laissé la concession du bordel jusqu'à la majorité de la fille de Lola, dont il n'est autre que le père (présumé car on voit souvent la petite dans les bras d'un amant de cœur de Lola).

   Inspirée, comme L'Ange bleu de Sternberg, de Professor Unrat d'Heinrich Mann dans des décors aux tons dénaturés mais éclairages superlatifs et dont l'économie met en relief l'éthique frelatée des notabilités, c'est une satire sans illusion de la société allemande d'après-guerre, qui ne laisse pas même d'espoir dans les ressources féminines.
   La construction en séquences terminées par un zoom sur un fondu enchaîné flou qu'accompagne un accord modulé crescendo jusqu'à l'extrême aigu, y imprime un régime d'implacable démonstration ironique. Fassbinder a beau user de moyens symboliques
(1) (ex. éclairée par le phare intermittent des policiers, la dispute du ménage Shukert dans le cabriolet BMW dardant à intervalles panotés sa calandre menaçante au bout du long museau), il semble cependant s'être appuyé un peu trop sur ses acquis.
   Sa profonde humanité qui ne peut s'affirmer qu'à l'encontre des fausses valeurs régnantes se dégage mal d'une peinture sociale où les contradictions éclatent moins qu'à l'ordinaire. 11/04/02
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Querelle (Querelle, Ein Pakt mit dem Teufel) RFA VO (anglo-américain) 1982 120' ; R., Sc. R.W. Fassbinder, d'après Jean Genet ; Ph. Xavier Schwarzenberger ; Déc. Rolf Zehetbauer ; M. Peer Raben ; Pr. Planet Film-Gaumont ; Int. Brad Davis (Querelle), Franco Nero (lieutenant Seblon), Jeanne Moreau (Lysiane), Laurent Malet (Roger), Hanno Poschl (Robert et Gil), Gunther Kaufmann (Nono).

   Le navire du marin Querelle, dont est amoureux le lieutenant Sablon, personnage narrateur, fait escale à Brest. Au cabaret-bordel la Féria, Querelle retrouve son frère Robert, amant de la patronne Lysiane (Jeanne Moreau : Galerie des Bobines). Les clients jouent les prostituées aux dés avec Nono le patron, époux de Lysiane. S’ils perdent, il les sodomise. Querelle joue ainsi la patronne. Trichant pour perdre, il est sodomisé par Nono. Il finira par coucher avec Lysiane qui le désire, mais ce n’est pour lui que diversion. Il découvre que s’il aime un homme il doit jouer le rôle actif à son tour.  
   Par ailleurs, il incline à patauger dans les trafics louches, tue un complice et se lie avec un autre meurtrier, double physique de son frère, qu'il aime mais donne à la police "par sacrifice".

   Pour exprimer un monde irreprésentable, toujours en position de viol des interdits : meurtre, délation, sodomie, vampirisme, etc., Fassbinder a choisi la stylisation des décors, des costumes, des gestes (ballet de la lutte, marins au travail circonscrits dans un petit carré comme sur un ring) de l'éclairage (visages bleus, rouges, verts), du son, du temps par l'anachronisme (jeux électroniques, moto Suzuki à l'image et au son et magnétophone miniaturisé dans un décor d'avant-guerre) et de l'espace par la condensation de lieux éloignés (Brest en port colonial). Les procédés paraissent relever du théâtre plus que du cinéma, mais ils satisfont surtout au parti pris de l'artifice affiché à l'encontre du vain naturalisme. C'est l'extérioration des contradictions et de la violence constitutives de la condition humaine qui fait œuvre de vérité.
   Ainsi celle-ci éclate-t-elle dans un jeu poétique où intervient sur cartons blancs le très beau texte de Genet ("Nous aimerions lier l'idée du chagrin à ces moments où Querelle sentait les rides légères de l'oubli sur son corps ravagé") et des citations de Plutarque, ainsi qu'un portrait de Saint-Just par Paganel.
   Entreprise quasi-mystique consistant à se charger du pire pour que le bien ne soit pas seulement le mépris (la censure) du mal. L'existence de Querelle est pathétiquement déniée à la fin comme sorte de récupération sociale d'une expérience cruciale dans un monde résolument dédié à la part homo du bisexuel Fassbinder. Superbe musique empoisonnée de Peer Raben, qui semble tenir le rôle du brouillard du roman de Genet : chœurs vaguement mystiques modulés en decrescendo avec point d'orgue à l'orgue, jazz à la Reinhard, tango.
   Aucune concession, paraît même se foutre du monde. 1/06/00
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Paul FEJOS
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Fantômas Fr. N&B 1932 78' ; R., Sc. P. Fejos, d'après Souvestre et Allain ; Ph. Roger Hubert ; Pr. Braunberger/Richebé ; Int. Jean Galland (Fantômas), Thomy Bourdelle (Juve), Tania Fedor (Lady Beltham), Marie-Laure (marquise de Langrune), Gaston Modot (Firmin), Georges Rigaud (Charles Rambert).

   L'assassin de la marquise de Langrune, qui n'est autre que Fantômas, parvient à échapper à l'inspecteur Juve.

   Fantômas est le prétexte d'un polar d'époque tout ce qu'il y a de plus plat, avec sifflements lugubres dans un château et deux assassinats par strangulation avec l'assistance des accessoires les plus modernes : train, automobile, avion. Bien entendu Fantômas, à force de sauter des trains et des voitures en marche, réussira à s'échapper pour d'autres épisodes… 12/02/01 Retour titres Sommaire

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Federico FELLINI
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La Strada It. VO N&B 1954 ; R. F. Fellini ; Sc. F. Fellini, Tullio Pinelli, Ennion Flaiano, d’ap. F. Fellini et Tullio Pinelli ; Ph. Otello Martelli ; M. Nino Rota ; Pr. Ponti/De Laurentiis ; Int. Giulietta Masina (Gelsomina), Anthony Quinn (Zampano), Richard Basehart (Il Matto).

   Gelsomina, jeune fille simplette, est achetée dix-mille lires à sa mère par le baladin Zampano qui l’enlève sur son triporteur. Elle assiste cet athlète de foire dans le spectacle itinérant dont le clou consiste à forcer une chaîne de fer en bombant la poitrine. Bien que traitée en esclave, tentée plus d’une fois de rentrer chez elle et souffrant de ses incartades féminines, elle aime en silence cet homme fruste et brutal. Zampano ayant tué sans le vouloir un gentil funambule qui le narguait, Gelsomina perd l’esprit. Il l’abandonne, mais quelques années plus tard s'effondre de chagrin en apprenant sa mort.

   Allégorisé par le cheminement itinérant, récit initiatique d’une brute épaisse qui découvre sa propre humanité longtemps après la mort de l’idiote qu’il avait traitée comme un chien.
   Influence néoréaliste dans tel décor en plan d’ensemble de buildings d’après-guerre entourés de terrains vagues occupés, aux plans visuel et sonore, par une population composée de nombreux enfants, ou plus serré d’un bistro devant lequel se chamaillent des ivrognes au fond d’une vaste place sillonnée par des rails. À la différence d’un Rossellini cependant la religion, fait culturel comme un autre, est un moyen de caractériser l’intrigue et les personnages. Le parcours routier comporte deux épisodes relatifs à l’église : halte dans un couvent et procession. C’est l’aspect humain qui prévaut au couvent : la sœur qui prend en affection Gelsomina est sœur de cœur. Les larmes de l'’adieu du petit matin sont un rappel du départ de la maison familiale. Quant à la procession elle constitue le matériau d’une vision proprement fellinienne.
   Faisant suite à la parade des trois musiciens rencontrés sur le chemin, auxquels Gelsomina emboîte le pas, par la transformation comique de la farandole en marche funèbre sur le même thème musical, elle met surtout en valeur la naïve dévotion de l’héroïne, qui ne diffère pas de celle portée à la performance du funambule. Ici Fellini dépasse magnifiquement le réalisme naïf au profit d’une approche de l’insondable humanité. Jusqu’à prendre des risques véritablement artistiques tel le dévoilement soudain de la dextérité de Gelsomina à la trompette, sorte d’événement fantastique à la mesure de la pureté du personnage.
   Ce n’est cependant jamais par un dérèglement du monde cognitif au moyen de l’alchimie du langage filmique. Voilà sans doute pourquoi la musique a si grande importance : elle supplée une incapacité d’écriture. On a dit que Fellini était un génie. Oui mais thématique, pensant le filmable avant le filmique. Ce qui fait la valeur de La Strada, c’est le jeu extraordinaire des protagonistes, le pittoresque triporteur, le monde marginal du cirque, l’attention prêtée aux petites gens. C’est même l’imagination photographique : voyez ces vaguelettes noires bordées de blanc venant mourir sur le rivage nocturne comme des faire-part de décès dans le dernier plan. Mais, rien ne sort du filmage lui-même. Les cadrages, au-delà du style néoréaliste, sont strictement subordonnés aux besoins narrato-cognitif. De même que les mouvements d’appareil sont réglés sur les mouvements de champ sans nul sens de l’économie, et le montage repose platement sur le fondu-enchaîné de transition. Et pourtant, ça reste inimitable. 3/03/10
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Il Bidone It.-Fr. VO N&B 1955 108' ; R. F. Fellini ; Sc. F. Fellini, Tullio Pinelli, Ennio Flaiano ; Ph. Otello Martelli ; M. Nino Rota ; Pr. Titanus/SGC ; Int. Broderick Crawford (Augusto), Richard Basehart (Carlo dit Picasso), Franco Fabrizi (Roberto), Giuletta Masina (Iris).

   Membre vieillissant d'une petite bande d'escrocs minables, Roberto peut mesurer sa médiocrité face à un ancien codétenu, richissime escroc de haut vol qui le méprise. Quand il tente de se rapprocher de sa fille restée avec sa mère et de l'aider pour ses études, il est reconnu par une victime et arrêté sous les yeux de l'adolescente. Dans l'une de leurs expéditions ordinaires chez les paysans, où déguisés en dignitaires ecclésiastiques ils déterrent un faux trésor légué, moyennant financement substantiel d'une kyrielle de messes au propriétaire du terrain par un prétendu défunt repenti, Roberto se laisse émouvoir par une jeune paysanne infirme de l'âge de sa fille. Il prétend ensuite lui avoir abandonné l'argent, mais ses acolytes le tabassent, trouvent l'argent sur lui et l'abandonnent dans un désert montagneux où il agonise.

   Pourtant authentique, la crise morale ne parvient donc pas à amender l'escroc. Le meilleur de ce mélange de néoréalisme et de comédie noire, est dans la dérision fellinienne éclatant dans certains plans. Le peintre du dimanche Carlo invité avec Roberto a naïvement apporté une de ses croûtes chez l'escroc riche et donc forcément connaisseur, lequel y jette un coup d'œil distrait puis passe à autre chose. Un peu plus tard, tandis qu'au premier plan le maître des lieux danse avec sa maîtresse parmi les invités, on voit plusieurs fois "Picasso" fugitivement à l'arrière plan dansant avec sa femme, le tableau sous le bras, et une dernière fois ostensiblement à la faveur d'un léger décadrage.
   Ou bien
, son complice Augusto au cabaret fait la cour à une femme cadrée poitrine, dont un recadrage révèle qu'elle est en collant transparent avec un gros nœud sur les fesses. Et tandis que les escrocs s'émerveillent d'un cabriolet qu'ils ont "emprunté", des voitures américaines rappelant celle de l'escroc riche passent à l'arrière-plan.
   On retrouve aussi l'ambiance mélancolique des désertiques rues de bourgade nocturne où traînent ces bricoleurs en déshérence. Mais l'œuvre en son ensemble reste banale. Le trio du début composé avec une intention pittoresque inspirée du burlesque, d'un gentil à gueule d'ange, d'un dragueur futile et d'un loser, a un relent de déjà-vu. Le pathétique de la rencontre du père et de la fille aurait gagné à s'épargner les violons auxiliaires. Enfin, la fin réaliste de Roberto annule la dérision de sa fausse crise morale. Il n'y a pas dépassement mais juxtaposition de genres.
   En tout état de cause, c'est moins abouti que les productions de la même décennie (
La Strada, 1954 ; Le Notti di Cabiria, 1957). 31/08/01 Retour titres Sommaire

La dolce vita It.-Fr. VO N&B 1960 178' ; R. F. Fellini ; Sc. F. Fellini, Tullio Pinelli, Ennio Flaiano, Brunello Rondi ; Ph. Otello Martelli ; Mont. Leo Cattozo ; Déc. Piero Gherardi ; M. Nino Rota ; Pr. Riama/Pathé ; Int. Marcello Mastroianni (Marcello), Anita Ekberg (Sylvia), Anouk Aimé (Maddalena), Yvonne Fourneaux (Emma), Lex Barker (Robert), Alain Cuny (Steiner), Nadia Gray (Nadia), Magali Noël (Fanny), Valerai Ciangottini (Paola), Annibale Ninchi (le père de Marcello), Niko (Niko). Palme d'or, Cannes 1960.

   Récit fleuve décousu au rythme des tribulations à Rome de Marcello, journaliste qui fréquente le grand monde : un personnage falot, intellectuel raté, fiancé à Emma, vraie future mamma romaine qui, trompée régulièrement par ce fureteur nocturne impénitent, fait une tentative de suicide. Sous couvert de cette agitation primesautière sont satiriquement traversées les situations les plus contrastées, frasques d'une star américaine scandaleuse ou faux miracle traité comme grand spectacle populaire. Steiner est un ami cultivé qui seul rattache Marcello à ses rêves perdus d'une plus noble carrière. En se suicidant après avoir pris la vie de ses deux enfants, il incarne tragiquement l'ultime fait-divers qui, par dégoût, fait basculer Marcello définitivement dans la mondanité en devenant "public relation", sorte de bouffon voué à tirer les riches de leur élégant ennui. Un dernier signe du destin révolu lui est alors vainement adressé par une angélique adolescente (Paola) qui avait un moment attiré sa sympathie dans le café où elle était serveuse. À la fin il tombe sur un monstre marin échoué sur la rive, sorte de grotesque allégorie de son échec.

   Tout est surtout, comme presque toujours chez Fellini, dans la beauté des idées. Au générique, un hélicoptère dans lequel a pris place Marcello, transporte à destination du Pape au-dessus de Rome la statue d'un Christ bénissant le monde, ce qui est l'occasion pour le journaliste de batifoler à distance avec des jeunes femmes se prélassant en maillot de bain sur le toit en terrasse d'un immeuble. L'hélico fait donc le lien ironique entre les enjeux du récit via un substitut de la grue cinématographique. Marcello est, sur un mode blasphématoire, une sorte de Christ qui sera dérisoirement sacrifié sur l'autel de la "société du spectacle", celle où l'on a cessé d'être acteur de sa propre existence. 
   À travers un bavardage incessant qui a forme de reportage en 
scènes in extenso, percent des moments de grâce. Deux surtout me semblent éléments-clés : l'épisode, longuement préparé, du suicide et la rencontre de Paola.
    Prélude de comédie, le suicide raté d'Emma. Puis coucher silencieux des petits de Steiner sous des voiles de mousseline prémonitoires. Enfin, après le massacre, l'arrivée en bus de l'épouse qui ne sait encore rien et s'étonne de ces paparazzi qui, sans musique, virevoltent autour d'elle avec des frôlements ailés. "Paparazzi", pluriel de Paparazzo, le photographe de Marcello, en est devenu un mot de la langue internationale.
   Après le suicide, Marcello qui a quitté le journalisme et traîne sur une plage sa bande de riches est hélé de loin, sur l'autre bord d'un petit estuaire par la petite Paola, qu'il avait en passant comparée à un ange à un moment quelconque de l'intrigue. Mais, happé par la servitude de son nouveau job, il décline l'invitation à la rejoindre. Comme si après le choc du drame de Steiner, son idéal vivant disparu, il devait s'enfoncer davantage dans la médiocrité au lieu de saisir
le Kaïros par les cheveux.
    Pour le reste, caméra - quand elle ne cède pas au vertige de plans wellesiens - et montage sont sagement au service du signifié, que
sursignifie la musique auxiliaire, même si Fellini s'amuse à en relativiser le dictat en l'originant parfois, par surprise, dans la fiction, ce qui n'est pas vraiment original (on s'aperçoit que c'était la radio de la voiture quand Maddalena l'éteint). 23/06/14 Retour titres Sommaire

Juliette des esprits (Giulietta degli spiriti) It. VO 1965 110' ; R. F. Fellini ; Sc. F. Fellini, Tullio Pinelli, Brunello Rondi, d'après F. Fellini et Ennio Flaiano ; Ph. Gianni di Venanzo ; Mont. Ruggero Mastroianni ; M. Nino Rota ; Pr. Angelo Rizzoli/Federiz (Rome)/Francoriz (Paris) ; Int. Giulietta Masina (Giulietta), Sandra Milo (Susie, Iris, Fanny), Mario Pisu (Giorgio).

   Pour Juliette, bourgeoise comblée qui a découvert que son mari et premier amour adulé la trompait à tour de bras, tout bascule. Elle cherche éperdue autour d'elle une issue à sa souffrance, dans son passé, dans le spiritisme, dans ses fantasmes, rêves et hallucinations, et même en affrontant la vérité de l'adultère à l'aide d'un détective. Cette descente aux profondeurs de son être lui apprendra qu'elle ne doit compter que sur elle-même et que ses seuls amis sont les arbres.
   Son plus vieux souvenir la ramène à ses six ans, à la fête de l'école où elle incarne le martyre de la sainte sur le grill. Son grand-père, chaud lapin ayant enlevé une ballerine, fait un scandale et interrompt le spectacle pour sauver sa petite fille de l'influence pernicieuse selon lui de l'enseignement religieux. Puis sur l'incitation d'un esprit appelé Iris, rencontré durant une séance de spiritisme et qu'elle identifie à la ballerine, ses fantasmes et hallucinations s'orientent sur la luxure. Elle fréquente Susie, une riche voisine obsédée sexuelle et sosie de la ballerine du souvenir. Puis son mari la présente, avec arrière-pensée, à un séduisant Espagnol qui la courtise discrètement. Tous les personnages composant ces situations, y compris sa mère, une beauté intemporelle assez méprisante, l'incitent à être aussi volage que Georgio.

   Réel et irréel se confondent parfois, et la prédiction d'un charlatan se trouve réalisée, ou bien un rêve de Susie fait allusion incidemment à l'épisode du martyre. De plus, en jouant sur sa guitare l'air "de fosse", le bel Ibère brouille les frontières de la fiction. Surtout, la réalité est encore plus délirante que le rêve diurne ou nocturne, car Fellini en épinglant snobisme, faux-semblants et charlatanisme, nous régale d'une galerie de portraits fantasmagoriques. Se promenant vêtue d'une tunique semblable à une robe courte en compagnie d'une grande femme en plan large, Juliette ressemble à la fillette de l'épisode du martyre. À la fin dans un rêve diurne, elle se révolte contre sa mère et libère de ses liens la jeune martyre qui court vers son grand-père. Mais soudain adulte, elle s'entend dire qu'elle peut maintenant se débrouiller toute seule.
   Malgré l'actrice, les idées et la musique exceptionnelles, le film reste assez sage, sans vouloir nier son pouvoir de dérision et la force de certains plans délirants - notamment les fantasmes de Juliette - dont l'auteur a le secret. Comment est-ce possible ? Justement, et c'est exemplaire, ni l'imagination ni la musique, ni l'acteur, en soi, ne contribuent à la
filmicité (1).
   Trop souvent la valeur de l'image repose ici sur l'accompagnement musical tenant lieu de discours. On a parlé, à propos de l'effet Koulechov, du rôle déterminant du commentaire sur le sens des images. Pourquoi en irait-il autrement du commentaire musical ? 24/08/02
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Amarcord It.-Fr. VO Panavision-Technicolor 1973 118'
Commentaire

Intervista It. VO 1987 112' R. F. Fellini ; Sc. F. Fellini, avec la collaboration de Gianfranco Angelucci ; Ph. Tonino Delli Colli ; M. Nicola Piovani ; Pr. Aljosha Production/Fernlyn/RAI 1/Cinecitta ; Int. Sergio Rubini (le journaliste), Maurizio Mein (l'assistant réalisateur), Anita Ekberg, Marcello Mastroianni et toute la troupe du film.

   Fellini tourne un film adapté de L'Amérique de Kafka. Il est interviewé par une équipe de reporters japonais, élément de distanciation ironique s'ajoutant au pittoresque du jeu des acteurs d'acteurs. Film dans le film où se mêlent passé et présent de Cinecitta, à la fois didactique du filmage, nostalgie du cinéma d'autrefois (on revoit notamment la scène de la fontaine de La dolce vita, confrontée avec Ekberg et Mastroianni d'aujourd'hui), nostalgie aussi de Nino Rota que pastiche Nicola Piovani, évocation de l'ambiance familiale du tournage avec référence à la vie de cirque et fantaisie fellinienne dite poétique : la scène dans le faux tramway devient un véritable trajet dans la ville d'avant-guerre et l'équipe est victime d'une fausse attaque indienne au final.

   L'auteur de La dolce vita a l'art de parler de lui avec une apparente modestie, ce qui n'empêche que le succès du film repose sur la réputation du maestro. Authentique créateur jusqu'en 1970-1971, Fellini s'endormit sur ses lauriers après le magnifique accomplissement dans Amarcord et autres Clowns de son thème fétiche sur le mode tragi-cocasse : la nostalgie. 22/04/01 Retour titres Sommaire

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Pascale FERRAN
liste auteurs

Petits arrangements avec les morts Fr. 1994 108' ; R. P. Ferran ; Sc. Pierre Trividic, Pascale Ferran et Arnaud Desplechin ; Ph. Jean-Claude Larrieu ; M. Béatrice Thiriet ; Pr. Eclipsa, la Sept, Cinéa, Paneuropéenne ; Int. Didier Sandre (Vincent, le constructeur du château), Charles Berling (François, son frère cadet), Catherine Ferran (Zaza, leur sœur), Guillaume Charras (Jumbo, l'enfant).

   Puzzle réaliste de l'histoire, sur la côte bretonne, d'une famille et d'un petit garçon qui furent confrontés à la mort d'un proche. Un château de sable indéfiniment détruit par la mer puis soigneusement retaillé au couteau par Vincent rassemble tout le monde au final, avant d'être définitivement absorbé par les vagues comme une mise en abyme. Chacun aura pu y projeter sa rêverie sur la mort.

   Sorte de documentaire-fiction à "plus-value sémantique", autrement dit d'une originalité assez conventionnelle. 10/04/00 Retour titres Sommaire

L'Âge des possibles Fr. 1995 105' ; R., Sc. P. Ferran ; Ph. Jean-Marc Fabre ; Son Jean-Jacques Ferran ; Pr. Agat Films & Cie/Théâtre National de Strasbourg ; Int. Anne Cantineau, Pascale Bussière, Denise Bombardier.

   Film de groupe humanisé par la vision tendre portée sur les personnages, notamment en focalisant sur le regard des protagonistes ou par l'éclairage, le choix de l'expression d'une physionomie, le cadrage. La musique auxiliaire peut être un déterminant narratif à cet égard. Le mode d'articulation des diverses tendances idéologiques ou des comportements, traduit globalement une vision unitaire.
   Il s'agit de la vie à Strasbourg d'un milieu étudiant, où s'entrecroisent des parcours, se font et se défont des destins. Beauté de "plus-value sémantique", une fois de plus. 03/00
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Abel FERRARA
liste auteurs

King of New York USA VO 1989 109' ; R. A. Ferrara ; Sc. Nicholas St. John ; Ph. B. Bazelli ; M. J. Della ; Int. Christopher Walken (Frank White), David Caruso (Dennis Gilley), Larry Fishburne (Jimmy Jump), Welsey Snipes (Thomas Flannigan).

   Sortant de prison, le caïd Frank White entend toujours régner sur les milieux new-yorkais au prix de meurtres sanglants. Sa bande composée essentiellement de Blacks remuants, jouisseurs et intrépides lui est restée fidèle. Il ambitionne de devenir maire et soutient la construction d'un hôpital pour les pauvres. Mais une équipe de la police qui a juré de le coincer se résout, dans son impuissance, à lui tendre un traquenard avec la complicité d'un de ses lieutenants corrompu à prix d'argent. À l'enterrement des flics tués dans l'opération, réchappé de justesse, Frank abat un meneur puis va s'expliquer avec le chef. Ce qui se termine par une fusillade dans le métro où tous sont mortellement touchés. Frank s'éteint un peu plus tard dans un taxi cerné par les forces de l'ordre.

   Christopher Walken avait déjà prouvé dans Dead Zone qu'il était un acteur fascinant, à la fois personnel et multiple. Le mérite de Ferrara est d'avoir mis en évidence ses potentialités sans tomber dans le fétichisme de l'acteur. Son visage (Galerie des Bobines), exprime tout le drame de l'ambivalence du gangster : un humain qui doit faire preuve d'inhumanité. Le motif de la fin poignante du méchant fût-il rebattu dans le cinéma hollywoodien, sa mort n'est pas dénuée d'un certain pathétique.
   La qualité photographique et la composition de l'image saturée de poisseuse vie urbaine sont telles qu'elles confinent à une irréalité propice au thriller, dont la violence doit rester ludique. Le spectateur peut à la fois s'identifier et se distancier. Que demander de plus au polar ? 20/05/01
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Marco FERRERI
liste auteurs

Le Lit conjugal (Una storia moderna : l'ape regina) It.-Fr. VO N&B 1963 90' ; R. M. Ferreri ; Sc. M. Ferreri, Rafael Azcona, Diego Fabbri, Massimo Franciosa, Pasquale Festa Campanile ; Ph. Ennio Guarneri ; M. Teo Usuelli ; Pr. Sancro Film Marceau Cocinor ; Int. Marina Vlady (Regina), Ugo Tognazzi (Alfonso), Walter Giller (le père Mariano), Riccardo Fellini Riccardo).

   Important concessionnaire automobile romain, quadragénaire et coureur de jupons, Alfonso épouse Regina qui l'épuise au lit, avec la complicité inconsciente du curé répliquant aux doléances : "C'est un désir sacré. On ne peut s'y soustraire". Le fringant mari finit paralysé, relégué dans une petite pièce au fond du grand appartement qu'ils partagent avec la tante de Regina, tandis que la jeune épouse prend en charge les affaires. Sur fond de chandelles votives, le gros plan d'une femme rayonnante coiffée de noir conclut assez funèbrement l'intrigue.

   Ce qui est terrifiant c'est que tout s'y déroule en douceur. À peine la caméra insiste-t-elle par un zoom à la dérobée sur le visage dur de la jeune mariée. Les événements succèdent aux événements sans à-coups, comme d'une mécanique bien huilée.
   Le verbe aimer n'a bientôt plus le même sens dans la bouche des époux. On continue à le proférer avec autant de dévotion, mais sa référence a basculé. D'autant plus "épanoui" que Regina lui a donné un enfant, Alfonso reste béatement satisfait de son mariage, "Il a de la chance, lui", comme il se l'entend confier par un ami. Le décalage avec ce que sait le spectateur relève du registre général de l'humour noir, qui émerge avec d'autant plus de force que, non seulement Alfonso est toujours légèrement ironisé, comme lorsque la voisine l'interpellant de l'autre côté de la cour est surcadrée au coin supérieur droit par un élément du
grillage (le supposant lui-même symétriquement encadré), mais surtout parce que la mort rôde tout au long.
   
À l'instigation de la mariée, la première étreinte dans un édifice religieux en réfection a lieu, après un hommage rendu au saint cadavre d'une femme à barbe, au milieu des plumes où repose un squelette-relique. À l'enterrement de la mère d'Alfonso - qui précipite la décrépitude du fils - une querelle de marchands éclate pendant la bénédiction parce qu'on a livré un cercueil d'homme. Ce qui donne lieu à des étalonnages indécents à la main puis à l'aide d'un mètre pliant, sous les yeux du fils éploré. Dans la dernière séquence enfin, le traitement particulier du baptême laisse croire qu'il s'agit de l'enterrement du héros.
   Une musique auxiliaire discrète, sachant parfois même s'effacer, jusqu'à permettre au besoin des plages de silence total, prête main-forte à la distanciation nécessaire.
   Précoce mais authentique Ferreri, en ce sens que la mort y côtoie la dérision, comme son plus naturel aliment. 10/04/04
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La Dernière femme (L'ultima donna) It.-Fr 1976 110' ; R. M. Ferreri ; Sc. M. Ferreri, Dante Matelli, Rafael Azcona ; Ph. Luciano Tovoli ; M. Philippe Sarde ; Pr. Flaminia/Production Jacques Roitfled ; Int. Gérard Depardieu (Gérard), Ornella Mutti (Valérie), Michel Piccoli (Michel).

   Ingénieur, au chômage en raison d'un mauvais caractère, largué par son épouse militante féministe, Gérard élève seul son bébé Pierro à Créteil dans un environnement cauchemardesque de cages à lapins. Il se met en ménage avec Valérie, douce Vénus qui prend aussitôt soin de Pierro. Petit à petit le malentendu fondamental ronge la vie du couple : l'amour masculin est commandé par un tiers impérieux : le pénis. Le féminin exige la totalité. Il n'y a qu'une solution, éliminer l'intrus. C'est ce que fait Gérard en s'émasculant.

   L'intérêt gît surtout dans la démonstration, comme s'il y avait urgence dans le contexte de la libération sexuelle et des revendications féministes, à formuler une telle problématique.
   Aussi bien, les décors se laissent-il inspirer par des valeurs sûres (l'usine du
Désert rouge d'Antonioni, les HLM du réalisme social de l'époque), ce qui entraîne, nonobstant la part du malaise social ainsi exprimée, une certaine restriction quant à la liberté filmique, notamment dans le traitement de la couleur, qui sacrifie à la mode vestimentaire et décorative du temps.
   L'atout majeur réside dans le tragique de la cause perdue. Tragique au sens fort du terme : imparable et destinal. Le couteau électrique est un accessoire déjà anormalement sollicité, notamment à l'usage aussi suggestif que gratuit du débitage de saucisson gros calibre. La nudité impudique de Gérard met en valeur le contraste entre la carrure de l'homme et la fragilité de l'organe, dénonçant le mythe de la puissance virile. Une série grotesque de symboles comme la cerise double ou l'énorme canon construit pour amuser Pierro figure la même fatale désillusion.
   Sauf dans la direction d'acteur, qui ne fait aucune concession au star-system et imprime à l'intrigue une marche primesautière à la limite du casse-gueule (un des meilleurs rôles de Depardieu avec Loulou de Pialat (Galerie des Bobines), la griffe de Ferreri s'affirme donc davantage par l'illustration d'un thème que par le risque artistique
(1).
   La Dernière femme n'en demeure pas moins irremplaçable en raison de l'audacieuse radicalité du propos. 2/08/04 Retour titres Sommaire

Conte de la folie ordinaire (Storia di ordinaria follia) It.-Fr. VO (US) 1981 108'
Commentaire

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Mike FIGGIS
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Leaving Las Vegas USA VO 1995 111' d'après John O'Brien ; R. M. Figgis ; Ph. Declan Quinn ; M. Mike Figgis ; Int. Nicolas Cage (Ben), Elisabeth Shue (Sera), Julian Sands (Yuri), Richard Lewis (Peter).

   Un alcoolique profond (Ben) largué par sa femme et viré de son travail de scénariste, et une prostituée (Sera) émancipée de son mac (Yuri), s'aiment à Las Vegas en s'acceptant tels qu'ils sont. Il succombe, elle se souvient.

   Le thème, aussi intéressant fût-il, ne fera jamais un film. Celui-ci est composé comme une succession de clips fétichistes de la ville mythique en nocturne, du sexe, et de la musique de Mike Figgis sur le rythme jazzy de laquelle se succèdent les épisodes avec une prétention de drame éthylique et marginal.
   Le sexe, du coup, n'est pas même excitant. "Une histoire d'amour, de frustration et de mort peu commune" pouvait-on lire dans
Télérama du 8 novembre 2000 : comme mentent bien les mots qui s'aimantent ! 4/01/01 Retour titres Sommaire

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Ivan FILA
liste auteurs

Le Roi des voleurs (König der Diebe) All./Slovaq. VO 2004 105'
Commentaire

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David FINCHER
liste auteurs

Fight Club USA VO 1999 133'
Commentaire

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Emmanuel FINKIEL
liste auteurs

Voyages Fr.-Pol. 1999 115' ; R., Sc. E. Finkiel ; Ph. Hans Meier, Jean-Claude Larrieu ; Son Pierre Gamet et François Waledisch ; Mont.-son Jean-Claude Laureux ; Mix. William Flageolet ; Mont. Emmanuelle Castro ; Pr. Yaël Fogiel ; Int. Shulamit Adar (Riwka), Liliane Rovère (Régine), Esther Gorintin (Véra), Nathan Cotgan (Graneck), Maurice Chevit.

   Récit du destin croisé de trois survivantes de la Shoah. Tombe en panne un car peuplé de vieux Ashkénazes rescapés des camps de la mort allant visiter Auschwitz.
   Riwka, Israélienne au beau visage soucieux qui se chamaille sans merci avec son époux, dévisage un vieil homme dans un véhicule de même destination qui les croise, comme si elle devait y discerner à travers le vitrage du temps et de la mort les traits d'un premier amour. D'autres visages estompés défilent tels des fantômes. Les passagers vont faire leurs besoins dans la nature à l'instar du fatal premier voyage.
   À Paris, Régine qui se croyait seule rescapée de sa famille apprend que son père vit toujours en Pologne. Elle le fait venir mais doute que celui qu'elle chérit et appelle déjà Papa soit le vrai.
   Solitaire depuis la mort de son mari à Moscou, Vera a suivi des voisins de palier en Israël pour y rejoindre une cousine. Après avoir péniblement trottiné à travers Tel Aviv, où le yiddish ne se pratique plus guère, elle la retrouve dans une maison spécialisée, très changée après un quart de siècle. Mais prise d'un malaise au retour elle est secourue par une certaine Riwka, qui l'accueille dans sa maison entourée d'un joli jardin. Puis la vieille émigrante va attendre le bus en face. L'observant avec inquiétude à travers ses carreaux, Riwka s'aperçoit que, trop fatiguée, elle laisse passer un premier bus. Mais le temps d'un appel au téléphone, Vera a disparu, emportée dans le bus suivant, avatar de celui d'Auschwitz. Restent à travers la fenêtre, les sièges de la station, vides à l'image de la mort qui n'a cessé d'accompagner tous ces voyages par les réminiscences, les méprises et les oublis, la quête de figures évanouies, les coïncidences où les mystérieuses attractions, tout un fin réseau tissant cette insaisissable étoffe de la destinée humaine où la vie s'unit à la mort, et qui s'inscrit si bien sur ces visages de femmes.

   Seule la vérité de la sensible chair féminine pouvait matérialiser l'impalpable. Et le parti pris documentariste parvient à donner corps à une métamorphose inédite de la tragédie, sous la forme d'une très longue quête proportionnée au travail de deuil d'un peuple. D'où "Voyages". 4/11/01 Retour titres Sommaire

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Gary FLEDER
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Dernières heures à Denver (Things to do in Denver) USA VO 1995 110' ; R. G. Fleder ; Sc. Scott Rosenberg ; Ph. Elliot Davis ; Pr. Cary Woods ; Int. Andy Garcia (Jimmy "The Saint" Tosnia), Christopher Walken (le Manipulateur), William Forsyth (Franchise), Bill Nunn (Easy Wind), Teat Williams (Critical Bill), Jack Warden (Joe Heff), Gabrielle Anwar (Dagney).

   Un gangster reconverti dans les vidéos de défunts à n'utiliser qu'après décès, est forcé de se remettre au service d'un grand caïd qui l'a rendu financièrement son obligé. Couple infernal dynamisé par le contraste manichéiste : lui, Jimmy-le-saint, chevalier au grand cœur qui sauve une prostituée mineure (réminiscence de Taxi Driver), aimé de la jeune Dagney incarnant l'idéal de la Middle Class, fair-play avec ses amis, bref, accaparant toutes les valeurs idéologiques positives ; l'autre le Manipulateur (!), veuf inconsolable et monstre tétraplégique à tête de sphinx (Christopher Walken, Galerie des Bobines) dont le fauteuil piloté en soufflant dans une tubule, roule sur les dalles de marbre d'un palais dont la démesure se devine à la brume opacifiant la perspective, sobrement meublé de deux gardes du corps et d'une nurse érotiquement décorative.

   Quelques flash-back éblouissants comme de vrais flashes-photo nous exp(l)osent les tenants du contrat. Bernard, le rejeton psychopathique du Manipulateur, sombre dans la pédophilie depuis que sa fiancée lui a préféré un autre. Il convient donc de l'éloigner par la terreur avec instruction expresse de ne point tuer. Jimmy recrute ses anciens compagnons de prison pour l'intercepter, déguisés en flics sur une désertique route nocturne. Mais par faiblesse il abandonne un des premiers rôles du scénario à un affreux jojo qui fait un carnage fatal même à la fiancée.
   Le Manipulateur les condamne à l'atroce agonie du "sarrasin", commuée pour Jimmy en peine d'exil. Mais ayant différé celui-ci pour sauver ses copains à l'aide de son pécule secret, il est touché par la peine commune ainsi que sa maîtresse. Avant de mourir, il quitte la belle Dagney pour la préserver, exécute Bernard, engrosse pour lui complaire sa jeune prostituée et adresse à son bourreau un de ses produits vidéo où il apparaît en défunt vengeur. Toute l'équipe se retrouve pour des vacances éternelles sur le bateau de leur rêve. Le Manipulateur moralement vaincu renonce à ses activités criminelles.
   Rythmé par les vidéos de défunts, le récit tente encore d'éviter la linéarité en introduisant dans la diégèse le conteur, un ancien codétenu. Mais la performance
porte également sur les trajectoires étudiées d'une infatigable caméra fouettée par une "fosse" branchée. Ou bien, pour les scènes sentimentales, sur de long plans fixes intenses à musique élégiaque.
   Plus c'est poussé plus c'est vide. Vide poussé. 26/07/02
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Richard FLEISCHER
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Soleil vert (Soylent Green) USA VO Panavision-couleur 1973 97'
Commentaire

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Anne FONTAINE
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Entre ses mains Belg.-Fr. 2005 90' ; R. A. Fontaine ; Sc. Julien Boivent et A. Fontaine, d'apr. le roman Les Kangourous de Dominique Barbéris ; Ph. Denis Lenoir ; M. Pascal Dusapin ; Pr. Philippe Carcassonne, Bruno Pésery et Dominque Janne ; Int. Isabelle Carré (Claire Gauthier), Benoît Poelvoorde (Laurent Kessler), Jonathan Zaccaï (Fabrice Gauthier), Valérie Donzelli (Valérie).

   Employée dans une compagnie d'assurance à Lille, Claire Gauthier, mariée et mère d'une fillette de cinq ans, a en charge le dossier de dégât des eaux du vétérinaire Laurent Kessler, qui la courtise. Elle est attirée par cet homme triste et désabusé dont le comportement amoureux étrange l'amène à faire le rapprochement avec un tueur en série, au scalpel, de jeunes femmes. En effet sa meilleure amie, que Claire savait en contact avec lui, est assassinée de cette façon. Non contente de le protéger en gardant le silence, elle le rejoint dans son laboratoire. Il tente de l'égorger puis renonce et se suicide. 

   Scénario sur le fil du scalpel, filmé avec platitude comme s'il suffisait de simplement représenter la passion pathologique pour que la force dévastatrice en traverse l'écran. Tout le soin est versé au profit du vraisemblable. D'un côté le travail du vétérinaire, avec de vrais lionceaux si touchants, l'ambiance d'une grande compagnie d'assurance de l'autre.
   Or seule la liberté de jeu entre les éléments - que bride le vraisemblable - eût pu être à la hauteur d'une telle situation limite. Le contre-emploi de Poelvoorde en solitaire lugubre sonne faux. Le contraste trompeur eût même été préférable, à faire jouer la surprise d'un psychopathe fôlatre, à la mesure des capacités de l'acteur. Carré, quant à elle, est parfaite dans son rôle, enfermée dans un professionnalisme éclairé, qui ôte toute crédibilité à cette relation atypique, à ce saut amoureux dans le vide !
   Au total, les données du filmage ne sont jamais considérées comme un matériau transformable. Comme si le simulacre, la reproduction d'une réalité artificiellement constituée, était la vérité, et qu'on pouvait s'épargner la peine des subterfuges propres à toucher le spectateur là où il ne peut s'attendre à l'être. 23/04/15
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Frédéric FONTEYNE
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Une liaison pornographique Belg.-Fr.-Lux. 1999 72' ; R. F. Fonteyne ; Sc. Philippe Blasband ; Ph. Virginie Saint Martin ; M. Jeannot Sanavia, André Dziezuk, Marc Mergen ; Pr. Patrick Quinet ; Int. Nathalie Baye et Sergi Lopez.

   Un homme et une femme sont interviewés séparément, longtemps après, sur l'aventure érotique ensemble vécue. À la suite d'une petite annonce, ils se rencontrent dans un café puis vont à l'hôtel réaliser leur fantasme tenu secret tout en proposant quelques figures de la conjonction.

   Malgré un excellent scénario servi par des cadrages et un montage soignés, le ton en est constamment faux, comme le laissait déjà prévoir le titre racoleur. Le choix de deux acteurs attractifs est déjà une erreur, car prisonniers de leur image publique, Baye (Galerie des Bobines) et Lopez, ne sont pas libres de s'investir. Pire, leurs voix, postsynchronisées, sont désincarnées, les plans fixes restent vains : l'émotion, quand il y en a, est un effet isolé, sans genèse.
   Le naturalisme de l'interview n'est qu'un simulacre de plus. Quelques variantes dans les témoignages respectifs passent inaperçues parce qu'elles ne s'inscrivent pas dans une cohérence personnelle. Les scènes de lit appauvrissent le propos, non seulement parce qu'elles sont totalement dépourvues de passion, mais surtout, se substituent-elles au mystère du fameux fantasme.
   Le ton du dialogue est bêtement constatif : "C'était très bien". Il y a d'ailleurs un abîme entre les deux personnages, au point qu'on croit changer de film en passant d'un plan à l'autre dans les champs-contrechamps. Ce qui manque au total est, définitivement, l'émotion. L'abus du ralenti pathétique en plan flou sur un touchant air de "fosse" n'y change rien, au contraire ! Sans la poésie, l'érotisme est impossible à rendre.
   Un film de plus piégé par le consumérisme ! 7/09/02
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John FORD
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Bucking Broadway (A l'assaut du Boulevard ) USA N&B 1917 50' ; R. J. Ford ; Sc. George Hively, John Ford ; Ph. Ben F. Reynolds ; Int. Harry Carey (Cheyenne Harry), Molly Malone (la fiancée).

   Le cow-boy Cheyenne demande témérairement la main d'Helen à son père propriétaire du ranch, patriarche aux bacchantes et à la chevelure de neige. Mais un expert en chevaux débarque de New York en automobile. Il n'est pas sans prestige aux yeux d'une petite provinciale du Wyoming. Helen rentre avec lui à New York. Prise d'un vague regret cependant, elle écrit à son cow-boy, joignant à la lettre le petit cœur, gage d'amour dont il possède la réplique. Cheyenne comprend qu'il a ses chances. Comme il n'a pas la patience d'attendre le prochain train, il rattrape à cheval le précédent, y sautant en pleine course après avoir dessellé sa monture.
   L'hôtel de luxe où il descend avec sa selle pour seul bagage est précisément, à son insu, celui où doivent être célébrées les fiançailles. Pendant la cérémonie, le fiancé se conduit mal envers sa
promise. Cheyenne est prévenu par une jeune femme-escroc qui avait renoncé à le détrousser parce que "c'est un type bien". Pendant qu'il vole au secours de sa belle, la gentille voleuse est chargée de téléphoner au débarcadère où les cow-boys du ranch viennent précisément de livrer un troupeau de chevaux. Ils galopent
à la rescousse à travers la ville. Après une énorme bagarre, Cheyenne et Helen sont enfin réunis.

   Véritable film d'aventure, qui ne se prend pas au sérieux. Tout en plans fixes mais jouant habilement des variations de grosseur. L'immensité des grands espaces, qui se passent parfaitement de Monument Valley, est mise en valeur dans les trois dimensions. Le dressage des chevaux en plan lointain s'y intègre.
   L'intrigue sentimentale se tempère avec bonheur d'humour et de fantaisie. C'est dire que les pesanteurs hollywoodiennes à venir n'y sévissent pas encore. La demande en mariage au père d'Helen est montée en alternant la demande elle-même en plan moyen, d'une part avec le contrechamp de Helen dont l'expression s'ajuste à l'évolution de l'événement, d'autre part avec des inserts en gros plan des pieds embarrassés du demandeur. En une combinaison caractéristique du dépassement des genres, elle se conclut par un touchant plan rapproché sur les mains jointes des trois
protagonistes.
   Dans la séquence du train, la vigueur des exploits physiques du héros est mise en valeur par le montage. On passe à un plan lointain dont l'échelle caractérise l'exploit, puis à un plan moyen du héros galopant parallèlement avant de sauter du cheval sur la plate-forme du
wagon.
   Les situations cocasses engendrées par le parachutage des "sauvages" chez les civilisés ont le mérite de la
sobriété. Les scènes de bagarre collective sont d'authentiques morceaux de slapstick. Le dernier plan, en mêlant parfaitement le burlesque débridé de la bagarre au happy end sentimental, résume bien l'esprit de ce western pétant de santé.
   Et, ce qui ne gâche rien, il fait témérairement la nique au racisme de rigueur au cinéma (voir
La Croisière du Navigator de Buster Keaton, 1924) en proposant un Noir pour modèle d'élégance à Cheyenne en quête de costume de fiançailles. 21/05/03 Retour titres Sommaire

Straight Shooting USA N&B 1917 59' ; R. J. Ford ; Sc. George Hively ; Ph. George Scott ; Int. Harry Carey (Cheyenne Harry), Molly Malone (Joan Sims).

   Pittoresque fermier à la barbe taillée en cercle, le vieux Sims vit avec son fils et sa fille Joan dans un domaine bâti de ses mains. L'abominable Big Jim voudrait les chasser pour s'agrandir. Il charge le mauvais garçon Cheyenne Harry de faire disparaître la petite famille. Ému à la vue du père et de la fille en train d'ensevelir le fils abattu par un homme de main, Cheyenne adopte leur cause et parvient avec l'aide d'une autre bande à vaincre l'accapareur. Joan tombe amoureuse et délaisse son fiancé pour le sauveur.

   Des plans généraux plongeant sur les collines fourmillant de cavaliers et de troupeaux, la rivière traversée au galop pour joindre la ferme Sims, les havres de paix ombragés et gorgés d'eau contrastant avec l'aridité des vastes étendues, donnent une idée de l'imaginaire topographique modelant le paysage américain selon toutes ses ressources.
   Mais avec une économie de moyens témoignant de la maîtrise à ving-trois ans de Sean O'Feeney alias Jack Ford dit John Ford. Ainsi les arrivées et départs des cavaliers en profondeur de champ à travers la porte de la ferme dont l'intérieur avec ses occupants est cadré en même temps, de sorte que l'on a deux plans dans un seul. Le jeu des acteurs, y compris dans les gros plans est d'une sobriété exemplaire, et les prises de vues mettent en valeur la grâce ou la spontanéité de gestes saisis au vol.
   Je ne donne pas un
Straight Shooting pour mille Cheyennes (tourné quarante-sept ans plus tard). Qu'est-ce qui a tué cette fraîcheur du jeune Ford ?
   - ...
   Vous avez perdu ! Ce n'est pas l'âge mais le moralisme, la paresse d'imagination, la soumission aux bien-pensants qui forment la majorité d'un public modelé par le marché du rêve.
22/01/02 Retour titres Sommaire

Hommes de la mer (The Long Voyage Home) USA VO N&B 1940 105' ; R. J. Ford ; Sc. Dudley Nichols ; Ph. Gregg Toland ; M. R. Hageman ; Pr. W. Wanger/Argosy UA ; Int. Thomas Mitchell (Aloysius Driscoll), John Wayne (Ole Olsen), Ian Hunter (Thomas Fenwick), Barry Fitzgerald (Cocky), John Qualen (Axel Swanson), Ward Bond (Yank), Mildred Natwick (Freda), Arthur Shields (Donkeyman).

   Au port de New York pendant la guerre, le Glencairn embarque des explosifs et appareille pour l'Angleterre avec un équipage disparate, bagarreur et soudé comme il se doit. Une tempête provoque la mort de Yank. Smith qui se promène avec une mystérieuse boîte en métal est soupçonné d'espionnage. On n'y trouve que des lettres d'amour de sa femme, qui s'inquiète de la tendance éthylique qui l'a éloigné d'elle. On craignait les sous-marins ; ce sont les avions allemands qui attaquent. Smith est tué. Sa femme recueillera sa dépouille au port.
   Les marins ayant rempli leur contrat débarquent en terre britannique. Se promettant de ne pas se laisser griser par le plaisir et l'alcool et donc de ne pas se ruiner, afin de n'être pas recrutés, parfois de force, sur un rafiot en partance pour l'autre bout du monde. On entoure surtout Ole qui depuis dix ans n'a pu rentrer en Suède chez sa mère pour cette même raison. Il a de plus accumulé assez d'argent pour se marier. Mais entraînée par un complice des enrôleurs, toute la bande fait la fête. Drogué, Ole est embarqué. Ses amis le délivrent, mais Driscoll est piégé à sa place sur le cargo qui sera coulé par l'ennemi.

   La dure vie des marins en butte non seulement aux dangers naturels mais aussi à la méchanceté des hommes est certes un thème approprié au dévoilement de la condition humaine. Tout ici cependant sonne faux. L'ambiance de studio, les bruitages excessifs qui s'y réverbèrent, la musique auxiliaire (violons ou accordéon selon que c'est sentimental ou bon enfant), la photographie bien léchée de Gregg Toland, les acteurs hyperprofessionnels, excluent toute émotion vraie. On ne sent à aucun moment la puissance de la mer. Les éclairages signalétiques schématisent à l'extrême l'image, voire n'hésitent pas à user du cliché (pavé gras fataliste sous les pas des marins au bout du voyage).
   Le pittoresque trop voulu des personnages à la fois par les individus et la composition du groupe : avec son chef naturel (Driscoll), personnage attachant dont la disparition doit toucher le spectateur comme d'un père, le chouchou qui ne saurait mourir (Olé), le mélancolique alcoolique (Smitt), les burlesques qui s'ignorent, etc. L'inamovible John Wayne
(Galerie des Bobines) sait déjà s'imposer par une particularité vestimentaire : les grosses bretelles passées très près du cou de façon à mettre en valeur l'ampleur des épaules.
   On peut commencer à comprendre une des raisons pour lesquelles après des débuts prometteurs, l'
œuvre de Ford reste globalement décevante. Il compte beaucoup sur la performance des acteurs et très peu sur les possibilités du matériau, laissant l'initiative aux techniciens. Cela s'accorde d'ailleurs tout à fait avec la rigidité d'une démarche qui impose ses vérités, empêchant le spectateur d'en construire par lui-même. 3/07/09 Retour titres Sommaire

Les Raisins de la colère USA VO N&B 1940 124'
Commentaire

La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon) USA VO couleur 1949 103' ; Sc. F.S. Nugent, L. Stallings ; Ph. W.C. Hoch ; Pr. M.C. Cooper/Argosy Pictures/RKO ; Int. John Wayne (capitaine Nathan Brittles), Joanne Dru (Olivia), John Agar (lieutenant Flint Cohill), Ben Johnson (sergent Tyree), Harry Carey Jr. (lieutenant Pennell), Victor McLaglen (sergent Quincannon).

   En fin de carrière, blanchi sous le harnois, le capitaine de cavalerie Nathan Brittles, doit à la fois contenir les Indiens sur le pied de guerre et évacuer la femme et la nièce du commandant. Cette dernière, qui arbore le ruban jaune emblématique des amoureuses (voir le titre original), étant en outre l'enjeu sentimental des deux jeunes lieutenants.
   Talonné par les Indiens, il regagne le camp bredouille le jour de sa retraite. Avant minuit cependant, vêtu en éclaireur, le vieux capitaine rejoint en secret la troupe qu'il conduit à la victoire grâce à la ruse bien connue consistant à libérer les chevaux indiens, ce qui ridiculise définitivement et le titre français et les Indiens, qui ne savent pas surveiller leurs montures de guerre en plein conflit. Tout est bien qui finit bien : Olivia fait son choix et Brittles rempile comme chef des éclaireurs.

   Le ressort émotionnel semble conçu pour un public infantile. Vieilli de vingt ans par le maquillage, John Wayne (Galerie des Bobines) incarne la figure du père que l'on n'a pas eu, celui capable de proférer le jugement de Salomon, comme de prendre d'un geste auguste et tendre les jeunes filles sous son aile. Sa stature se mesure à la multiplication d'interminables faux départs à la retraite. Il est aussi, en pleine discorde générale, copain avec le grand chef indien.
   Est-ce pour ce genre de détail que Ford est réputé aimer les Indiens ? Mais cet exemple n'est valorisant que pour l'officier. Sean O'Feeney alias John Ford semble n'aimer que deux sortes d'hommes : les officiers et les Irlandais. Tous les autres sont ridicules quand ils ne sont pas cantonnés dans des rôles de genre. L'inamovible sergent Quincannon même, qui est bien irlandais mais pas officier, doit se contenter d'être un personnage "haut en couleur".
   Que vient finalement magnifier cet accessoire démesuré cher à l'auteur de
Rio Grande, je veux dire Monument Valley, flamboyante d'un chromatisme daté ? La conduite héroïque des officiers et des Irlandais!
   Misère éthique
(1) donc, aggravée et confirmée par l'injonction esthétique de la nature grandiose et du pathos musical de renfort. 27/01/02 Retour titres Sommaire

L'Homme tranquille (The Quiet Man) USA VO couleur 1952 129' ; R. J. Ford ; Sc. F.S. Nugent ; Ph. W.C. Hoch, A. Stout ; M. V. Young ; Pr. J. Ford/M.C. Cooper ; Int. John Wayne (Sean Thornton), Maureen O'Hara (Mary Kate Danaher), Barry Fitzgerald (Michaeleen), Ward Bond (le père Lonergan), Victor McLaglen (Red W. Danaher), Mildred Natwick (Mrs Tillane), Arthur Shields.

   Champion de boxe yankee ayant tué un adversaire en combat, Sean Thornton revient au village irlandais qui l'a vu naître. Dissimulant son passé, il rachète la chaumière de ses parents défunts et courtise Mary Kate Danaher, belle voisine rousse, ce qui le met doublement en conflit avec son frère Red, qui est à la fois opposé au mariage et concurrent malheureux dans l'acquisition de la chaumière.
   Avec la complicité du père Lonergan, l'entourage le conduit à accepter le mariage en laissant croire que la riche veuve qu'il convoitait en vain n'attend que le départ de sa sœur. Il tombe dans le piège mais, véritable affront, conserve la dot légitime de la jeune mariée. Décrétant la grève du lit, celle-ci somme d'agir son mari qui se dérobe pour éviter tout pugilat, au risque de paraître lâche.
   Mais le jour où Mary Kate tente de s'enfuir, son époux, encouragé par la réputation de dur à cuir de Red, la ramène de force sur plusieurs miles à travers la campagne jusqu'au beau-frère pour exiger son dû. S'ensuit un combat homérique suivi de près par tout le village enthousiaste. Satisfaite, Mary Kate rentre au foyer préparer le repas, tandis que les deux adversaires se prennent peu à peu d'affection. On finit par se retrouver autour de la table dressée par l'épouse apaisée.

   Dans de pittoresques extérieurs irlandais rehaussés par la qualité de la photo couleur, un festival de stéréotypes vient flatter les illusions les plus naïves du public quant à l'existence d'un monde simple et beau.
   Il y aurait donc, de l'aveu même des prêtres, deux vertus cardinales, viriles de surcroît : la pêche et les pugilats. Partant de là, deux sortes d'hommes peuplent l'univers : les faibles, inexistants, et les pêcheurs au poing d'acier, ces derniers finissant toujours par s'accorder après s'être foutu sur la gueule. À ce titre, sous les traits burinés de l'inévitable transfuge Quincannon, Red est digne de Sean/Wayne (Galerie des Bobines), qui appartient à la surhumanité des pugilistes d'élite. C'est pourquoi le col de sa veste est relevé comme celui d'un haut dignitaire mythique du temps jadis et qu'il porte en vrai cow-boy de studio des jeans aux impressionnants revers roulés, au besoin dotés de grosses bretelles réglementaires, accessoires empruntés en même temps que Quincannon, à
La Charge héroïque, et qui seront légués à Rio Grande. 23/12/03 Retour titres Sommaire

Rio Grande USA 1952 VO N&B ; R. J. Ford ; Sc. J.K. McGuinness ; Ph. B. Glennon, A. Stout ; M. V. Young ; Pr. Ford/M.C. Cooper/Argozy Pict./Republic ; Int. John Wayne (lieutenant-colonel Kirby Yorke), Maureen O'Hara (Mrs Yorke), Ben Johnson (Tyree), Claude Jarman (Jeff Yorke), Harry Carey Jr (Daniel Boone), Victor McLaglen (sergent Quincannon).

   1868 au Texas. À la suite d'un échec à West Point, le jeune Jeff Yorke, qui s'est engagé en maquillant son âge, est affecté dans le régiment de cavalerie commandé par son père le lieutenant-colonel Kirby Yorke, qu'il n'a revu depuis quinze années. Séparée de son mari pour des raisons politiques, Mrs Yorke débarque au camp pour reprendre son petit. Ce dernier refuse et se distingue dans une opération contre les Indiens, à la grande fierté des parents réconciliés.

   Film insupportable de mièvrerie yankee sous un verni de simplicité qui n'est que de l'indigence. Le jeune téméraire conquiert l'admiration du père héroïque qui peut ainsi garder secrète la fibre paternelle vibrant dans la vaste poitrine guerrière (Galerie des Bobines). Des chorales militaires éclatent à tout propos ; Madame la Colonelle se tape toute la lessive du régiment et le sergent Quincannon sous sa carapace patibulaire est tendre aux enfants.
   Tout cela sous la forme de scènes tournées sans trop de fatigue, sans ampleur ni épaisseur, détachées comme des tableaux parlant, avec des décors lugubres aux sons réverbérés en studio. Bref les séries B du maître restent des séries B. 3/09/01
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La Prisonnière du désert (The Searchers) USA VO 1956 Technicolor 119'
Commentaire

L'Homme qui tua Liberty Valance (The Man Who Shot Liberty Valance) USA VO N&B 1961 122' ; R. J. Ford ; Sc. W. Godbeck, J. W. Bellah ; Ph. W. H. Clothier ; M. C. J. Mockridge ; Pr. W. Goldbeck./J. Ford/Paramount ; Int. James Stewart (Ranson Stoddard), John Wayne (Tom Doniphon), Vera Miles (Hallie Stoddard), Lee Marvin (Liberty Valance), Edmond O'Brien (Dutton Peabody), Andy Devine (Link Appleyard).

   Par un long flash-back constituant la matière du film, le sénateur Ranson Shoddard évoque son passé pour expliquer à un journaliste les raisons qui l'amènent dans cette bourgade de l'Ouest aux obsèques de Tom Doniphon. Venu jadis jeune juriste y tenter fortune, il y est cruellement amoché par la Terreur du coin, Liberty Valance. Mais Tom, le magnifique cow-boy qui a gardé sa vareuse militaire de La Charge Héroïque ou de Rio Grande, le prend sous son aile. Le protecteur de la veuve et de l'orphelin courtise Hallie, la servante de l'auberge où le jeune juriste fait la plonge en attendant mieux, tout en réfléchissant sur les moyens de coincer Valance. Mais conscient que la légalité est dans tel cas dérisoire, notre pied-tendre finit par défier le bandit, qu'il tue malgré son ignorance des armes.
   Parallèlement, Stoddard participe à l'alphabétisation des ignorants et à l'instauration du Droit en contribuant à la création de l'État fédéral, à la représentation duquel il acceptera d'être élu après avoir appris qu'il n'a pas occis Valance, dont le meurtrier n'est autre que Wayn... pardon, Tom. Ce dernier découvre cependant que Hallie est éprise de Ranson. Il met le feu à ce qui devait être la maison conjugale. Les amoureux se marient puis gagnent Washington pour une brillante carrière politique. Finalement le journaliste renonce à transcrire ce récit pour ne pas ternir la légende de l'
homme qui tua Liberty Valance.

   Conclusion bien conforme à l'esprit de l'auteur qui ne sait tenir de langage que frelaté. Car décidément Ford, depuis qu'il se prend au sérieux, a perdu toute chance d'être un véritable artiste.
   À l'encontre de l'art, qui décape, il badigeonne tout d'une poisseuse
couche de clichés. Choses et gens ont d'ores et déjà leur place assignée parmi les accessoires les plus éculés. Une clarinette basse sur un tempo de marche funèbre invite le spectateur à verser une larme sur le cercueil du véritable héros de l'histoire, et ainsi de suite avec des trémolos de violon sur le pèlerinage de Hallie à la propriété en ruine (on pourrait même suivre à la trace le récit sans les images).
   John Wayne (Galerie des Bobines) incarne la figure du vrai mâle américain dans un monde de lavettes, comme ce gros dégonflé de shérif plus ou moins métèque. Superbe et généreux, Tom Doniphon offre même à son esclave noir un whisky au comptoir du saloon ! Le seul autre brave, le directeur de la feuille locale qui n'hésite pas à publier contre Valance, noie dans l'alcool
son audace.
   La population masculine a somme toute des problèmes de foie, qu'il soit jaune ou cirrhosé, quand elle n'est pas comique par elle-même avec ses couards, ses Mexicains (souvent les mêmes) ou le bègue de service pour amuser la galerie. Stoddard (James Stewart : Galerie des Bobines) est en revanche un homme intrépide prenant la défense des femmes et s'attaquant à plus fort que lui. Mais sans Tom il ne s'en fût pas tiré.
   L'ensemble est au fond d'un manichéisme grossier, avec en face l'immonde Valance qui ne se départit ni du fouet ni de la bouche cruelle et dégoûtée qui l'a rendu célèbre. Certes on nous fait l'éloge du Droit et de la Culture comme bases nécessaire de l'État moderne, mais sur un ton fétichiste comme s'il y avait un doute et qu'il valût mieux adorer des idées que de se commettre à des actions.
31/05/02 Retour titres Sommaire

Les Cheyennes (Cheyenne Autumn) USA VO Panavision-couleur 1964 140'
Commentaire

Frontière chinoise (Seven Women) USA VO Panavision couleur 1965 86' ; R. J. Ford ; Sc. J. Green, J. McCormick ; Ph. J. LaShelle ; M. E. Bernstein ; Pr. B. Smith/Ford/MGM ; Int. Anne Bancroft (Dr Cartwright), Margaret Leighton (Agatha Andrews), Flora Robson (Miss Binns), Sue Lyon (Emma Clark), Betty Field (Florrie Pether), Eddy Albert (Charles Pether), Mike Mazurki (Tunga khan), Anna Lee (Mrs Russell).

   En 1935, dans une Chine affaiblie par les guerres intestines, rôdent des bandes d'une cruauté inouïe. Les membres d'une mission laïque américaine se sentent protégés par leur qualité d'hôtes intouchables et la présence à proximité de l'armée régulière. La mission accueille enfin le médecin qui lui manquait : une jeune femme détonant par son allure libre avec l'esprit puritain qu'une directrice sectaire impose à tout le personnel. Elle recueille avec réticence les survivants d'une mission anglaise décimée par le terrible Tunga Khan.
   Mais ils sont porteurs du choléra. Le Dr Cartwright enraye l'épidémie au prix d'un dévouement total. L'armée ayant levé le camp à l'approche de Tunga Khan, celui-ci investit la mission dont il fait fusiller les résidents chinois et emprisonner les Américains pour la rançon. Puis le brigand se ravise : c'est la personne de la doctoresse qui sera la monnaie d'échange. Pour améliorer les conditions d'existence de ses compatriotes et avoir les moyens d'assurer un accouchement imminent difficile, elle accepte d'honorer le lit du sauvage potentat, ce qui lui vaut de la directrice un mépris révélateur d'une grave névrose. En définitive elle obtient la libération des otages, puis du même poison, tue Tunga Khan avant de se suicider.

   Bien que l'histoire se déroule en Chine, elle a tout du western : la mission ressemble à un fort, et les bandits à des Indiens qui l'envahissent au galop, aux accents d'une musique auxiliaire qui pourrait s'appliquer aux premiers occupants du Nouveau Monde. Mais il y a une différence énorme, qui tient sans doute à ce qu'ainsi déplacée, l'indianité peut donner libre cours à une imagerie raciste sans culpabilité.
   Ici, nous avons affaire à de vrais représentants du mal absolu. Les bandits chinois n'ont d'autre loi que la force. Ils violent, mutilent, tuent et s'entretuent dans des combats singuliers par lesquels le dominant affirme sa suprématie sur la bande. Et miracle, ce vieux démon une fois liquidé, l'auteur peut enfin s'adonner à une cause véritable, totalement inattendue de la part de l'auteur des
Cheyennes : celle des femmes.
   Même si la mise en scène et le montage sont assez rigides, et que les sons en extérieur ne dissimulent pas même une réverbération de studio, même si le personnage de la doctoresse est artificiellement émancipé sur le mode viril, toujours en pantalon, cigarette au bec et cheveux courts, nous avons affaire à une lutte exemplaire entre l'obscurantisme puritain et les forces progressistes, qui l'emportent.
   Porté par le thème du sacrifice, un tragique vrai prête son souffle à ce propos. La banalité de la situation initiale : un huis-clos au mauvais décor de studio, une antique torpédo pétaradante de burlesque, des personnages n'ayant pas le profil de la victime, laissent croire à cette tranquille immunité toujours associée à la présence américaine, en fiction comme en réalité. Puis c'est un déferlement de violence, atypique d'autant qu'il est conduit avec une certaine sobriété, et qui se résout par un acte ultime et salutaire propre à faire basculer les consciences.

   Voilà qui rachète toutes les hollywoodiennes bassesses antérieures. 19/10/02 Retour titres Sommaire

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Walter FORDE
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Rome Express GB VO N&B 1932 85'
Commentaire

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Miloš FORMAN
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L'As de pique (Cerný Petr) Tchéc. 1964 N&B 87'
Commentaire

Les Amours d'une blonde (Lasky Jadne Plavovlásky) Tchéc. 1965 VO N&B 80'
Commentaire

Au feu les pompiers (Horí Má Panenko) It.-Tchéc. VO couleur 1967 72'
Commentaire

Vol au-dessus d'un nid de coucous (One Flew Over the Cuckoo"s Nest) USA  VO couleur 1975 134' ; R. M. Forman ; Sc. Lawrence Hauben d'apr. Ken Kesey ; Ph. Haskell Wexler ; M. Jack Nitzsche, Ed Bogas ; Pr. Fantasy Film ; Int. Jack Nicholson (McMurphy), Louise Fletcher (l'infirmière-chef Ratched), Will Sampson (Chief Bromden, l'Indien), Dean Brooks (Dr Spivey), William Duell (Sefelt) Danny DeVito (Martini), Brad Dourif (Billy Bibbit), William Refield (Harding),  Sidney Lassick (Chesswick), Vincent Schiavelli (Fredrickson), Christopher Lloyd (Taber), Marya Small (Candy), Louisa Moritz (Rose). 

   Détenu fort remuant, McMurphy est transféré pour évaluation dans une institution psychiatrique aux méthodes rétrogrades. Son comportement libre y sème une zizanie salutaire aux patients. Mais il se heurte aux barbares méthodes de l'institution conduites par la glaciale infirmière-chef Ratched. Le héros se prend d'amitié pour un gigantesque Indien sourd-muet qui se dévoile à lui simulateur. Ils forment ensemble le projet d'une évasion. Mais McMurphy est lobotomisé après avoir tenté d'étrangler Miss Ratched, qui avait provoqué le suicide du jeune Billy en lui faisant honte d'avoir couché avec Candy, la copine de McMurphy introduite en fraude. Après avoir euthanasié l'ami végétatif, l'Indien fait une démonstration de force en arrachant un poste sanitaire avec lequel il défonce une fenêtre, par laquelle il s'échappe. Il disparaît dans la nature. 

   Cause juste : dénoncer la psychiatrie du flicage, libérer les psychiatrisés ; mais moyens bas : à la faveur d'un numéro d'acteur "époustouflant", sous le nom de 7e art, instrumentaliser la cause pour faire sortir les kleenex à recettes. Toute cette petite troupe familiale bien œdipienne est confinée dans un nid étanche à la vie extérieure, une couvée de polissons livrés à une mère terrible qui aurait expulsé du lit conjugal le doux et mutique Hercule, géniteur relégué dans un monde parallèle. Le héros est ce fils trop libre sonnant la révolte, qui sera proprement castré par sa génitrice. Bien signalée comme pôle absolu du mal par la coiffure cornue, c'est Méduse à l'impavide regard, comme reflétant la sidération de ses victimes. La progéniture, puisée dans la pinacothèque des films d'horreurs, représente un catalogue des monstruosités liées aux étapes de la morphogenèse. Plutôt tératologie que physiognomonie. Sauf le héros que doit forcément prébisciter le public, et le chérubin bouclé Billy, dont l'initiation sexuelle conduit au sacrifice sanglant pourvoyeur de pathos compassionnel. Dans une ambiance éthérée de spiritualité précolombienne, sous un ciel d'aube aux sons de la scie musicale rythmée au tambourin, le drame se résoudra par la fuite du géant dont la silhouette au petit trot s'enfonce dans l'éternelle nature.
   Tout est donc en dichotomie simpliste : intérieur/extérieur, bons/méchants, mères/putes, culture/nature. La question psychiatrique est éludée par déni : la meilleure façon de les guérir est de révéler aux fous qu'il ne le sont guère. Reste le rêve bêta d'un retour au monde pur des esprits exotiques pour échapper aux murs, qui sont pourtant la rançon du "progrès", le monde extérieur restant ostensiblement celui de la liberté.
   
   Dès lors que c'est au service de cette idéologie, inutile de s'étendre davantage quant aux moyens filmiques mis en œuvre.  12/01/15 Retour titres Sommaire

Amadeus (Amadeus) USA VO technicolor 1984 157' ; R. M. Forman ; Sc. Peter Shaffer d'apr. sa pièce ; Ph. Miroslav Ondřiček ; Déc. Patrizia von Bradenstein ; Cost. Theodor Pistek ; Dir. mus. Neville Mariner (Academy Chorus of St. Martin in the Fields) ; Pr. Saul Zaentz (Warner Bros) ; Int. F. Murray Abraham (Salieri), Tom Hulce (Mozart), Roy Dotrice (Leopold Mozart), Jeffrey Jones (l'empereur Joseph II), Richard Frank (le prêtre). 

   L'ancien compositeur officiel de la cour de Vienne, Salieri, tente de se suicider dans l'asile où il se ronge, s'accusant de la mort de Mozart trente-deux ans auparavant. Au confesseur accouru il confie cyniquement comment par jalousie il voulut abréger la vie du grand compositeur, dont il fut le témoin et le secret admirateur. Un surdoué de la musique affectivement immature, sous la coupe d'un père rigide, qui exige qu'il rentre à Salzbourg alors qu'il est invité à Vienne par l'empereur. Mais Amadeus épouse Constance, la fille de sa logeuse de Vienne, où il s'installe. Bien qu'ayant les pieds sur terre, Constance ne peut empêcher la folle prodigalité d'Amadeus qui de plus boit et se surmène au travail autant qu'en festivités.
   L'entourage musical de l'empereur, dont Salieri, met les bâtons dans les roues de ce jeune génie qui lui fait de l'ombre, en s'efforçant de lui nuire auprès du souverain. Mais Mozart parvient toujours à convaincre celui-ci d'amender ses audaces. À la mort de son père, il compose Dom Juan dont le terrible commandeur est comparé par Salieri au fantôme de Léopold. L'idée lui vient de s'en servir pour achever d'épuiser la santé de son rival et l'envoyer dans la tombe. Avec l'intention de se l'approprier, il lui commande
sous un déguisement le Requiem, le faisant espionner par une bonne dépêchée gratis par un soi-disant admirateur anonyme. Mozart à court d'argent se laisse imposer un rythme infernal de travail. Constance retourne chez sa mère avec leur fils, puis se ravise. 
À son retour, elle tombe sur Salieri qui rédigeait le Requiem sous la dictée de Mozart à bout de force. Elle le chasse mais Mozart meurt, à trente-cinq ans.   
  
    Qualifier de "chef d'œuvre du septième art" ce film très hollywoodien me paraît quelque peu relever de l'hystérie. Essayons de faire la part des choses. S'il y a quelque chose de méritant c'est de ne pas utiliser la musique uniquement comme pourvoyeuse d'esthétique musicale en renfort de l'image, même si, paradoxalement, un film sur Mozart sans musique du tout eût été plus honnête, plus authentiquement repensé, nécessairement. Il y a pourtant un amour de la musique qui amène à discerner ce que celle-ci en particulier a d'exceptionnel. Le soin mis aux extraits d'opéra et la bonne idée de monter une version populaire traduisent,
à ne pas le fétichiser, le respect envers cet art.
   Deuxièmement l'aspect biographique donne une perspective qui n'est pas uniquement hagiographique. Le personnage d'Amadeus rend bien l'idée d'une forme de liberté qui vient débrider quelque peu la vie protocolaire de cour.
   Décors (naturels de Prague) et costumes parfaits. Trop peut-être, étant conçus pour faire voyager le spectateur confortablement dans le temps. Car on se trouve tout de même plongé dans un monde factice, qui doit rester vraisemblable, conforme à ce que l'on sait ou croit savoir de la vie du temps.
   Cela tient à l'absence totale d'imagination du filmage conformément au crédo hollywoodien, qui consiste davantage à exhiber des décors, une action et des numéros d'acteurs attrayants qu'à se soucier d'élaborer une écriture, davantage à séduire le spectateur qu'à l'amener à se transformer.    
    C'est pour cela qu'en contrechamp le tableau du père comme figure terrible du destin revient si complaisamment. Toute la phase finale
est un chef d'œuvre de poncif. Mozart titubant au petit jour au bout d'une rue en profondeur de champ. Il s'approche et croise un chat noir qui disparaît promptement du champ droite-cadre. Puis la dernière nuit, un montage alterné inspiré de Dracula oppose à la calèche du retour de Constance au galop précipité, filmée sous des angles accusés dans une nuit bleutée, un Mozart épuisé, empêché par Salieri de se reposer. Enfin la fosse commune, inévitablement sous la pluie. Une main ! Une main émerge d'un des suaires entassés au fond. La pauvre bonne en larmes pour bien faire sentir qu'elle regrette le rôle malfaisant qu'on lui a fait tenir.   
   Un film oscarisé (meilleur film 1984) très étrange donc, par ce mélange d'amour sincère de son sujet et de prostitution au marché.
06/04/15 Retour titres Sommaire

Larry Flint
(The People vs Larry Flint) USA  VF/VO
1996 Scope-couleur 126' ; R. M. Forman ; Sc. Scott Alexander, Larry Kanszewski ; Ph. Philippe Rousselot ; M. Thomas Newman ; Pr. Oliver Stone, Janet Yang, Michael Hausman ; Int. Woddy Harrelson, Courtney Love, Edward Norton. Ours d'or Berlin 1997.

   Au-delà de la biographie de Larry Flint qui a fait fortune dans la presse érotique en bousculant la frontière du porno, éloge d'un défenseur de la liberté du citoyen américain, parcourant la suite des procès dont il sort finalement victorieux. C'est également le portrait d'un homme qui a su concilier vie professionnelle et vie amoureuse en expérimentant ses modèles jusqu'à épouser Altéa, le plus scandaleux.

   La sincérité de leur amour, de même que tout ce qui est susceptible de faire vibrer le spectateur (attentat contre Flint, mort d'Altéa dans sa baignoire), est certifié par d'abondants commentaires musicaux auxiliaires au moment voulu. Malgré l'extrême médiocrité des acteurs, le film se veut de plus l'œuvre d'un maître par ses performances de caméra et de montage : tout y semble fait pour éviter la monotonie du plan fixe et du montage purement logique.
   Cet éclectisme technique
(1) gratuit reflète exactement une indigence artistique qu'explique notamment le grave malentendu de base : l'enjeu véritable de la lutte de ce novateur à sa manière n'est pas la liberté de la presse et du citoyen, mais celle de la consommation de masse. Ce n'est pas un visionnaire de l'humanité en marche qui gagne contre les partis rétrogrades, mais un promoteur du consumérisme encourageant l'exacerbation du libéralisme économique. Tout se vend, tout est permis pourvu qu'il y ait profit.
   L'insincérité foncière du propos se traduit par un malaise inconscient entraînant un récit pléthorique, prisonnier d'une logique exclusive de la représentation
(2) (en contradiction avec les efforts techniques). À souligner de plus l'aberration d'une version doublée(3) directement au micro, sans nul souci d'épaisseur physique et contextuelle.
   Mais, n'en déplaise à l'Ours d'or, la version originale, bien que plus véridique, ne sauve pas le film de la médiocrité, qui semble liée à l'exil du réalisateur. Malgré les grands succès comme Vol au-dessus d'un nid de coucous ou Amadeus, la période américaine reste incommensurable avec l'inoubliable production du pays d'origine. Les services d'immigration américains ont-ils scrupuleusement vérifié l'identité de ce Tchèque qui se faisait
passer pour le génial auteur des Amours d'une blonde ? 21/07/02 Retour titres Sommaire

Man on the Moon USA-GB-All.-Jap. VO 1999 117' ; R. M. Forman ; Sc. Scott Alexander et Larry Karaszewski ; Ph. Anastas Michos ; Mont. Lynzee Klingman et Christopher Tellefsen ; M. R.E.M. ; Pr. Universal ; Int. Jim Carrey (Andy Kaufman et Tony Clifton), Dany DeVito (George Shapiro), Courtney Love (Lynnes Margulies), Paul Giamatti (Bob Zanudo).

   Biographie filmée d'Andy Kaufman (1949-1984), amuseur public qui sut tellement brouiller la frontière entre réalité et fiction, qu'on cria au canular quand il s'annonça cancéreux du poumon, voire que sa mort à trente-cinq ans passa pour fictive.
   Le récit aligne une suite d'épisodes en respectant la chronologie depuis l'enfance jusqu'au décès passé d'un an. Après s'être produit dans des cabarets avec plus ou moins de succès, Andy rencontre le producteur George Shapiro qui le fait engager à la télé. Le comique fait aussi des interventions dans les universités et organise le championnat du monde de catch intersexe, où il rencontre sa compagne Lynnes, etc. Il a surtout le talent du détournement, exigeant par exemple de se produire avec Tony Clifton, vieux crooner vulgaire dont il tient lui même le rôle à l'insu de tous, sauf de Shapiro, etc.

   Les deux scénaristes, qui avaient déjà sévi dans Larry Flint (comme dans Ed Wood de Tim Burton), ont une fois de plus saboté le travail en affadissant la vie du comique américain, en choisissant d'accumuler les curiosités biographiques plutôt que de s'efforcer à la structure organique qui va au cœur des choses. Miloš Forman entérina, se contentant d'une mise en scène illustrative, dépourvue d'imagination filmique. C'est Harry Carrey qui fait tout le boulot, réinventant les spectacles comiques avec le talent qu'on lui connaît.
   Ce qui reste un mystère complet, c'est l'admiration que certains critiques entendent vouer à un tel film, qui n'est que le strict filmage d'un scénario médiocre. La seule fantaisie, assez pitoyable, est l'épilogue, où l'on voit apparaître Clifton un an après la mort d'Andy et où Bob, l'associé d'Andy qui avait aussi incarné cet alter ego, est cadré en alternance au milieu du public afin qu'on sache qu'il n'y est pour rien.
   Si vous ne voulez pas pleurer de rage, évitez à tout prix les trois premiers opus de Forman. 16/08/08
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Bill FORSYTH
liste auteurs

Local Hero GB VO 1982 111' ; R., Sc. B. Forsyth ; Ph. Chris Menges ; M. Marc Knopfler ; Pr. David Putman ; Int. Burt Lancaster (Felix Happer), Peter Riegert (MacIntyre), Fulton MacKay (Ben), Denis Lawson (Gordon Urquhart), Peter Capaldi (Danny Oldsen).

   MacIntyre, un jeune cadre de la Knox, importante compagnie pétrolière texane, est dépêché dans un petit village de pêcheurs écossais dont la position stratégique exige l'implantation d'un complexe pétrolier. Menée par l'aubergiste Gordon Urquhart en raison de ses compétences financières, la population est décidée à ne lâcher le terrain communal qu'au prix fort. On ne rêve déjà plus que Rolls ou Lamborghini. Les habitants pourtant déjà importunés par des exercices aériens de la Royal Navy sont tout prêts à laisser détruire un environnement exceptionnel.
   Charmé cependant par la vie simple des pêcheurs comme par la femme de l'aubergiste, MacIntyre se détache peu à peu de sa mission. Le grand patron Felix Happer (B. Lancaster : Galerie des Bobines), un passionné d'astronomie, débarque attiré par les phénomènes célestes locaux dont lui rend compte MacIntyre par téléphone. Après avoir tenté en vain de convaincre le vieux Ben domicilié dans une cabane sur la plage de lui vendre ses terrains, qui sont les mieux placés, séduit par le site et ses habitants, il décide d'abandonner le projet pour fonder un institut d'astronomie et d'étude du milieu marin. Ce dernier avait été réclamé par une jeune femme spécialiste de plongée surveillant les fonds pour le compte de la Knox.

   Fable philosophique et poétique donc, dénonçant les méfaits du capitalisme. La poésie provient du paysage, de l'humour, et de certains événements qui semblent tenir du fantastique comme la plongeuse, identifiée à une sirène qui déterminerait implicitement le cours des événements.
   Malheureusement, la mise en scène se contente d'être le fade instrument du scénario. Les belles photos et les idées loufoques ou généreuses en soi ne sauraient passer pour chose cinématographique. 12/07/01
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Clemente FRACASSI
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Aïda It. VO 1953 95' ; R. C. Fracassi ; Sc. Carlo Castellin, Anna Gobi ; Ph. Piero Portalupi ; Pr. Gregor Rabinovitch ; M. G. Verdi, Renzo Rossellini ; Int. Sophia Loren (Aïda, doublée par Renata Tebaldi), Lois Maxwell (Amneris), Luciano Della Marra (Radamès).

   L'esclave et princesse éthiopienne Aïda et le héros militaire égyptien Radamès s'aiment. Radamès renonce à épouser Amneris la fille du pharaon et à hériter du trône. Ayant trahi sa patrie par une ruse du père d'Aïda, le roi d'Ethiopie, il est condamné à être emmuré vivant. Il mourra avec Aïda qui a pu se glisser dans la crypte du supplice. Il ne reste à Amneris qu'à maudire les juges et pleurer son bien-aimé.

   Mise en scène involontairement comique, non pas tant par le carton-pâte criard des décors que par l'extrême maladresse des ballets et le naïf parti pris consistant à calquer scrupuleusement les personnages sur ceux des fresques antiques. 6/09/02 Retour titres Sommaire

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Freddie FRANCIS
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Dracula et les femmes (Dracula Has Risen From the Grave) GB 1968 92' ; R. F. Francis ; Sc. John Elder ; Ph. Arthur Grant ; M. James Bernard ; Pr. Hammer (producteur habituel de la série Dracula) ; Int. Christopher Lee (Dracula), Rupert Davis (l'évêque), Barbara Erwing (Zena), Veronica Carlson (Maria).

   Un idiot découvre suspendue dans la cloche de l'église une femme vidée de son sang par la double plaie fatale au cou. L'évêque force le curé à l'accompagner au château du comte Dracula dont il scelle l'entrée avec une croix d'airain après avoir accompli le rituel d'exorcisme. Entre-temps le curé resté en arrière se blesse aux rochers. Son sang va nourrir Dracula pris dans les glaces d'un torrent. Le monstre s'éveille et vampirise le curé, qui va le servir dans sa quête de femmes. La jeune personne convoitée après un coup d'essai sur la servante Zena, est la nièce de l'évêque, fiancée à un jeune athée énergique. Malgré les précautions d'usage celle-ci est vampirisée, mais dans une lutte avec le jeune homme devant le château, Dracula déséquilibré va s'empaler sur la croix d'airain plantée dans le sol depuis que Maria l'a détachée du portail.

   Outre les données habituelles, comme les très gros plans sur les yeux rougis d'afflux sanguin, autoritaire et superbe, Christopher Lee incarne parfaitement la figure paternelle cannibalique remontant à Saturne.
   Les contre-plongées sur sa personne procurent une sorte de vertige comme d'une figure inversée de la fosse funéraire. Il fouette furieusement son attelage à la mesure de sa frénésie érotico-vampirique. Son château, contrairement à l'habitude, est inaccessible aux voitures. Effort de renouvellement.
   Hélas les crescendo musicaux systématiques pour signaler quand avoir peur annulent les effets d'image et rendent le spectateur passif. En outre une contradiction logique grève la crédibilité du récit : comment Dracula pouvait-il vampiriser une victime et la suspendre au battant de la cloche alors qu'il était doublement prisonnier de la glace et d'un sommeil léthargique ? On peut aussi déplorer un titre français trompeur.
   J'attends du film de vampires qu'il nourrisse de son sang mon imaginaire érotique dans l'ambivalence archaïque de l'avidité sexuelle orale et de l'épouvante cannibalique. Cela ne paraît possible qu'à se libérer des mythes et de ses représentations : sur écran totalement noir. 20/04/01
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Arnold FRANCK et Georg Wilhelm PABST
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L'Enfer blanc du Piz Palü (Die weisse Hölle vom Piz Palü) All. Muet N&B 1929 135'
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Georges FRANJU
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Les Yeux sans visage Fr. N&B 1959 88' ; R. G. Franju ; Sc., Ad. Boileau-Narcejac, Jean Redon, Claude Sautet, d'après J. Redon ; Dial. Pierre Gascar ; Ph. Eugen Schüfftan ; M. Maurice Jarre ; Pr. Jules Borkon ; Int. Pierre Brasseur (Dr Genessier), Alida Valli (Louise), Edith Scob (Christiane Genessier), Juliette Mayniel (Edna), Béatrice Altariba (Paulette), Claude Brasseur (un inspecteur), François Guérin (Jacques), Alexandre Rignault (l'inspecteur Parot).

   Louise, l'assistante du professeur Genessier qui lui a refait la figure, porte au cou un collier de chien en perles masquant la cicatrice. Au volant d'une Deux-chevaux, qui transporte aussi des corps, elle cherche des visages de jeunes filles que le patron tente de transplanter sans succès sur sa fille défigurée. Déclarée morte par prudence, celle-ci ne peut s'empêcher d'adresser un imperceptible signe téléphonique à son fiancé Jacques - l'assistant du Dr - qui alerte la police. Trop tard : dans un geste de révolte tournant à la démence, Christiane poignarde Louise au scalpel, délivre l'ultime "donneuse" sur le point d'être sacrifiée et avant d'ouvrir la volière des colombes qui la suivront au fond des bois, libère les chiens de laboratoire, qui dévorent leur maître.

   Le décor crée une ambiance de manoir lugubre, nocturne et désaffecté, à l'intérieur somptueusement bizarre où se multiplient les ombres, et résonnent les aboiements hors-champ comme dans les adaptations du Dr Moreau de H.G. Wells (voir article suivant). Massif et impavide personnage au regard aigu, Genessier est responsable de l'accident de voiture qui a privé sa fille de physionomie. Adulant celle-ci au point de dévisager sa plaie avec amour, Louise endosse le rôle du serviteur dévoué jusqu'à la mort (d'où le collier) au service du Vampire, que suggère, outre le décor intérieur dépourvu de miroirs en dépit du masque, le viol par Genessier du caveau de famille dans un cimetière brumeux aux arbres décharnés où résonne l'appel des corneilles.
   Habile procédé d'horreur, la face monstrueuse n'est entrevue qu'une fois, à travers la vision floue d'une des victimes encore intacte, se réveillant terrifiée à l'instant où Christiane l'observe sur le billard. Vêtue de déshabillés évoquant les poupées du 19
e siècle, le geste à la fois fragile et mécanique rythmé par une musique de manège dissonante en diminuendo, Christiane est recluse dans une chambre haute chauffée par cheminée comme une princesse moyenâgeuse. Belle de la Bête, elle câline les molosses carnassiers.
   Bref, au détriment de la suggestion, trop de clichés et de réminiscences telles que
The Most Dangerous Game (1932) et Les Diaboliques (la maison, la Deux-chevaux, la banlieue nocturne, etc. (1954)). 4/03/01 Retour titres Sommaire

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John FRANKENHEIMER
liste auteurs

L'Ile du docteur Moreau (The Island of Dr Moreau) USA 1996 96' ; R. J. Frankenheimer ; Sc. Ron Hutchinson, Richard Stanley, d'après H.G. Wells ; Ph. William A. Fraker ; M. Gary Chang ; Pr. Edward R. Pressman ; Int. Marlon Brando (Dr Moreau), Val Kilmer (Montgomery), Edward Douglas (David Thewlis), Fairuza Balk (Aissa).

   Cette troisième adaptation(1) pour un modeste budget de quarante millions de dollars est un produit de masse nullissime aui tente de s'inspirer des recettes à succès.

   Espèce d'antipape pommadé de blanc en raison d'une allergie au soleil, échappé directement d'Apocalypse Now dans des décors postiches, Marlon-Moreau (Galerie des Bobines) bâillant d'ennui trône sur une papamobile toute caparaçonnée, une télécommande à la main contrôlant ses créatures implantées électroniquement. Avec des relents de Planète des singes, les monstres terrorisent les petits spectateurs en grognant et ânonnant à qui mieux-mieux.

   Ce pourrait être burlesque si ce n'était affligeant de mercantile médiocrité. Film interdit aux moins de quatre ans. 14/07/02 Retour titres Sommaire

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Carl FRANKLIN
liste auteurs

Le Diable en robe bleue (Devil in a Blue Dress) USA VO 1995 100' ; R., Sc. C. Franklin ; Ph. Tak Fujimoto ; M. Elmer Bernstein ; Int. Denzel Washington (Easy), Jennifer Beals (Daphne), Tom Sizemore, Don Cheadle.

   Los Angeles en 1948. Chômeur noir criblé de dettes, Easy est amené à accepter des boulots pas très nets qui le propulsent au cœur d'une sombre affaire. Il doit retrouver une certaine Daphné, une Blanche, Noire d'origine, qui porte une robe bleue et déclenche tous les conflits. Les cadavres s'accumulent autour de lui. D'autres personnages importants, toujours blancs, lui proposent des tâches connexes grassement rémunérées. Il se révèle détective hors-pair, totalement immunisé dans un monde irréel.

   C'est tout ce qu'on demande au roman noir américain des années quarante : frisson mais immunité. La reconstitution urbaine affiche une jolie palette de couleurs animées par de rutilantes automobiles d'époque que n'affecte jamais la poussière ambiante, véritables joujoux sous cloche.
   Présentés comme victimes morales et économiques de la ségrégation, les Noirs supportent d'autant mieux leur misère supposée qu'on ne les voit qu'au volant de ces mêmes véhicules aseptiques, en boîte de Jazz, en gangsters ou batifolant sur des pelouses privatives.
   Bref un excellent divertissement bien déréalisant, qui sait limiter le tragique au rôle de piment dans la ratatouille. 10/11/01
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Stephen FREARS
liste auteurs

Mary Reilly GB 1995 120' ; R. S. Frears ; Sc. Christopher Hampton, d'après valerie Martin ; Ph. Philippe Rousselot ; M. George Fanton ; Pr. Ned Tanen, Nancy Graham Tanen, Norma Heyman ; Int. Julia Roberts, John Malkovich, Glenn Close.

   Un Hyde érotisé par le regard d'une servante que fascine sa cruauté, lui-même en retour jekyllisé par la fraîcheur candide de Julia Roberts. La part trouble de Mary provient d'une enfance martyrisée par un père violent : situation psychologique étudiée et peut-être superflue, ou en tout cas trop justificative : l'érotisme peut-il admettre une quelconque causalité psychologique sans se réduire au symptomal ?

   Le décor évoque un château avec salle des tortures (le labo, dramatisé, d'un amphithéâtre) et cour intérieure toujours embrumée où Mary est autorisée à cultiver des herbes comme au couvent.
   Angles de vues tourmentés par des plongées quelque peu excessives. Éclairage diffus et couleurs feutrées à la limite de la sépia, excepté le sang. Sons intéressants comme de tintements de chaînettes, de crissements de courroies ou de cordes. Belles études de visages : angulosité de Jekyll, vulgarité funèbre de la maquerelle. Meilleurs moments, les silences meublés de sonorités légères et menaçantes.
   Les excès optiques et musicaux banalisent le film. On est pris le temps de la projection, puis cela s'estompe. La meilleure idée est dans l'imaginaire érotique à peine esquissé de Mary, qui permet de dépasser les effets d'horreur, que le cinéaste ne cherche pas à accentuer du reste. Dommage qu'il n'ait pas approfondi le genre de l'érotisme esquissé, et que le fantastique soit aussi conventionnel !
   Au fond un poil trop didactique. 17/09/99
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Karl FREUND
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La Momie (The Mummy) USA N&B 1932 72' ; R. K. Freund ; Sc. John Balderson ; Ph. Charles Stumar ; Maq. Jack Pierce ; Pr. Universal ; Int. Boris Karloff (Im-Ho-Tep et Ardath Bey), David Manners (Frank Whemple), Edward Van Sloan (le professeur Muller), Zita Johann (Helen Grosvenor).

   En 1921 on a trouvé la momie du grand prêtre Im-Ho-Tep. Elle est ressuscitée à la suite de la lecture du manuscrit de Toth. Dix ans plus tard Frank Whemple, assisté du mystérieux Ardath-Bey, tente par le même procédé de redonner vie à une momie de princesse. Laquelle s'est réincarnée dans la personne de Helen Grosvenor, la fiancée de Frank. Frank sauve Helen des mains d'Ardath-Bey, alias Im-Ho-Tep, déjà condamné trente-sept siècles auparavant pour avoir tenté de réveiller la princesse, et qui allait la sacrifier pour s'unir à elle dans la vie éternelle.

   Taillé sur mesure pour Boris Karloff (le Frankenstein de James Whale est de 1931 !), on ne peut en dire autant de l'actrice principale, Zita Johann censée, avec un physique petit-bourgeois, être la réincarnation d'une princesse antique.
   Réalisation fort conventionnelle avec de gros-plans très maquillés de la momie et des éclairages antisolaires dignes du ci-devant muet mais, appliqué au parlant, le procédé est excessif.
   Globalement : mythologie coloniale et tintinesque des années 30, fondée sur la culpabilité des dominants se projetant dans les maléfices émanant des dominés... 25/09/99
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Les Mains d'Orlac (Mad Love) USA N&B 1935 70' ; R. K. Freund ; Sc. Guy Endore, John Balderston, d'après Maurice Renard ; Ph. Gregg Toland ; Pr. MGM ; Int. Peter Lorre (Dr Gogol), Frances Drake (Yvonne Orlac), Colin Clive (Stephen Orlac), Ted Healy (Reagan).

   Le pianiste virtuose Orlac perd ses mains dans un accident. Le grand chirurgien Gogol, amoureux de son épouse Yvonne, qui le repousse, lui greffe les mains d'un assassin exécuté. Il fait croire à son rival qu'il est l'auteur d'assassinats récents. Yvonne en doute et rend visite à Gogol, qui tente de l'étrangler. Orlac survient à pic pour tuer le malfaisant.

   Peter Lorre dans le rôle du Dr Gogol, c'est taillé sur mesure et prévisible d'autant... Un peu trop d'accessoires du fantastique et de l'horreur : la poupée de cire, l'architecture vaguement gothique, tout cela bien ostensible.
   Le véritable fantastique n'est pas affaire d'accessoires, mais de puissance de transformation du matériau le plus banal. 11/99
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Kinji FUKASAKU
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Battle Royale (Batoru rowaiaru) Jap. VO 2000 113' ; R. K. Fukasaku ; Sc. Kenta Fukasaku, d'ap. Koshun Takami ; Ph. Katsumi Yanagijima ; M. Masamichi Amano ; Pr. Masao Sato, Masumi Okada, Tetsu Kamaya ; Int. Takeshi Kitano (Kitano), Tatsuya Fujiwara (Shuya Nanahara), Aki Maeda (Noriko Nakagawa), Taro Yamamoto (Shougo Kawada), Masanobu Ando (Kazuo Kiriyama), Kou Shibasaki (Mitzuko Souma), Chiaki Kuriyama (Takako Chigusa).

   Au vingt-et-unième siècle, une classe de lycéens anesthésiés pendant un voyage de fin d'année scolaire en autocar, se retrouve sur une île déserte, sous le contrôle de Kitano, un ancien professeur, assisté de forces armées, à la suite de l'instauration d'un régime politique de type fasciste baptisé Battle Royale.
   Pour apprendre l'obéissance et le respect, les adolescents sont contraints de participer à un jeu sanglant auquel se sont joints deux volontaires vainqueurs des jeux précédents.
   Lâchés dans la nature avec armes et provisions, ils ont pour consigne de s'entretuer, le dernier survivant étant le vainqueur. Le terrain se divise en zones dont certaines sont prohibées à certains moments, signalés une heure avant par haut-parleur. Les joueurs portent un collier inamovible qui explose en cas de manquement aux règles. Celles-ci leur ont été expliquées sur une vidéo par une jeune speakerine de style Manga pleine d'un facétieux entrain. L'identité et le sexe des morts sont annoncés tous les jours par Kitano lui-même à l'aide du haut-parleur, et affichés à l'écran en caractères d'imprimerie comme pour un jeu vidéo.
   Il y aura trois survivants, un couple et un volontaire, qui se sont alliés et parviendront à tuer Kitano.

   On a cru devoir y déceler une parabole et un chef-d'œuvre d'humour noir. Autrement dit, il ne faudrait pas prendre l'aspect gore à la lettre. Il s'agit en effet d'un récit de science fiction, d'autant plus irréaliste qu'il s'identifie à l'univers du jeu vidéo, dont le dénouement très moral laisse une note d'espoir excluant toute complaisance eschatologique.
   En réalité le massacre témoigne d'une telle délectation à l'étalage d'hémoglobine qu'il faut renoncer à ce pieux compromis avec une esthétique relevant du grand bazar planétaire. Le film s'inscrit au contraire dans les plus habiles productions de masse sur la base d'une propagande insidieuse en faveur de l'idéologie dominante. Le jeu vidéo est une intéressante couverture qui tout à la fois séduit un public tombé dedans dès la naissance et déréalise la violence de l'image. La violence au service de l'individualisme - que ne parvient pas à dénier une chute des plus formalistes - dans un contexte de compétition pour la survie, se présente sous la forme politiquement correcte d'une imagerie de Playstation.
   Il permet ainsi de nourrir les fantasmes de vengeance nés de la frustration sociale, économique, politique, spirituelle, qu'engendre un monde ne connaissant d'autre loi que celle du profit. 1/01/04
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Samuel FULLER
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Le Port de la drogue (Pickup on South Street) USA VO N&B 1953 85' ; R., Sc. S. Fuller, d'après Dwight Taylor ; Ph. Joe MacDonald ; M. Leigh Harline ; Pr. Jules Schermer/20th Century Fox ; Int. Richard Widmark (Skip McCoy, Galerie des Bobines), Jean Peters (Candy), Thelma Ritter (Moe Williams, Galerie des Bobines).

   Film anti-rouge censuré au doublage(1), qui substitue au thème de l'espionnage communiste celui de la drogue, d'où le titre français ! Dans le métro, sortant de prison, un sympathique malfrat sûr de lui (Skip McCoy) subtilise dans le sac à main d'une midinette (Candy) un porte-monnaie contenant le microfilm d'un secret industriel que convoitent les communistes. Mais Candy est filée par un agent du contre-espionnage, et Skip vite repéré cherche à monnayer sa trouvaille. La fille tombe amoureuse de lui et il obtiendra une amnistie après avoir rossé un affreux communiste meurtrier d'une brave indicatrice.

   Curieusement, Pickpocket de Bresson semble avoir quelques réminiscences des scènes (image et son) du métro. Joli filmage à grain fin de la ville et du port où niche Skip dans une cabane lacustre reliée au quai par une passerelle branlante.
   Le polar, même de qualité, reposera toujours sur des valeurs fragiles, surtout lorsqu'il se raccroche aux préjugés les plus crasses. 24/04/00
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Urban GAD
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L'Abysse (Afgrunden) Danemark N&B Muet 1910 38'' ; R., Sc. U. Gad ; Ph. Alfred Lind ; Pr. Hjalmar Davidsen ; Int. Asta Nielsen (Magda Vang), Poul Rumert (Rudolph, l'artiste de cirque), Robert Dinesen (Knud Svane).

   Magda, vivant de leçons de piano, et Knud, ingénieur, se sont rencontrés sur la plate-forme d'un tram électrique. La jeune femme est invitée à passer les vacances d'été au presbytère du pasteur, le père de Knud. Lors d'une promenade ils croisent une parade de cirque où Rudolph, le cow-boy de la troupe, salue Magda de façon marquée. Elle convainc son ami d'assister au spectacle, occasion de revoir le beau cow-boy. Et se laisse le soir même par amour enlever au grand galop. Avec son amant ils montent un spectacle érotique. Mais il est volage et elle est tentée de suivre Knud, qui a retrouvé sa trace et lui propose un destin plus paisible. Rudolph survient à temps qui la retient par le désir. Magda fait scandale en agressant sauvagement une rivale en plein spectacle. Le couple est chassé du cirque. Elle tient maintenant la partie de piano dans un orchestre de cabaret pendant que Rudolph consomme à la terrasse. Knud tombé-là par hasard fait passer à la pianiste par le garçon de café un mot anonyme de rendez-vous à la pause dans le cabinet privé, ce dont elle se refuse avec un supposé inconnu. Prévenu par le garçon qui pense tirer avantage financier de cette situation scabreuse, Rudolph la force à s'y rendre. Mais l'entrevue s'éternisant le garçon le pousse à intervenir. Knud est invité à sortir et dans la lutte qui s'ensuit Magda poignarde à mort son amant avec un couteau qui traînait sur la table. La police doit l'arracher cramponnée au cadavre pour l'emmener.  

   Moyen métrage étonnamment moderne, aux cartons laconiques, sans grimaces ni gesticulations, tourné largement en extérieurs en usant de la profondeur de champ et de la caméra précocement assez mobile, n'hésitant pas à fragmenter l'action par un montage pourvu de raccords dans l'axe ou le mouvement. À noter que le mouvement de caméra est aussi un procédé de montage. Quand le beau cow-boy la salue, Magda est rejetée hors-champ. La caméra en sens inverse la fait revenir alors que l'homme est déjà sorti du champ, en une sorte de jeu du désir.  Il y a même manifeste contre le théâtre filmé, à cadrer face un spectacle de cirque vu de profil pour les spectateurs virtuels situés hors-champ droite-cadre, où émerge une partie de la fosse d'orchestre, si bien que les acteurs saluent de profil. Le montage parallèle quant à lui pousse au paroxysme la tension, quand le garçon de café, par avidité, excite Rudolph attablé en terrasse alors que Magda et Knud sont en tête à tête privé. Mais moderne aussi par la liberté du propos dans cette odyssée amoureuse par déclassement sans voyeurisme d'une petite bourgeoise dédaignant un parti aseptique pour aller se vautrer dans la sciure et le crottin.
   Liberté mortelle à l'homme que celle des bêtes ! Au moment précis où l'ingénieur demande à Magda sa carte au début, un chien errant s'introduit gauche-cadre jusqu'au milieu du champ parmi les tables de la terrasse, puis fait demi-tour, ressortant par le même chemin au moment précis où la carte est remise. Chien contre civilité, le destin est en marche. Plus tard on retrouve un chien semblable à la pension parmi les artistes. Le chien ne connaît du sexe que le rut. Le sexe dévastateur décide du destin de Magda, qui ne peut résister à Rudolph quand Knud lui offre son bras. Cela culmine dans l'érotisme du numéro sur scène consistant en étroites rotations spasmodiques du bas-ventre animant hanches et fesses, lesquelles se trémoussent collées au corps du mâle qu'elles contournent en insistant sur la braguette, après l'avoir ligoté... Outch ! Quand je pense qu'elle aurait pu être ma grand-mère !  20/11/17
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Abel GANCE
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La Roue Fr. Muet N&B 1922 179'
Commentaire

Bonaparte et la Révolution Fr. N&B 1925/1970 270' ; R., Sc., Dial., Découpage A. Gance ; Ph. Jules Kruger ; M. Arthur Honegger ; Mont. Max Saldinger/Gance/Claude Lelouch (1970) ; voix de Jean Toppart ; Int. Albert Dieudonné (Bonaparte), Antonin Artaud (Marat), Harry Krimer (Rouget de Lille), Annabella (Violine), Gina Manes (Josephine), Edmond Van Daël (Robespierre), Alexandre Koubitzky (Danton), A. Gance (Saint Just), Damia (la marseillaise), Marguerite Gance (Théroigne de Méricourt), etc.

   Quelle merveille que l'éclairage dans Bonaparte et la Révolution de Gance ! C'est le "faux" qui conduit au vrai : du symbolique à fleur d'image. Ne peut-on dire que cette époque étant révolue, le symbolique(1) a migré dans les coins et les interstices ? L'éclairage participe du traitement épique du cadrage et du montage. Les scènes de guerre ainsi que celles des fêtes sont extraordinaires et ne peuvent être définies que par un paradoxe : la lisibilité dans la confusion dynamique. Le montage alterné joue de la comparaison grandiose comme celle des vagues de la mer démontée où vogue le frêle esquif de Bonaparte, avec l'assemblée dont le mouvement houleux est imprimé par le balancement de la caméra. Les surimpressions sont animées de pulsations alternées dynamisant le souffle.
   Malheureusement, tout cela est à mettre au crédit d'un autre film daté de 1925,
Napoléon. Ce que nous avons sous le titre Bonaparte et la Révolution, c'est un muet remanié et postsynchronisé, ce pourquoi il n'était pas fait au départ. Gestuelle et mimiques remodelées par des éclairages d'une étonnante vigueur poétique contiennent déjà en elles-mêmes paroles et cris. De plus, la bande-son est saturée comme si le son requérait la même continuité que l'image ! Les scènes de foules tonitruantes alternent sans répit avec les paroles plaquées et les bruitages souvent grossiers, comme le bruit des pas à la course semblable à la sonorisation d'un mauvais dessin animé. Et la voix de Bonaparte est celle de Dieudonné plus vieux de cinquante ans !
   Pour vraiment juger de la qualité artistique il faudrait pouvoir disposer de la version originale muette ! 31 juillet 99
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La Fin du monde N&B 1930 103' ; R., Sc. A. Gance d'après La Fin du monde de Camille Flammarion ; Ph. Jules Kruger, Nicolas Roudakoff, Émile Pierre, Lucas, Lachowsky ; M. (adaptation) Michel Levine, Siahan, Zederbaum ; Pr. L'Écran d'Art ; Int. Colette Darfeuil (Geneviève de Murcie), Abel Gance (Jean Novalic), Victor Francen (Martial Novalic), Samson Fainsilber (Schomburg), George Colin (Werster, le boursier), Jean d'Yd (Murcie), Sylvie Grenade (Isabelle, la maîtresse de Schomburg).

   Inventeur d'une comète qui se dirige vers la terre, l'astronome Martial Novalic, s'inspirant des idées généreuses de son frère Jean - écrivain devenu fou à la suite d'un choc crânien - prépare un monde meilleur. Il parvient à étouffer les mouvements d'un conflit mondial, et fait proclamer la république universelle avant le cataclysme, en espérant des survivants. En effet, la comète ne fait que frôler la terre, et le monde tourne à la religiosité.
   Le piment de l'histoire tient à la lutte de deux factions. Les purs derrière Novalic, qui a réussi à convaincre le boursier Werster. Ce qui lui permet de tenir tête au puissant et richissime Schomburg, ami de l'État et spéculant sur la guerre. Mais ça se complique. Geneviève, fiancée admirative de Jean Novalic et fille de Murcie, un savant à qui Martial a ravi le prix Nobel, est confiée à son frère par Jean avant qu'il ne sombre dans la déraison. Bien que sommée d'épouser Schomburg qui l'a violée après avoir acheté son père, elle travaillera avec Martial au sauvetage de l'humanité. Mais elle aime trop la vie facile et retourne à son père et à Schomburg. Entouré de flics, celui-ci vient en ascenseur arrêter Martial et Werster, qui sabotent l'antenne de la tour Eiffel pour empêcher la déclaration de guerre. Prise de remords Geneviève prévient par téléphone Werster qui lui recommande de ne pas monter avec eux. Elle passe outre et meurt avec Schomburg dans l'accident que provoque le boursier en sectionnant le câble au chalumeau.

   Le personnage de Schomburg est magnifiquement méphistophélique, et Martial incorruptible avec grandiloquence. Autre aspect intéressant, la figure du Christ. Au début, Jean Novalic tient le rôle du Christ dans une représentation de la Passion à l'église. C'est une sorte de Christ-Jean de l'Apocalypse vivant dans le dénuement, se disant né pour souffrir et qui pressent la fin du monde avant que son frère ne la calcule.
   Alité alors que son esprit vacille, il est entouré de colombes blanches. L'esprit de Jean plane sur tout le film et en détermine le dénouement rédempteur. Tout ici tend au lyrisme mystique sans parvenir à s'en frayer véritablement la voie.
   Les procédés se ressentent du genre muet auquel devait d'abord appartenir ce film. Éclairages superbes mais gestes et intonations de voix outrés. "Un film conçu muet, comme
La Fin du monde d'Abel Gance, note Dominique Villain (in L'Œil à la caméra, Cahiers du cinéma, p. 88), avait une image trop significative pour qu'on puisse y ajouter du son".
   Il faudrait étudier de près le décor, qui se ressent de l'illuminisme gancien : le logement de Jean curieusement oblong, situé dans un recoin de la ville et flanqué de niches d'oiseaux, ou les effets aériens tirés des structures de la tour Eiffel.
   Au total, Gance s'attaque ici à des thèmes qu'il est difficile d'arracher aux pires poncifs. S'il sut néanmoins s'en garder, c'est sur un mode dispersé. 14/09/02
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Un grand amour de Beethoven Fr.  N&B 1936 135'
Commentaire

Cyrano et d'Artagnan Fr.-Esp.-It. Eastmancolor 1962 145' ; R., Sc. A. Gance, d'après Alexandre Dumas et Edmond Rostand ; Ph. Otelio Martelli, Picon Borel ; M. Michel Magne ; Pr. Circe, C.C. Champion, Agata Films ; Int. Jean-Pierre Cassel (d'Artagnan), José Ferrer (Cyrano de Bergerac), Sylvia Koscina (Marion Delorme), Dahlia Lavi (Ninon de Lenclos), Michel Simon (le père de Cyrano), Philippe Noiret (le roi).

   1642 : deux Gascons pauvres et ambitieux se rencontrent sur le chemin de Paris. Ils font assaut de gasconnades pour se hausser mais n'étant dupes ni l'un ni l'autre, deviennent inséparables. D'Artagnan doit avec les mousquetaires servir Richelieu, Cyrano, la reine dans le camp opposé. Leur amitié non seulement surmonte ces contradictions, mais s'en renforce. Cyrano est un vrai prodige de la nature : poète et inventeur, il parle aux oiseaux et se montre capable de vaincre à l'épée les cent hommes de la bande des Écorcheurs, mis en embuscade par Richelieu.
   Les deux compères ont l'heur de plaire à deux beautés du temps, Marion Delorme et Ninon de Lenclos qui font un choix inverse de celui des élus de leurs sens. Invités, masqués par prudence, à pénétrer nuitamment jusque dans l'alcôve, ceux-ci intervertissent les rôles. Les dames galantes sont comblées, sauf la nuit où ils reprennent leur identité. Elles se retrouvent gâtées dès que l'ordre habituel est rétabli. Un jour ils sont découverts. Les Belles d'abord offusquées reconnaissent ensuite à leur corps défendant que le choix des amants n'était pas si mauvais. Les deux couples assortis à la faveur des masques finissent par se former officiellement.

   Combinant dans un flamboyant Eastmancolor, théâtre, film de cape et d'épée, conte galant, récit fantastique et biographie de Cyrano, cette ambitieuse entreprise, où se reconnaît certes la liberté de Gance, est un échec pour deux principales raisons, semble-t-il.
   La première, c'est que le théâtre y domine au détriment du cinéma : cela commence par une exposition en règle, et se déclame en vers, dans des décors souvent factices. La deuxième est le défaut absolu de tragique. Non seulement celui-ci s'est toujours imposé, du moins avant le parlant, comme constituant la véritable respiration du grand artiste Gance, mais en l'occurrence, le danger, les complots et l'érotisme qui font l'intrigue s'en trouvent dépourvus de sel autant que de sang.
   Ce qui devait s'épanouir par le dépassement audacieux du genre se résout dans une fantaisie pittoresque sans plus. 2/03/03
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Nicole GARCIA
liste auteurs

L'Adversaire Sui. -Fr.-Esp. 2002 129'
Commentaire

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Philippe GARREL
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La cicatrice intérieure 1971 57'
Découpage
Commentaire

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Tony GATLIF
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Gadjo dilo Fr.-Roumain 1997 110' ; R., Sc. et M. T. Gatlif ; Ph. Éric Guichard ; Son et mont.-son Nicolas Naegelen ; Mix. Dominique Babouriau ; Mont. Monique Dartonne ; Déc. Brigitte Brassart ; Pr. Daru Mitran ; Int. Romain Duris (Stéphane), Rona Hartner (Sabine), Izidor Serban (Isidor).

   Le jeune Parisien Stéphane traverse la Roumanie hivernale à pieds et en stop à la recherche d'une chanteuse tzigane qu'adula son père. Il est recueilli dans un village tzigane par le vieil Izidor dont le fils mafieux vient d'être arrêté. Avec son aide et celle de la troublante Sabine, la seule à baragouiner le français, il recherche dans le pays des chanteurs à enregistrer. Ayant tourné à l'érotisme fiévreux, la relation avec Sabine est perturbée par la mort de Gadidjan, le fils d'Izidor assassiné par les Gadje du village, qui dévastent en outre le campement. Stéphane finit par détruire et enterrer ses enregistrements à la satisfaction de Sabine.

   Beau document sur la vie d'un village tzigane dans un milieu hostile à bas niveau économique, comportant musique et danses dans les fêtes sur place et chez les mafieux où voltigent les billets de banque.
   L'ambiance érotique d'abord imperceptible s'affirme de plus en plus sous des figures inspirées par la danse, les mots, les gestes. Stéphane ayant bricolé un phonographe à pavillon avec un cornet de journal, Sabine pour mieux tendre l'oreille, pose sa joue sur la main qui tient le pavillon en disant "c'est beau !"
   Malheureusement les clichés débarquent au passage à l'acte. On a même droit aux amants se pourchassant dans les bois dans le plus simple appareil. En voici d'autres d'aussi délicieuse naïveté : pour aider le spectateur à comprendre le rituel de la noce où le père feint d'interdire le départ de sa fille, la caméra capte le regard de l'étranger : d'abord inquiet, puis souriant ayant compris. Dans la même logique, quand Izidor va faire réparer les chaussures de Stéphane, on nous montre une rangée de réparateurs de lessiveuses. "Que la cause suive l'effet" disait Bresson. Mais quand Gatlif applique ce principe, c'est par un poncif : un élargissement du champ révèle qu'en panne, la voiture dont on croyait le mouvement autonome est tirée par deux chevaux.
   Enfin, tout en ayant l'air de donner la préférence à la collectivité, Gatlif tombe dans le star-system en soulignant lourdement dès le début la figure de Sabine au milieu d'autres femmes. À coup sûr, on me rétorquera : ce ne sont pas deux ou trois clichés… Oui mais révélateurs d'une incompétence à penser le film avant les scènes.
   Au total l'intérêt tient dans le pittoresque documentaire et l'érotisme. Certes, on est déjà heureux de découvrir un monde différent. En ce cas voyez plutôt l'étonnant J'ai même rencontré des Tziganes heureux. 3/07/01
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Swing Fr. 2002 90' ; R., Sc. T. Gatlif ; Ph. Claude Garnier ; Déc. Denis Mercier ; Mont. Monique Dartonne ; Pr. Princes films ; Int. Oscar Copp, Lou Rech, Tchavolo Schmitt.

   Max, dix ans, veut apprendre la musique manouche. Swing, fillette manouche de son âge qui se fait passer pour un garçon lui procure une mauvaise guitare moyennant un diskman. Il prend des leçons avec Miraldo, l'oncle de Swing, contre des services de scribe. 
   Le garçonnet, qui vit chez sa grand-mère dans une belle villa strasbourgeoise fait avec Swing les quatre cents coups, dans ce quartier des faubourgs mêlé de bicoques et de caravanes. Une tendre complicité s'établit entre les deux enfants. Max s'initie à la nature et aux vertus des plantes sous la conduite de Swing et de Miraldo. Mais celui-ci est emporté par un malaise soudain et Max doit partir en Grèce avec sa maman. Les larmes amères du deuil et de la séparation se confondent.

   Joli conte de fées où le visage de porcelaine incrustée de bleu de Max se conjugue symboliquement avec la chaude profondeur de celui de Swing.
   Le beau rêve de concorde entre les communautés se concrétise en même temps dans ce chœur de jeunes Alsaciennes en langues rom et arabe au sein de l'orchestre manouche. La musique d'écran remplit véritablement un rôle de médiation culturelle. Le spectateur se sent de plain-pied avec les scènes de "bœuf", notamment dans une grande caravane Tabbert cadrée en profondeur de champ avec des danseuses.
   Les effets de lyrisme par l'image et le montage sont moins convaincants. Ainsi l'usage de prises de vues aériennes tanguant sur la campagne alsacienne pour incarner le bonheur des enfants. L'une d'elle enchaîne sur ce cliché de l'amour : Swing court dans un champ, l'herbe défile à toute vitesse, on décolle puis on plane. La musique et les enfants, si bien observés, suffisaient amplement.
   Voici mieux : à la fin Swing, qui ne sachant pas lire abandonne sur le trottoir le journal qu'a rédigé Max sur leur aventure, s'enferme dans un réduit sombre derrière une froide porte métallique bleue clôturant frontalement le film.
   Mais cela ne suffit pas pour introduire une véritable dimension tragique, un élément de vérité cruciale qui eût fortifié la dialectique de l'espérance, au lieu d'imposer de bons sentiments auxquels nul ne saurait croire. 17/03/02
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Valérie GAUDISSART
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Apesanteurs Fr. 1999 20' ; R., Sc. V. Gaudissart ; Ph. Benoît Chamaillard ; Son Jean-Philippe Le Roux ; M. Roland Cahen ; Mont. Catherine D'Hoir ; Pr. Joël Farges ; Int. Nathalie Boutefeu, Pascal Cervo, François Caron, Yongsou Cho, Blandine Pelissier.

   "En permission pour raisons de famille exceptionnelles", une jeune femme dans une chambre d'hôpital rassemble des affaires - dont un drap qu'elle renifle puis subtilise - : celles de son père qui vient de mourir. Elle flâne, choisit un cercueil, se laisse maquiller dans l'opération publicitaire d'un grand magasin, prend en photo un couple de jeunes mariés islandais sur le toit d'un immeuble, sort en boîte où elle rencontre un Japonais, remet sa valise aux objets trouvés, puis rentre en taxi à la prison où elle passe à la fouille.

   Des effets intéressants, comme le père s'éloignant dans un couloir d'hôpital qui évoque la prison, les langues étrangères, islandais et japonais, traduisant joie et tendresse ou l'épisode de la valise. Mais, à l'instar de la coupole carcérale en verrière tournoyant en contre-plongée intérieure comme un mauvais vertige, des angles, des mouvements des sons et des rythmes superlatifs s'évertuent à exprimer le désespoir sans pouvoir former un système ordonné au drame humain. 9/01/01 Retour titres Sommaire

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Augusto GENINA
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Prix de beauté Fr. N&B 1930 101' ; R. A. Genina ; Sc. A. Genina, René Clair, Georg-Wilhem Pabst ; Ph. Rudolph Maté, Louis Née ; M. Wolfgang Zeller et René Sylviano ; Pr. Sofar ; Int. Louise Brooks et la voix de Hélène Regelly (Lucienne), Georges Charlia (André), Jean Bradin (le prince de Grabovski), Yves Glad (le maharadjah).

   La petite dactylo parisienne Lucienne est élue miss Europe à Saint-Sébastien où la courtisent un prince et un maharadjah. Y débarque André, le fiancé jaloux qui menace la miss de la plaquer si elle ne le rejoint pas dans le train de Paris. Lucienne y retrouve in extremis cet ouvrier imprimeur dont elle accepte de partager la modeste existence ; le temps de prendre conscience qu'elle s'ennuie et brûle de renouer avec les fastes et les honneurs. Elle quitte son amant pour rejoindre le prince qui lui a promis un contrat dans un film. Elle y fera merveille mais André la tue par balle au cours de la projection privée.

   Mal synchronisé, le dialogue est entaché de maladresses ("Un seul être vous manque et tout est dépeuplé" murmure sans rire le maharadjah à miss Europe). Et la voix d'Hélène Regelly émane du corps de Louise Brooks comme un esprit qui se serait trompé de médium. En réalité on pourrait se passer du son tant ce film a les caractéristiques du muet. Ce qui veut dire que l'image y est assez éloquente par elle-même.
   D'abord par le choix des acteurs, depuis l'aspect caricatural des personnages secondaires : le regard bleu du maharadjah irradiant en contraste avec le poil noir, le prince à la moustachette déliée tendant une main gantée sur mesure, jusqu'à la justesse de ceux de premier plan, comme la tronche de Titi de Georges Charlia. Il est vrai que la personnalité de Louise Brooks domine la distribution. Que serait le film sans elle ?
   Mais, revers de la médaille, c'est une valeur extrinsèque, entraînant déperdition de la force propre du film, qui est trop méritant pour s'en remettre au star-system. Témoins, la véridicité des scènes de foule parisienne en cadrage serré ou encore la scène de la mort de Lucienne (sur laquelle délira un Ado Kirou) dont la face immobile mais palpitant des reflets intermittents de la projection, fascine le prince et le meurtrier en contemplation, tandis que la défunte, véritable fantôme de lumière, poursuit sa prestation à l'écran. 22/10/02
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Bahman GHOBADI
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Un temps pour l'ivresse des chevaux (Zamani barayé masti ashba) Iran VO 2000 75'
Commentaire

Les Chants du pays de ma mère (Gomgashtei dar aragh) Iran VO 2002 102' 
Commentaire

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Xavier GIANNOLI
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Quand j'étais chanteur Fr. 2006 112' ; R., Sc X. Giannoli ; Ph. Yorick Le Saux ; Mont. Martine Giordano ; déc. François-Renaud Labarthe ; Cost. Nathalie Benros ; M. Alexandre Desplat ; Prod. EuropaCorp ; Int. Cécile de France (Marion), Gérard Depardieu (Alain Moreau), Mathieu Amalric (Bruno), Christine Citti (Michèle).

   Chanteur de bal à Clermont-Ferrand, le quinquagénaire Alain Moreau est attiré par Marion, jeune mère d'un enfant de six ans abandonnée par son mari et collaboratrice de son copain Bruno, qui tient une agence immobilière. Le lendemain d'une soirée arrosée la jeune femme se réveille dans le lit d'Alain, qui sifflote dans la salle de bain. Elle part en catimini. Il tente de la revoir mais elle décline, le vouvoyant. Comme il cherche à se reloger via l'agence de Bruno cependant, c'est elle qui lui fait visiter les maisons. Il continue sa cour sans jamais la brusquer. Elle accepte de le rencontrer, en amie, avec une stricte réserve maintenue jusqu'à l'ultime instant où, censée l'avoir quitté définitivement en sortant du champ, elle se ravise et revient se jeter dans ses bras.         

   Giannoli prend le contre-pied du cinéma dominant en traitant, au lieu de son assouvissement à satiété, du désir lui-même. Désir, d'abord au sens où l'acte sexuel est rhétoriquement traité comme accessoire : l'on s'en débarrasse immédiatement, bien qu'il continue d'insister à travers le vouvoiement antithétique, et le désigne par ce biais dénégateur.
   Désir ensuite de par le différé de l'accomplissement, promis à travers gestes et expressions témoignant d'une étonnante direction d'acteurs, au point de redonner à Depardieu (Galerie des Bobines) la modestie qui sied à l'interprète. Cécile de France, 
toujours aussi modeste, elle, et donc soumise aux intérêts à chaque fois différents du tournage en cours, fait preuve d'une retenue intensifiant jusqu'à l'incandescence le non-dit érotique.
   Enfin par le filmage lui-même. Le décor et le contexte volcanique régional, comme le costume, dès l'abord rouge, de la femme désirée. Alain fait ses délices des idylles se nouant
entre danseurs sous ses yeux au rythme de ses chants du désir. Et puis cette visite à deux des maisons, vides où pourtant des lits apprêtés occupent furtivement les coins-cadre, Alain gravissant des escaliers à distance indécente derrière Marion toujours en jupe courte. 14/06/14 Retour titres Sommaire

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Terry GILLIAM et Terry JONES
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Monty Python Sacré Graal (Monty Python and the Holly Grail) GB VO 1974 90' ; R. T. Gilliam et T. Jones ; Sc. Monty Python ; Ph. Terry Bedford ; M. Neil Innes ; Pr. Python pictures ; Int. Graham Chapman (le roi Arthur), John Cleese (Lancelot), Terry Gilliam (Pastsy).

   Le roi Arthur rassemble les chevaliers de la Table Ronde en vue de la quête du Graal. Comme il laisse pas mal de cadavres sur le terrain de ses cocasses, anachroniques et absurdes exploits, la police londonienne motorisée finit par arrêter tout le monde.

   Le burlesque visuel tenant à l'absence de chevaux oblige les cavaliers à mimer la chevauchée tandis que les serviteurs bruitent les sabots en heurtant l'une contre l'autre deux moitiés de noix de coco. L'essentiel pour le reste est en parlote. Les cartons de dessins animés séparant les épisodes filmés sont une fantaisie britannique bien connue.
   Aussi soignée que soit la réalisation, tout motif préexistant au tournage est voué à la platitude. On rit puis on se fatigue des mêmes ressorts. 15/05/01
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Marco Tullio GIORDANA
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Nos meilleures années (La Meglio Gioventu) It. VO 2003 360'
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Francis GIROD
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La Banquière Fr. 1980 131' ; R. F. Girod ; Sc. Georges Conchon, Francis Girod ; Dial. Georges Conchon ; Ph. Bernard Zitzermann ; Déc. Jean-Jacques Caziot ; Cost. Jacques Fonteray ; M. Ennio Morricone ; Pr. Ariel Zeitoun ; Int. Romy Schneider (Emma Eckhert), Jean-Louis Trintignant (Horace Vannister), Jean-Claude Brialy (Paul Cisterne), Claude Brasseur (Largué), Jean Carmet (Dr Vernet), Marie-France Pisier (Colette Lecoudray), Daniel Mesguish (Rémy Lecoudray), Jacques Fabbri (Moïse Nathanson), Noëlle Chatelet (Camille Sowcroft), Daniel Auteuil (Duclaux), Georges Conchon (Bréhaud), Thierry Lhermitte (Devoluy), François-Régis Bastide (le ministre).

   Emma Eckert, juive aux penchants homosexuels qui a adopté le fils d'une de ses anciennes maîtresses décédée, fonde une banque pour l'épargne populaire à la suite d'une bonne opération en bourse (1923), vit dans le luxe, fraye avec des gens influents tout en étant très populaire, prend pour amant le brillant Rémy Lecoudray. Le grand banquier Vannister a juré sa perte et, usant de son crédit auprès du pouvoir, la fait emprisonner. Afin d'établir son innocence, elle s'évade avec l'aide de Colette Lecoudray, est relaxée à la faveur d'un changement de gouvernement, mais abattue sur l'ordre de Vannister au cours d'un meeting où elle proclame son honnêteté. Elle expire dans les bras de Colette.

   Caution de l'Histoire (le film s'inspire de la vie de Marthe Hanau), récit pittoresque et croustillant, couche légère de féminisme bon teint, idées larges, toilettes, automobiles et décors luxueux, actrice prestigieuse (Galerie des Bobines) : qui "éclate d'une beauté souveraine, d'une élégance majestueuse, d'une autorité superbe" dixit Claude Bounia-Mercier in Guide des films de Jean Tulard) au milieu d'une pléiade d'acteurs ("Elle est, de plus, superbement entourée d'une pléiade d'acteurs de premier plan" (idem)), musique d'Ennio Morricone… la grosse cavalerie n'a jamais fait le talent. Elle est au contraire symptôme d'impuissance. 1/11/00 Retour titres Sommaire

Terminale Fr. 1998 100' ; R., Sc. F. Girod ; Ph. Thierry Jault ; M. Laurent Petitgirard ; Mont. Isabelle Dedieu ; Int. Bruno Wolkowitch (Rémi Terrien), Adrienne Pauly (Sarah), Éléonore Gosset (Caroline), Anna Mouglalis (Claire).

   Une lycéenne se suicide par défenestration en plein cours de philo à la suite d'une vexation de son professeur Rémi Terrien. Ses camarades les plus proches apprennent qu'elle avait couché avec lui. Ayant découvert qu'il est négationniste, en cherchant par effraction à son domicile des preuves de son comportement sexuel, ils décident, pour une partie de la bande, de le tuer, et lui fixent rendez-vous à minuit sous prétexte de lui restituer un manuscrit compromettant sur la Shoah. Mais le surgé, qui les soutient, veut les précéder pour leur éviter de se compromettre. Au matin le cadavre est découvert. En raison de la personnalité de la victime, la police enterre l'affaire. L'identité du meurtrier restera ignorée de tous par accord tacite des participants.

   Film languissant par sa platitude, la longueur complaisante des plans et de la musique de chambre qui l'accompagne, et usant sans complexes du cliché : miaulements hors champ la nuit de la conspiration, exposition complaisante de seins dans un lit.
   
Seule subtilité, le leurre du début montrant le jeune prof de philo sympa avec son bon chien dans une 504 pourrie et pris dans un embouteillage comme tout le monde. Puis on lui fait une sale gueule à coup de maquillages et de pansement à la suite d'une expédition punitive des lycéens. Il représente alors le mal intégral qui justifie la morale du talion, la vengeance se légitimant dans l'intrigue par le consensus de l'impunité. 25/10/00 Retour titres Sommaire

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Amos GITAÏ
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Berlin Jérusalem Fr. -Isr. VO 1989 89' ; R. A. Gitaï ; Sc. Amos Gitaï, Gudie Lawaetz ; Ph. Henri Alekan, Nurith Aviv ; Son Antoine Bonfanti ; Prod. Agav Films/Channel Four TV/la Sept/RAI2/la maison de la culture du Havre, etc. ; Int. Lisa Kreutzer (Else), Rivka Neuman (Tania), Markus Stockhausen (Ludvig).

   Fuyant brusquement le nazisme et peut-être aussi pour rompre avec le deuil d'un jeune fils, la poétesse berlinoise Else Laskier-Schüler se rend en Palestine où, avant elle, émigra Tania, une révolutionnaire russe rencontrée dans le Berlin foisonnant des années vingt, au pittoresque célébré par les singulières gesticulations de la troupe de Pinna Bauch.
   Avec Tania, on assiste à la colonisation d'abord pacifique des terres palestiniennes à travers la vie de la ferme collective installée dans les ruine d'une forteresse croisée. Les Colons d'abord bien accueillis par les Arabes finissent par prendre les armes pour défendre les terres qu'ils se sont appropriées avec la bonne conscience de ceux qui les travaillent. L'un d'eux est tué. Dans un long travelling final à Jérusalem, on suit Else qui assiste à l'attentat de 1950 contre les autorités anglaises puis poursuivant son chemin se trouve dans l'actuelle ville embouteillée et déchirée par les conflits israélo-arabes.

   La violence s'est déplacée mais elle est toujours active. Sous un traitement assez sobre, et bien que Pinna Bauch marque un temps bien trop fort et discordant, le film offre un intérêt documentaire certain.
   La poésie semble provenir essentiellement du son, enregistré en direct. Le silence y est substantiel, et prend tout son sens lorsqu'un bruit pur s'y superpose, comme les chants d'oiseaux au cimetière où Else dit adieu à son fils ou bien le soir dans les ruines cet appel répétitif bouleversant saluant le cadavre du colon, et qui n'est autre que celui d'un crapaud-buffle argentin rajouté au mixage, dixit Bonfanti en personne. Aix-en-Provence, 22/03/01
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Kadosh (Sacré) Fr.-Isr. VO 1999 110'
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Kippour Fr.-Isr. VO 2000 123'
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Alila Isr. VO 2003 120'
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Free Zone Fr.-Isr. VO 2005 93'
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Maurice GLEIZE
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Le Récif de corail Fr. N&B 1938 95'
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Jean-Luc GODARD
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A bout de souffle Fr. N&B 1959 89'
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Le Petit soldat N&B 1960 85' ; R., Sc., Dial. J.-L. Godard ; Ph. Raoul Coutard ; M. Maurice Le Roux ; Pr. Georges de Beauregard ; Int. Michel Subor (Bruno Forestier), Anna Karina (Veronica Dreyer), Henri-Jacques Huet (Jacques), Paul Beauvais (Paul), Laszlo Szabo (Laszlo).

   Déserteur français travaillant à l'Agence française d'Information à Genève, Bruno Forestier est chargé par l'OAS d'abattre un journaliste politique suisse trop favorable au FLN. Il tombe amoureux de Véronica Dreyer, jeune Russe qui travaille en fait pour le FLN. Malgré les menaces, il renonce à sa mission. Il est par ailleurs torturé, modérément, par le FLN. Veronica en revanche l'est à mort par l'OAS.

   Tourné en extérieurs réels, surexposé ou privé d'éclairage, caméra à l'épaule parfois filée, commenté off par le héros sur des images distanciées par l'absence de son, ou par un montage-son ludique (on entend la sonnette de la bicyclette mais pas le moteur de la voiture qui lui coupe la route), ce film qui respire la liberté fait entendre une voix assez discordante dans le consensus, pour qu'on en pardonne le côté narcissique.
   On circule dans Genève comme dans un rêve, on admire quelques prises émouvantes de Karina, on essuie le flot des commentaires subjectifs mi-poétiques, mi-idéologiques. Aucune concession cependant, qui nous ramènerait au destin narratif du cinéma dominant. Le déroulement du récit est constamment imprévisible. Les idées de Godard font souvent mouche parce qu'il est conscient de la vanité de la représentation. Ainsi lorsque Veronica déclare au téléphone à Bruno son amour pour lui en négatif ("je ne suis pas amoureuse de toi..."), c'est beaucoup plus troublant, en tant qu'effet ludique, que toute prétention à la perfection expressive. 31/03/02
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Le Mépris Fr. Scope couleur 1963 103' ; R., Sc., Dial. J.-L. Godard, d'après Alberto Moravia ; Ph. Raoul Coutard ; M. Georges Delerue ; Pr. Georges de Beauregard ; Int. Brigitte Bardot (Camille), Michel Piccoli (Paul Javal), Jack Palance (Jerome Prokosch), Giorgia Moll (Francesca Vanini), Fritz Lang (lui-même), Jean-Luc Godard (son assistant).

   Parce qu'il laisse Prokosh, le producteur tout puissant, la draguer, Camille (Brigitte Bardot : Galerie des Bobines) cesse d'aimer son mari le scénariste de L'Odyssée, tourné par Fritz Lang. Le décor de la villa Malaparte, bâtie sur un promontoire rocheux à Capri, s'inscrit dans un parallèle épique avec Homère. Sa vaste terrasse desservie par des gradins pyramidaux sur toute la hauteur de l'édifice et surplombant les eaux transparentes, évoque une Acropole où se célèbrerait quelque sacrifice.
   Paul (Ulysse), le protégé d'Athéna est poursuivi par la colère de Poséidon, les dieux se concrétisant par des statues maquillées pivotant sur elles-mêmes et cadrées en contre-plongée sur le ciel radieux. Appliquées en larges surfaces homogènes, les couleurs éclatantes - le rouge, le bleu, le jaune - sublimées par la lumière naturelle, font écho au caractère impitoyable de l'enjeu dramatique et exaltent un lyrisme des passions teintées de cruauté. Camille (Pénélope) sera finalement vaincue par Athéna qui la fait périr avec son Roméo dans un accident d'Alpha.

   Le dialogue présente ce paradoxe d'un naturalisme ludique qui permet de dépasser la contradiction du réalisme - toujours faux parce que mimétique. Cependant on nous casse les oreilles avec une rengaine sentimentale de renfort qui, à l'instar de la mer visible, prétend recouvrir par vagues incessantes le monde sonore.
   Au total, une esthétique originale, mais exaltant des discours préexistants (Homère, Moravia, Delerue) au lieu de susciter un questionnement véritable en déstabilisant les valeurs établies. On attendrait d'une œuvre admirable qu'elle ouvre une brèche dans le consensus béat des consciences. Celui-ci requiert au fond, en accord avec l'hommage hagiographique rendu à Fritz Lang, trop d'admiration inconditionnelle à sa propre plastique pour avoir une quelconque portée spirituelle. 23/05/02
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Pierrot le fou Fr. Scope-couleur 1965 112' ; R., Sc. Dial. J.-L. Godard, d'après Lionel White ; Ph. Raoul Coutard ; M. Antoine Duhamel ; Son René Levert et Antoine Bonfanti ; Mont. Françoise Colin ; Pr. Georges de Beauregard ; Int. Jean-Paul Belmondo (Ferdinand-Pierrot), Anna Karina (Marianne), Dirk Sanders (Fred), Raymond Devos (l'homme du port), Samuel Fuller (lui-même), Jean-Pierre Léaud (un spectateur au cinéma).

   Après une nuit d'amour, Ferdinand (Belmondo : Galerie des Bobines), qui a plaqué sa riche épouse, et Marianne, ancienne amie embringuée dans une sombre histoire de gangsters et chez laquelle se trouvent des armes et un cadavre, s'enfuient vers le sud pour rejoindre Fred, le frère de Marianne, un trafiquant d'armes dirigeant une troupe de danseurs. Ils détruisent par le feu la 404 et la valise de dollars restée dans le coffre et, vivant de manche et de larcins, atteignent la Côte d'azur dans une Ford Galaxy décapotable volée que Ferdinand sacrifie dans la mer. Les amants squattent une villa occupée par un perroquet et un fennec. Ferdinand, que Marianne appelle Pierrot, y passe le clair de son temps à lire et à écrire. Elle s'ennuie. Avant d'être abattus par Marianne, les gangsters qui les ont retrouvés torturent Ferdinand. Marianne, dont la vie sentimentale est assez trouble, trompe son amant avec Fred, qui n'est pas son frère. Ferdinand la tue puis se suicide, la tête peinte en bleue et enveloppée dans un rouleau de dynamite.

   Cousu de citations, d'improvisations, de remarques, de pensées, de réflexions à tout propos, de séquences engagées, de leurres malicieux, de scènes loufoques sans rapport avec l'intrigue, de collages, de faux raccords, d'interférences entre musique diégétique et extradiégétique, off et in, réel et fiction (Samuel Fuller parle du cinéma, Dirk Sanders est accompagné de sa troupe), et tourné sans nul souci de vraisemblance, avec des procédés ostensibles, en mêlant thriller, comédie, comédie musicale, drame sentimental, en dominante chromatique bleu, blanc, rouge, le film est approprié à l'ambiguïté humaine et aux intermittences du cœur sur un fond sauvage de riviera bruissante, foisonnante, éclatante et miroitante, canalisé par le lyrisme symphonique auxiliaire.
   Bourrés d'énergie physique et expressive, les héros semblent infatigables, mais le tragique fondamental entame déjà leur vitalité. La mort pose ses jalons par des allusions en parole ou en image ("danger de mort" cadré latéralement sur un panneau rouge près de la plage). Les rapports se dégradent et la duplicité de Marianne s'affirme. Par le murmure de leur voix au-dessus des eaux marines on comprend qu'ils se rejoignent malgré tout dans la mort. Film d'exception dont le souffle créatif est cependant déjà opprimé par l'intentionnalité esthétique surplombante de l'accompagnement musical. 2/04/02
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Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)  Fr.-It. N&B 1965 98'
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Deux ou trois choses que je sais d'elle Fr.-It. 35mm Easmancolor 1967 (tournage en 66) 95' ; R., Sc., Dial. J.-L. Godard ; Ph. Raoul Coutard ; Mont. Françoise Collin et Chantal Delattre ; Cadr. Georges Liron ; Son René Levert et Antoine Bonfanti ; M. Beethoven ; Pr. Argos Fillms/Films du Carrosse/Anouchka Films (A. Dauman et R. Levy) ; Voix off J.L. Godard ; Int. Marina Vlady (Juliette Janson), Anny Duperey (Marianne), Roger Monsoret (Robert Janson), Raoul Levy (l'Américain), Christophe Bourseiller (Christophe), Claude Miller (Bouvard).

   Critique politique et sociale à travers le portrait d'une habitante des grands ensembles de la cité des 4000 à La Courneuve, forcée de se prostituer pour joindre les deux bouts.

   Godard sait s'entourer des meilleurs techniciens afin d'expérimenter des méthodes de stimulation sensorielle. Le spectateur est donc un cobaye passif, dont l'attention doit être éveillée à chaque instant. Il lui faut tendre l'oreille pour saisir en voix off chuchotée des analyses politiques pointues. Ou abstraire le bruit du flipper qui couvre la voix des acteurs. L'attention du petit rongeur d'expérience est captée sur un plan de détail (très beau : une tasse à café dont la mousse tournoyante forme des nébuleuses) pendant que la conversation se déroule hors champ. La rupture abrupte est censée mettre le cochon d'Inde en demeure de se ressaisir. Pour attirer l'œil indifférent, les plans sont des tableaux composés de couleurs vives contrastées. Le cadreur et le chef op font merveille à inscrire tout cela dans des courbes élégantes. Cartons en majuscules ludiques polychromes.
    Le prestige de celui qui est considéré comme grand expert de l'art du cinéma décourage d'avance toute forme de protestation. Faire valoir que l'image en tant que retrait seul pourrait convoquer
la totalité des rapports d'images comme sens, et pas uniquement formels. Que le spectateur n'est pas une bête de laboratoire mais un partenaire de la fabrication du film, dans lequel il puisse investir son âme.
     Ce que Godard sait parfaitement appliquer dans la direction des acteurs, qui étonnamment énigmatiques, réfléchissent le sens au-delà du plan apparent. Il faut reconnaître que le dialogue est délectable de verve décapante et que la critique politique n'y va pas de main morte, deux ans avant Soixante-huit ! Je dois avouer que ce film émerveilla le jeune cinéphile que je fus
. 09/04/15 Retour titres Sommaire

One plus one GB Eastmancolor VO 1968 100'
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Prénom Carmen Fr. 1983 85' ; R. J.-L. Godard ; Sc., Dial. Anne-Marie Miéville d'apr. l'opéra de Bizet tiré de la nouvelle de Mérimée ; Ph. Raoul Coutard ; Son Alain Musy ; Mont. J.L. Godard et Suzanne Lang-Vilar ; M. Quatuors de Beethoven par le quatuor Prat et "Ruby's Armes" par Tom Waits ; Pr. Alain Sarde pour Sara-Films et J.L.G. Films ; Int. Maruschka Detmers (Carmen), Jacques Bonnafé (Joseph), Myriem Roussel (Claire), Jean-Luc Godard (oncle Jean), Christophe Odent (le chef), Jacques Villeret (l'homme au petit pot), Hippolyte Girardot (Fred), Jean-Pierre Mocky (le malade). Lion d'or au festival de Venise en 1983.

   Carmen obtient de son oncle Jean, cinéaste hospitalisé, la disposition de son appartement au bord de la mer afin de tourner un film avec des amis. Lesquels attaquent une banque pour se financer. Carmen s'enfuit avec Joseph, l'un des gendarmes qui gardaient la banque. Les amants se réfugient dans l'appartement de l'oncle. Celui-ci participe, flanqué de son infirmière, au tournage du film dans un grand hôtel, prétexte à l'enlèvement d'un industriel, qui est un échec. Éperdu d'amour, Joseph tue Carmen qui ne l'aimait pas et couchait avec d'autres.   

   Le fameux mythe est radicalement transposé à notre époque, qui se caractérise notamment ici par la violence liée à l'argent et par les mœurs sexuelles "libres", de sorte que ne subsistent de l'opéra en fin de compte que des prénoms (Carmen et Joseph pour Don José) et le crime d'amour. 
   Le montage est un démontage, qui juxtapose dans la durée ce qui est habituellement simultané, superpose ou entrecroise des événements sonores appartenant à des moments différents. Les raccords souvent consistent en chevauchements sonores par anticipation ou prolongement d'un plan sur l'autre. La musique principale émanant d'
un quatuor en répétition, constitue une composante du récit sous forme de séquences, à la fois interposées entre les actions, et parallèles comme accompagnement sonore. Des plages séquentielles sont ainsi ménagées pour ancrer dans la diégèse et ainsi "naturaliser" l'artifice musical surajouté à l'intrigue. Inversement, thème du récit, la mer est traitée à la fois en contrepoint visuel et sonore par des plans séquences et en accompagnement sonore. Comme la musique, sa fonction est double : à la fois suspendre le pathos d'une scène, souvent sexuelle, et le prolonger métaphoriquement en sous-main.
   Par l'outrance des gestes, des paroles, des attitudes, des mouvements, des sons émis, la direction d'acteur veut démystifier la prétention à la vérité de l'image
. Les éléments du plan contreviennent à la logique des actions par un jeu loufoque. Les amants par exemple sont dénudés "en quinconce", homme torse nu, femme sans slip. Ou bien un homme, carré dans un fauteuil, lit tranquillement son journal dans la banque où s'échangent des coups de feu, qui finissent par l'atteindre. Jusqu'au canular : la femme de ménage venant, dans le cadre ordinaire de son service, éponger le sang autour des corps. Des leitmotiv comme les deux métros aériens se croisant dans la nuit, comme s'ils s'interpénétraient, étendent le jeu au rapport entre les séquences, tout en exprimant une donnée sous jacente, comme ici le rapport conflictuel. 
   Tout en glissant en douce les mêmes procédés (accents pathétiques de Waits accompagnant off le désespoir de Joseph, valeur métaphorique du montage (la mer ou la répétition du quatuor par rapport au récit)), Godard prend globalement le contrepied systématique du cinéma ordinaire : déni plutôt que révolution, et d'autant que le dialogue est truffé de mots d'auteur, du genre : "Plutôt que de faire des faux chèques, faire des vrais chèques mais sur une fausse banque". La tournure elliptique du titre évoquant la rédaction d'une fiche d'identité est bien dans cet esprit. La marque de fabrique J.L.G. finalement l'emporte sur l'art. 5/01/14 Retour titres Sommaire

Nouvelle vague Sui.-Fr. 1990 85' ; R., Sc. J.-L. Godard ; Ph. William Lubtchansky ; Pr. Alain Sarde ; Alain Delon (les frères Lennox (Galerie des Bobines)), Domiziana Giordano (Hélène, la Signora contessa).

   Dans une opulente propriété des rives du Léman, une richissime jeune femme provoque la noyade de son amant, individu faible, oisif et mou. Survient par un dédoublement cinématographiquement intéressant le frère de ce dernier à la fois sosie et caractère opposé, dominateur brassant des affaires, et qui prend la place du mort dans le cœur de la vive. Hélène manque se noyer à cause de lui : situation du lac inversée laissant à penser que sosie et défunt ne sont qu'un seul et même individu. 

   Pour le reste, sur des dialogues entièrement composés de citations, c'est le ludique montage godardien de plans superbes par force travellings et panoramiques sur des intérieurs luxueux et d'imposants paysages qu'accompagnent des musiques grandioses, comme ces arbres centenaires les violons nostalgiques.
   Le titre choisi signerait-il par dénégation la fin de la longue agonie de la Nouvelle vague ? 1/04/02
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For Ever Mozart Fr.-Sui. 1996 80' ; R., Sc. J.-L. Godard ; Ph. Katell Dijan, Jean-Pierre Fedrizzi, Christophe Pollack ; Son Olivier Burgaud, François Musy ; M. Ketil Bjornstad, David Darling, Ben Harper, Gyorgi Kurtag ; Pr. Alain Sarde, Ruth Waldburger ; Int. Madeleine Assas (Camille), Frédéric Pierrot (Jérôme), Ghalia Lacroix (Djamila), Harry Cleven (l'écrivain) .

   Camille et son cousin Jérôme vont monter On ne badine pas avec l'amour à Sarajevo où la guerre fait rage. Ils sont capturés et assassinés par les Serbes tandis que Djamila, la bonne qui les accompagnait, parvient à s'échapper.
   À Paris Vitalis, oncle de Camille et metteur en scène, dirige Le Boléro fatal
, dont l'actrice principale, Cécile, a longtemps répété vainement sa réplique avant d'y réussir : "oui". Le tournage enchaîne sur l'épisode de Sarajevo au moyen de deux cadavres déterrés que l'on habille en Camille et Perdican. La violence qui règne au sein de l'équipe de tournage n'a rien à envier à celle de Sarajevo. Le film sera retiré de l'affiche aussitôt sorti en salle parce qu'il ne répond pas aux attentes du public. Vitalis se rend à un concert où l'on joue un concerto de Mozart dont on a vu la répétition.

   Film original surtout au niveau de l'idée, puis tourné, monté et mixé avec maestria (voir la séquence du train dans la nuit !). En somme un documentaire sur la fantaisie un peu narcissique de Godard.
   Aller jouer
Les Caprices de Marianne à Sarajevo avec une jeune prof de philo qui débite de profondes remarques sur le Cogito, mettre en scène viols et massacres serbes dans le style d'une comédie de théâtre de poche déclamée sur le ton ironique genre Léaud années soixante, c'est moins artistique(1) que gratuitement ludique, au point d'en ruiner le caractère engagé.
   Collage davantage que montage, avec la bande son, constituée de citations livresques, de devinettes à tendance sexuelle, se conjuguent des images admirablement photographiées (jeu réglé des tons et composition du cadre) avec d'autres images, dont certaines présentées pour elles-mêmes, comme le littoral, d'autres participant d'un canular comme ce militaire serbe en tenue d'officier français de la guerre de 14 qui dit s'ennuyer. On lui dit d'aller tirer un coup. Il sort du champ. Cris féminins. Mais, fausse alerte, c'est un coup de bazooka !
   On croit comprendre que l'intention de Godard est d'accrocher des moments bruts, de prime abord déconnectés, destinés à prendre sens dans le bain supposé résulter de l'ensemble. Mais ce dernier est incompatible avec une composition globalement argumentative, cherchant à démontrer que la guerre n'a pas toujours le visage de la guerre, étant partout répandue, sauf peut-être dans la musique de Mozart.
   Sujet de dissertation : "On ne fait pas la poésie avec des idées mais avec des mots" (Mallarmé). Commentez, discutez en appliquant au cinéma. 28/11/99, complété le 18/02/10
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De l'origine du XXIe siècle Fr. 2000 16'
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Le Livre d'image. Image et parole Sui.-Fr. 2018 85'
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Claude GORETTA
liste auteurs

L'Invitation Sui. 1972 100' ; R. C. Goretta ; Sc. C. Goretta, Michel Viala ; Ph. Jean Zeller ; M. Patrick Moraz ; Pr. Citel-Film ; Int. Michel Robin (Rémy Placet), Jean-Luc Bideau (Maurice Dutoit), Jean Champion (Alfred Lamel), Pierre Collet (Pierre Collard), Jacques Rispal (René Mermet), Cécile Vassort (Aline Thévoz), françois Simon (Emile).

   Placet-Blanchard, modeste bureaucrate perd sa mère et se retrouve à la tête d'une superbe propriété dans la banlieue de Genève. Un beau dimanche printanier, aidé par Emile, valet énigmatique et stylé, il y reçoit magnifiquement chefs et collègues du service Contentieux. Tout le monde est touché et grâce à l'alcool et au joyeux drille Maurice Dutoit, l'atmosphère se détend. On danse. M. Collard, le chef du service, fait la cour à sa secrétaire, et même Lamel, le vieux pète-sec, donne un fougueux baiser dans le cou de Melle Emma, la vieille fille. Cependant, Mermet inspecte les lieux, fait la connaissance du jardinier voisin et téléphone longuement à son épouse, une habitude de bureau. Insensiblement on se laisse aller. Aline fait un strip-tease. Colère de Collard et de Lamel, coups échangés, Placet au tapis. Le maître des lieux congédie toute la troupe. La vie du bureau reprend, sans Aline et Placet.

    Pour estimer ce petit bijou à sa juste valeur, il faut d'abord noter le caractère imprévisible des événements dans un récit sans but apparent mais dont le déroulement constitue un indirect plaidoyer.
   Quelles que soient les divergences initiales, tous les personnages rentrent dans la même coquille dès certains seuils franchis. Il suffit d'une veste décousue à la suite de l'arrestation mouvementée d'un étranger qui la lui avait dérobée dans le parc, pour que le luron Dutoit perde son humour. Collard, qui fricote avec sa secrétaire tout en étant marié et déjà adultère, réprime durement un moment bien innocent d'entorse aux bienséances. On rivalise de rigidité avec ce vieux garçon militariste et frustré de Lamel.
   Les deux exclus du bureau sont finalement les seuls généreux. Aline ayant rencontré le voleur n'en souffle mot à la police. Désireux de faire plaisir sans compter, Placet a découvert la mesquinerie de l'équipe. Par son regard atypique, Emile ce sage "voyageur" (il décline la proposition de Placet de rester à son service) paraît détenir un secret qui mettrait en perspective le récit. Lequel n'est pas dépourvu de ruses distanciatrices.
   Ainsi, la musique du générique accompagnant les premières images idylliques évoque la comédie sentimentale. Alors que nous sommes dans le meilleur réalisme : celui qui prend les détours les plus risqués (Ah ! Fassbinder, Haneke, Pialat, Vecchiali…). La musique auxiliaire, du reste, n'abuse jamais de son pouvoir, et n'apparaît que comme principe d'enchaînement.
   Le récit prend pour chacun son temps sans linéarité aucune : une épaisseur spatio-temporelle naît de plusieurs actions simultanées. Pendant que ça se dégrade dehors, Mermet mène ses petites affaires, et Emile ne refuse pas de trinquer avec soi-même devant un miroir. Les événements par conséquent sont aléatoires tout en participant d'une certaine maturation.
   Le cinéma a tant besoin d'air pur ! En voici, descendu des cimes helvètes. 6/06/01
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L'Ombre Fr.-Sui. 1991 90' ; R., Sc. C. Goretta ; Ph. Claude Goretta ; M. Antoine Auberson ; Pr. Odessa Films SA/Gmbh/JMH Producitons SA ; Int. Jacques Perrin (Guillaume), Pierre Arditti (Lavigne), Gudrun Landgrebe (Erika), Maurice Garrel (Ramier), Delphine Lanza (Juliette).

   Documentaliste dans un grand quotidien genevois, Guillaume fait des recherches sur un groupe néonazi pour le téméraire journaliste Lavigne. Ayant découvert que sa femme le trompait avec ce dernier, Guillaume lui casse la gueule, quitte tout et s'installe à l'hôtel où il se lie d'amitié avec Juliette une jeune cantatrice, qui s'avérera recevoir en secret des visites de Lavigne. Guillaume tombe par hasard sur Ramier, le chef néonazi, qui lui demande de travailler pour eux. Il accepte, afin de protéger malgré tout Lavigne, menacé de mort. Erika la jeune photographe du journal qui a un faible pour lui l'assiste.
   Enlevé, Lavigne est séquestré dans la montagne. Il se suicide sous les yeux de Guillaume, qui est reconnu. Erika les ayant suivis de loin lui sauve la vie. Ils s'enfuient tous deux à moto et leurs poursuivants meurent dans un accident en essayant de les rattraper. Les derniers mots de Lavigne ont été pour Juliette, en réalité sa fille. Désireux de continuer l'œuvre de Lavigne, qui avait découvert des ramifications au plus haut niveau, Guillaume a sous-estimé l'ampleur de la corruption. Il échoue. Sous le choc, il séjourne dans un hôpital psychiatrique où sa femme vient le chercher avec leur fils pour quitter le pays.

   Bon politique-fiction baignant dans le mystère sur la base de procédés inégaux. La ponctuation musicale de l'archet grave et lancinant, la guitare en mineur ou les cuivres mélodramatiques sont une commodité. Mais Goretta retrouve sa veine expérimentale dans la scène où Juliette est arrêtée à son balcon pour avoir entonné en public un lied de Schubert. Le chant n'est pas réverbéré parce qu'il se poursuit "en fosse" après l'arrestation. Le violoncelle d'accompagnement en est du reste la prolongation. Le travail du son est intéressant à d'autres titres.
   À l'enterrement de Lavigne en montagne, les clarines en gros plan sonore remplaçant le glas sont au diapason de l'émotion de Guillaume. Le savoir-faire de Goretta reste irremplaçable dans l'art du décalage. Lorsque père et fils plantent un arbre dans le jardin alors que l'épouse écoute de la musique à l'intérieur, le point de vue est subtilement attribué à cette dernière en même temps qu'au spectateur : les jardiniers amateurs étant en plan rapproché, leurs voix sont affaiblies à proportion d'une distance nettement supérieure.
   Il est vain hélas ! à l'orfèvre de façonner le fer blanc... 14/10/01
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Philippe GRANDRIEUX
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Sombre Fr. 1998 112' ; R. P. Grandrieux ; Sc. Ph. Grandrieux, Pierre Hodgson et Sophie Fillières ; Cadr. Ph. Grandrieux ; Ph. Sabine Lancelin ; Son Ludovic Hénault ; Mont.-son Mathilde Mayard ; Mix. Olivier Do Huu ; M. Alan Vega ; Mont. Françoise Tourmen ; Déc. Gerbaux ; Pr. Catherine Jacques et Zélie ; Int. Elina Löwensohn (Claire), Marc Barbé (Jean), Géraldine Voillat (Christine).

   Le marionnettiste Jean, assassin de conquêtes d'un soir, se laisse apprivoiser par la vierge Claire, avec qui il découvre l'amour, avant de s'arracher à elle pour ne pas l'entraîner dans son cauchemar meurtrier.

   La folie s'exprime par des prises de vues mouvantes et floues, un cadre démembré jusqu'à l'illisible, un son anamorphosé (n'excluant pas une parfaite prise de son naturaliste en direct et le superbe accompagnement musical, tout approprié, de Alan Vega), tout cela bénéficiant d'une expérience du cinéma expérimental, mais surtout étant en rapport avec la quête érotique de Jean, d'abord impossible puis, trouvant sa voie par la fulgurante saisie physique d'instants de la fugacité du corps, en mouvement dans la dépense extrême.
   La vierge y trouve sa jouissance aussi d'être libre de tout antécédent convenu. Le visage de Jean est un paradoxe soulignant cette terrible aventure. (Marc Barbé, Galerie des Bobines).
   Le décor forestier et/ou désolé suggère la bête solitaire, le loup dont Claire découvre le déguisement dans les bagages de l'artiste itinérant. Il s'éloigne, le dos rond en grognant et s'immobilise à distance, tourné de l'autre côté, sous l'injonction de la vierge à la suite d'une tentative de viol sur sa sœur. Mais l'animalité est bien plutôt refuge.
   Contrairement à ce qu'un critique a pu dire, les animaux n'assassinent pas. Ils ne tuent que pour la survie. C'est en fait le côté le plus humain du malade qui s'exprime dans cette métamorphose. Tout se tient, et c'est à cela qu'on reconnaît un réalisateur digne de ce nom. Ainsi le long plan séquence de la fin où la caméra se déplace le long des spectateurs du tour de France dans la montagne, comme tout un monde obtus passant indifférent au bord du drame.
   Des effets totalement inouïs supposent un sens profond du cinéma 
: après un parcours sur une route désertique au coucher de soleil, le surgissement en cut du public enfantin (citation des 400 coups ?), terrifiant par la stridence des cris et les visages angoissés vociférant ; accompagnée par une voix de femme chuchotant son malheur, la tête de Claire qui s'enfonce dans le bord inférieur du cadre en basculant par l'effet du panoramique bas-haut, sur fond indifférencié de ciel où se trace en diagonale descendante le sillage blanc d'un avion. Suit en gros plan le visage maculé de Jean observant le ciel à travers des branches. Expression de la séparation définitive, le chuchotement émanait de la conductrice que Jean avait forcée à stopper pour sauver Claire de ses crises fatales à lui. Lorsqu'il ouvre la porte de la voiture la Passion selon Jean de Bach éclate comme un espoir et un drame tout à la fois.
   Grandrieux pourrait bien être de la race des Carax, von Trier, Bartas. Il ne reste qu'à surpasser l'expérimental dans l'évidence d'un langage de la certitude
quant à l'impalpable. 25/07/01 Retour titres Sommaire

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Peter GREENAWAY
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Zoo (A Zed and Two Noughts) GB VO 1985 115'; R., Sc. P. Greenaway ; Ph. Sacha Vierny ; M. Michael Nyman ; Pr. Peter Sainsbury, Kees Kasander ; Int. Andrea Ferreol (Alba Bewick), Brian Deacon (Oswald Deuce), Eric Deacon (Oliver Deuce).

   Trois femmes sont victimes d'un accident d'auto provoqué par la chute d'un cygne. Amputée d'une jambe, la seule rescapée devient la maîtresse des veufs, frères siamois zoologues passionnés par la décomposition des charognes. On ampute Alba de l'autre jambe. Elle donne naissance à des jumeaux puis meurt au bout de quelques semaines. Les Siamois mettent en scène leur propre mort filmée.

   Film composite, elliptique et nourri de mythes antiques. Ainsi les jumeaux d'Alba, qui ont à voir avec la chute d'un cygne qu'on se plaît à comparer à Léda, réitèrent la naissance de Castor et Pollux. Mais le mouvement général tend à l'inverse vers la dégradation et la mort. Aux plans intercalés de cadavres animaux en décomposition accélérée répondent les mutilations d'Alba puis sa mort.
   Subsiste une pénible impression de fausse poésie rongée de morbidité, d'autant que l'aspect filmique proprement dit, cadrage, mouvements d'appareil et montage-choc, s'avère moins nécessaire au spectateur qu'un dialogue profus à l'excès, de plus rythmé par une musique auxiliaire d'une lenteur expectative débouchant sur le vide. 15/04/02
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Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (The Cook, the Thief, his Wife and her Lover) GB VO Scope-couleur 1989 120' ; R., Sc., Dial. P. Greenaway ; Ph. Sacha Vierny ; Déc. Ben Van Os, Jan Roelfs ; Cost. Jean-Paul Gaultier ; M. Michael Nyman ; Pr. Kees Kasanger ; Int. Richard Bohringer (Richard Brost, le cuisinier), Michael Ganbon (Albert Spica, le voleur), Helen Mirren (Georgina, sa femme), Alan Howard (Michael, son amant).

   Entouré de ses sbires, le mafioso Spica dîne tous les soirs en compagnie de sa femme Georgina dans le sien grand restaurant où il fait régner la terreur. Son comportement brutal et ses propos grossiers contrastent avec la tenue de l'épouse. Avec la complicité du maître-queux Richard, celle-ci rejoint Michael, un dîneur bibliothécaire bibliophile, dans l'arrière-cuisine, la meilleure cachette étant selon elle la plus visible.
   Bientôt rongé de soupçons, Spica fouille fiévreusement les cuisines, mais Richard cache le couple nu dans la chambre froide, puis l'évacue par une issue extérieure au moyen d'un camion frigorifique dont le chargement de viande est en décomposition. Michael et Georgina se cloîtrent dans la bibliothèque où le marmiton vient leur servir un repas fin. Spica intercepte et soumet le garçon à une torture qui le laissera paralysé. Il n'a pas trahi mais le tortionnaire a trouvé dans son panier des livres marqués au nom de la bibliothèque. Pendant que Georgina visite le marmiton à l'hôpital, il tue l'amant en le gavant de livres. Pour se venger, sous prétexte d'anniversaire, Georgina lui fait servir à table le cadavre cuisiné par Richard puis l'abat.

   On a beaucoup loué la division en neuf tableaux, les quatre espaces caractérisés par la couleur - salle à manger rouge, cuisine verte, toilettes blanches, parking bleu -, les longs travellings pour souligner le faste et la richesse culinaire, la musique obsédante, etc.
   Sur la base d'une thématique personnelle : la verve dans l'insanité, la pourriture, le sexe et la mort, la transgression des tabous fondamentaux, le bouillant tempérament de l'auteur y déploie l'hystérie de sa faconde, car il n'a d'autre tâche que d'esthétiser brillamment la violence morale.
   On peut définir le cinéma hystérique comme une surabondance d'effets qui sont les symptômes d'un enjeu personnel, extrinsèque au film. Il est reconnaissable à la sensation qu'il procure toujours d'en faire trop. Le meurtre et la vengeance sont prétextes à un travail plastique forcené qui a ses raisons véritables on ne sait d'où.
   Ce genre de cinéma signalétique et gratuit donne facilement l'illusion du grand art à une critique fatiguée de se mesurer à la médiocrité sans pouvoir la dénoncer. Il faut néanmoins en toute justice concéder à Greenaway le bénéfice de l'audace du borgne au pays des aveugles. 2/04/05
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The Pillow Book GB VO 1996 126' ; R., Sc. P. Greenaway ; Ph. Sacha Vierny ; M. Guesch Patti ; Int. Vivian Wu (Nagiko), Yoshi Oida (l'éditeur), Ken Ogata (le père), Hideko Yoshida (la tante et la bonne), Ewan McGregor (Jérôme).

   Le père de Nagiko célèbre chaque année son anniversaire en se traçant sur la figure des idéogrammes au cours d'un rituel inspiré des carnets intimes, écrits en mandarin, de Sei Shônagon, suivante de l'impératrice à dix siècles en arrière, dont Nagiko, qui connaît le mandarin épouse le destin. De même que le modèle mythique faisait l'éloge de l'écrit et de l'amour, Nagiko-adulte identifie son corps érotique à un livre que doit pouvoir écrire son amant.
   Celui-ci finit par s'incarner dans le jeune écrivain Jérôme, moyen de fléchir l'éditeur dont il est l'amant, tout en ayant conscience que son écrivain de père avait la même relation avec son propre éditeur. Mais Nagiko le quitte par jalousie, réalisant la suite de sa série de livres vivants sur d'autres hommes. Elle lui revient mais trop tard : il s'est suicidé. Sa dépouille est aussitôt sublimée sous la forme d'un volume calligraphié que l'éditeur s'approprie en y faisant prélever la peau. L'œuvre se parachève au moyen du meurtre au rasoir de l'éditeur par le treizième homme manuscrit.

   Très belle composition assez proche du clip où, emportée par de puissantes ou impétueuses cadences musicales auxiliaires prises à la tradition japonaise comme à la chanson occidentale, l'image ne cesse de changer de format, de se diviser, de varier du noir au blanc à la couleur en passant par la sépia, de se mélanger à elle-même par surimpression et de se croiser avec les contenus d'incrustations participant de la composition et du récit.
   Une esthétique du palimpseste et du graffiti qui semble procéder de la fascination de l'auteur pour son sujet, comme s'il voulait le traiter intégralement en abîme, avec le tempérament qu'on lui connaît.
   En conséquence il y a disjonction et le superbe thème du film se banalise. 12/02/02
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Paul GREENGRASS
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Bloody Sunday GB-Ir VO 2002 107' (Ours d'Or, Berlin, 2002) ; R., Sc., P. Greengrass ; Ph. Ivan Strasburg ; Mont. Clare Douglas ; M. Dominic Muldowney ; Pr. Mark Redhead ; Int. James Nesbitt (Ivan Cooper), Allan Gildea (Kevin McCorry), Gerard Crossan (Eamonn McCann), Mary Moulds (Bernadette Devlin), Carmel McCallion (Bridget Bond) Tim Pigott-Smith (Major General Ford), etc.

   Contrôlée par l'armée britannique, la manifestation pacifique pour les droits civiques organisée par la NICRA le 30 janvier 1972 à Derry s'achève en bain de sang : 15 blessés, 13 morts parmi les participants.

   Sur la base de documents, de témoignages et avec le concours de figurants historiques, une reconstitution racoleuse et naïve.
   Le style reportage, caméra à l'épaule dans l'action est ruiné par le froid montage parallèle proposant de la façon la plus manichéiste les points de vue simultanés des deux bords. Une telle frénésie optique agissant sur les nerfs est de plus contraire à la liberté nécessaire à une participation constructive du spectateur. Pire, elle relève d'un principe général de surenchère.
   Aussi bien dans la sonorisation grossièrement commotionnelle ou dans le rôle surindicatoire des paroles redondantes à l'action, que dans la contribution au commentaire idéologique de larmes, soupirs et autres gémissements. Commentaire largement assuré d'ailleurs par un montage
cut quantifiant davantage qu'il ne qualifie, jouant sur l'émotion facile au lieu de soulever un questionnement positif.
   La narration repose, elle, sur la rhétorique simpliste consistant à différer le point culminant, la cerise sur le gâteau : le massacre. En même temps, tout est joué d'avance sur le plan intimiste voué à l'identification du spectateur. Trop souvent est recommandé au jeune militant, rendu si intéressant par son idylle avec une jolie fille, d'être particulièrement prudent à cause de son passé judiciaire, pour que ne soit pas préméditée sa fin tragique. Le seul soldat à protester est aussi le seul sympathique, ostensiblement cadré comme tel dès le départ, en contraste avec les gueules grimaçantes et maculées des autres.
   Ce qui domine donc du début à la fin, c'est le frelaté. Eussent mieux servi la reconstitution édifiante d'une telle tragédie : la muette stupeur plutôt que les cris, l'insensibilité inhérente à l'action véritable au lieu de l'hystérie, le caractère d'imprévisibilité des événements, la discordance physique entre les personnages et leur rôle (un bourreau sympathique !). 14/11/07
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Jean GRÉMILLON
liste auteurs

Maldone Fr. N&B Muet 1927 2800m ; R. J. Grémillon ; Sc., Dial. Alexandre Arnoux ; Ph. Georges Périnal, Christian Matras ; M. Marcel Delannoy sur des thèmes de Milhaud, Jaubert, Satie, Debussy, Honeger ; Pr. Films Charles-Dullin ; Int. Charles-Dullin (Olivier Maldone), Genica Athanasiou (Zita), Annabella (Flora), Geymond-Vital (Marcellin Maldone), Gabrielle Flontan (la fermière), Marcelle Charles-Dullin (la voyante).

   Modeste roulier et furieux accordéoniste, Olivier Maldone, jadis échappé de la terre familiale, s'éprend de la belle et consentante Bohémienne Zita.
   Cependant son frère ayant eu un accident équestre mortel, il est invité par la famille à reprendre son rang, se marie, mène une vie de gentleman-farmer à la tête du domaine mais, aimanté par le souvenir de Zita, sombre bientôt dans l'ennui et délaisse son épouse. Son destin croise alors celui de la Bohémienne maintenant danseuse renommée. Elle ne se montre pas insensible au passé mais se dérobe à ses instances. Indifférent à la tendre compréhension de son épouse, Maldone repêche au grenier ses frusques de roulier et s'enfuit à cheval.

   Le souffle lyrique s'accorde si bien avec les stéréotypes du scénario qu'on ne peut douter qu'ils en furent le stimulant.
   Se jouant des trois dimensions comme un poisson dans l'eau, la caméra œuvre au seuil du vertige proportionné au risque d'une passion de la liberté. Le panthéisme vibrant de la nature où l'eau et les arbres fusionnent en frissonnements de lumière sont l'aliment propre d'une âme assoiffée. Le bal tangue tout entier à la mesure de la puissance érotique qui l'anime.
   L'œil de la caméra fouit dans les jupes en virevoltant, remonte aux visages extatiques, élargit le champ où l'accordéoniste amoureux endiable la foule. Le montage haché jusqu'à la saccade, n'hésite pas à afficher l'artifice, qui sera toujours la véritable source d'émotion. En intérieurs comme en extérieurs, tout est dans le mouvement et la lumière qui épanouit si radicalement les virtualités physionomiques.
   Sans les quelques rares génies du son au cinéma, dont les découvertes commencent à se diffuser dans l'ordinaire, un tel film pourrait faire croire que l'invention du sonore a sonné le glas du cinéma. 2/11/01
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Gardiens de phare
Fr. N&B Muet 1929 70' R. J. Grémillon ; Sc. Jacques Feyder, d'apr. Paul Autier et Cloquemin ; Ph. Jean Jouannetaud, Georges Perinal ; Déc. André Barsacq ; Pr. Films du Grand-Guignol ; Int. Fromet (le père Bréhan), Geymond Vital (Yvon, son fils), Génica Athanasiou (Marie), Gabrielle Fontan (sa mère).

  Au large de la Bretagne, le père Bréhau et son fils
Yvon, qui a laissé à terre Marie, sa fiancée, font la relève du phare pendant un mois. Yvon tombe malade. Le père comprend que la morsure au bras du malade provient d'un chien enragé. Il lance le signal de détresse mais la mer est trop mauvaise pour accoster. Faute de surveillance, le phare s'éteint, ce qui se voit de la terre. Marie s'affole. Dans une crise de démence Yvon tente de mordre son père, qui le précipite dans les flots. La sirène du bateau de secours hurlant, il rallume le phare. Voilà Marie rassurée.

   Épouvantable drame d'après la pièce en un acte créée en 1905 au Grand-Guignol à Paris.
Le fils tué par le père à cause de la rage contractée en protégeant sa fiancée contre un chien hargneux ; c'était fait pour tirer les larmes. La réalisation nous plonge plutôt dans le malaise d'un tunnel vertical avec ses angles ordonnés à la géométrie du phare, son montage alterné des progrès de la maladie avec la violence des flots, ses flash-back mélancoliques des jours de liesse de la Bretagne profonde. Le théâtre y est totalement dépassé dans une authentique filmicité. 12/12/17 Retour titres Sommaire

La Petite 
Lise Fr N&B 1930 84'
Commentaire

Gueule d'amour Fr. N&B 1937 90' ; R. J. Grémillon ; Sc., Dial. Charles Spaak, d'après André Beucler ; Ph. Günther Rittau ; M. Lothar Bruhne ; Pr. UFA/ACE ; Int. Jean Gabin (Lucien Bourrache), Mireille Balin (Madeleine), René Lefèvre (René), Marguerite Deval (Mme Courtois), Jane Marken (
Mme Cailloux), Henri Poupon (M. Cailloux).

   Irrésistible Spahi et notoire bourreau des cœurs de la garnison d'Orange surnommé Gueule d'amour, Lucien Bourrache s'éprend d'une demi-mondaine qui le fait marcher jusqu'au désespoir, entraînant sa déchéance physique et sociale. Elle le relance à Orange où il est venu s'enterrer, mais il la tue après qu'elle se soit attaquée à son ami René, qui l'aide à s'expatrier. 

 Grémillon reste l'irremplaçable metteur en scène sachant concilier art du cinéma 
(1) et spectacle mercantile, comme on le pouvait encore un peu à l'époque. L'efficacité narrative et la sobriété de l'expression visuelle et sonore (la musique reste à sa place, les paroles ne forcent jamais) passent encore remarquablement.
   La mise en scène, c'est-à-dire la transmutation filmique du script, reste néanmoins assez timorée. Le faune Gueule d'amour chamboule toutes les têtes. Les contre-plongées penchées à droite puis à gauche des façades constellées d'yeux féminins aux aguets, sont une bien sage hyperbole.
   T
out repose surtout un peu trop sur la personnalité de Gabin (Galerie des Bobines), la prestance de Gabin, les colères de Gabin, la tristesse de Gabin, donc sur l'identification, ce bénéfice secondaire de l'aventure artistique. Le générique annonçant modestement : "Jean Gabin dans Gueule d'amour, avec Mireille Balin, René Lefèvre. Autres acteurs : Marguerite Deval, Jane Marken, Henri Poupon..." est en cela très moderne. Le spectateur donc est invité à être séduit ou jaloux d'abord, puis à épouser la déchéance de la star, ce qui compromet l'art qui, à son insu et à son corps défendant, le bouleverserait en profondeur en désactivant les oppositions rudimentaires du spectacle de masse. 11/11/01 Retour titres Sommaire


Remorques
Fr.  N&B 1939-40 81' ; R. J. Grémillon ; Sc., Dial. Jacques Prévert, d'après Roger Vercel ; Ph. Armand Thirard ; Déc. Alexandre Trauner ; M. Roland Manuel ; Pr. Roland Tual ; Int. Jean Gabin (André Laurent), Madeleine Renaud (Yvonne Laurent), Michèle Morgan (Catherine), Fernand Ledoux (le bosco), Jean Marchat (Marc), Charles Blavette (Tanguy).

   Aux commandes d'un remorqueur de sauvetage en haute mer, le capitaine Laurent (Galerie des Bobines) est le chef parfait ayant l'œil à tout, même à la vie privée de ses matelots. Il a deux amours : la mer et son épouse qui l'adore mais dépérit au port. Les sauveteurs accueillent une jeune femme appelée Catherine, parmi quelques matelots fuyant le cargo en perdition auxquels ils portent secours. Catherine cherche à quitter le capitaine son mari, individu antipathique qui s'arrangera pour ne pas acquitter les frais de remorquage en faisant rompre la remorque une fois hors de danger. Un peu plus tard, revanche du destin pour un capitaine qui veille farouchement à la moralité de son équipage, André devient l'amant de Catherine. Laquelle cependant s'éclipse discrètement lorsqu'atteinte d'une grave maladie Yvonne expire dans les bras de son repentant mari ainsi rendu à son premier amour : la mer.

   Les impressionnantes images visuelles et sonores de la mer en furie impriment au film un souffle épique. La tempête et l'amour dans leurs périlleux déchaînements ne sont qu'une seule et même chose. Les éclairages accentuant les contrastes en extérieurs nuit, les fumées et la brume confondues, les gigantesques trombes d'eau, les variations composées d'angles et de grosseurs de plan, le battement sourd des machines, les mugissements du vent, le beuglement des sirènes synchronisé avec le tragique de l'action et le comportement tourmenté des sauveteurs sont la métaphore de cette passion tumultueuse s'achevant dans une paix lugubre au son d'un chœur lancinant de litanies.
   Tout du chef-d'œuvre, si l'on pouvait faire abstraction des tendances littéraires
(1) du dialogue, des acteurs trop acteurs, de Madeleine Renaud qui, au cinéma, est assez quelconque, des deux amants un peu trop stars et du concours de la musique auxiliaire dans des scènes qui se suffiraient à elles-mêmes... 8/09/01 Retour titres Sommaire

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Edmond Thonger GRÉVILLE
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Le Triangle de feu Fr. 1932 N&B 77'
Commentaire

Menaces
Fr. 1939 95' ; R., Sc. E. T. Gréville ; Ph. Otto Heller, Nicolas Hayer, Alain Douarinou, André Thomas ; M. Guy Lafarge ; Pr. Cinq Jours d'Angoisse ; Int. Mireille Balin (Denise), Ginette Leclerc (Ginette), Erich von Stroheim (professeur Hoffmann), Jean Galland (Louis), Henri Bosc (Carbonero). 

   Accueillant en majorité des étrangers, un petit hôtel du quartier latin symbolise la concorde alors que l'hitlérisme triomphant puise sa force dans la haine des peuples. Des destins concentrent le drame en se croisant sur le mode fugué. Denise téléphone tous les soirs en Angleterre à son fiancé mais les communications sont perturbées. Un sien amoureux illuminé refait inlassablement son portrait de mémoire. Il est mobilisé. Elle l'accompagne par pitié, se ravise à temps et rentre à Paris non sans avoir manqué le fiancé survenu pour l'épouser. Les pensionnaires se solidarisent pour le rattraper avant qu'il ne s'embarque sur une méprise. Le professeur Hoffmann, autrichien exilé, cache sous un masque un demi-visage atrocement mutilé. Exclu de son laboratoire comme étranger et désespéré par la montée du conflit, il se suicide. La guerre vide l'hôtel de ses clients masculins dont un bel aviateur que Ginette visitait en cachette par amour. Rajoutée en 44 la fin célèbre la victoire en même temps que la réunion des couples.


   Les grosses ficelles ont pour effet de torpiller la prétention à la profondeur crépusculaire. L'hôtel du Panthéon, dont la patronne confectionne un gâteau pour la fête du pauvre professeur solitaire, éminent qui plus est, est le lieu des bons sentiments. L'invraisemblable demi-masque noir de Hoffmann (Erich von Stroheim, Galerie des Bobines) est un chef-d'œuvre de fantaisie stroheimienne totalement désamorcé par la platitude du contexte filmique. Il recouvre du coup un symbolisme grossier réservant la face hideuse de la guerre que dévoile théâtralement un geste ultime du suicidé.
   Symétriquement la face de bonté se donne opportunément dans les soins médicaux prodigués à un petit chien blessé ramené au professeur par des enfants, malgré la patronne, qui ferme les yeux. La tombe du Martyr à l'avant-plan en amorce servira à la fin de caution sentimentale à un discours sur la liberté prononcé par l'aviateur. Tout cela traduit une incapacité à unifier les données dans un projet d'ensemble. Le décor esthétisant, les éclairages superfétatoires jusqu'à la surexposition, le mickeymousing d'accompagnement en sont les affligeants témoignages. 9/07/06
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Les Mains d'Orlac
GB VO 1960 105' ; R. E. T. Gréville ; Sc. E. T. Gréville, John Baines, d'après Maurice Renard ; Ph. Jacques Lemare ; M. Claude Bolling ; Pr. CFDC ; Int. Mel Ferrer (Orlac), Dany Carrel (Li Lang), Christopher Lee (Néron).

   Le Chrirurgien Volcheff greffe les mains d'un étrangleur au grand pianiste Orlac, qui a perdu l'usage des siennes dans un accident d'avion. Informé de l'origine de ses nouveaux organes, Orlac est incapable de jouer et manque étrangler sa femme. On lui apprend que l'étrangleur était innocent. Il redevient alors pianiste et bon époux.

   Souffle un peu court, malgré le mistral dans les arbres provençaux, ou des figures tel que le fondu enchaîné du vieil agressé auquel se substitue une tête de palmier échevelée.
   Belle prestation cynique de Christopher Lee en magicien de scène, mais fallait-il faire du remplissage en présentant le numéro dans son intégralité ? Les scènes érotiques ne sont pas dénuées d'une certaine nervosité. Retenir cependant l'effet fantastique du baiser reflété en flou oblique dans le couvercle relevé du piano à queue.
   Finalement, c'est du fantastique qui n'est pas assez travaillé. Mise en scène de polar (la villa isolée trop moderne dans un décor trop nu). Même si certains plans profonds, associés à la décoration quelque peu cabalistique des boiseries, inquiètent. Ou très gros plans sur Ferrer dont les yeux sont vraiment bizarres. L'acteur est d'ailleurs très bien choisi pour son dégingandé tout ordonné aux mains.
   Dommage que pour un écrasement des mains, l'avion soit moins suggestif que le chemin de fer... Sacrifié sur l'autel du modernisme ? 24/10/99
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David Wark GRIFFITH
liste auteurs

Les Aventures de Dollie (The Adventures of Dollie) USA Muet N&B 1908 12' ; R. D. W. Griffith ; Sc. Stanner E.V. Tayler ; Ph. Arthur Marvin ; Pr. Biograph Compagny Production Int. Arthur V. Johnson (le père), Linda Arvidson (la mère), Gladys Egan (Dollie), Charles Inslee (le gitan), Madeleine West (sa femme). 

   Furieux
de n'avoir pu lui fourguer un panier un Gitan tente de voler le sac de la mère de la petite Dollie. Le père le rosse. Il se venge par le rapt de l'enfant. Avec sa femme ils quittent leur campement, la petite étant enfermée dans un tonneau chargé à l'arrière du chariot bâché. Mais en traversant un gué le tonneau bascule dans la rivière. Il dérive avant de s'échouer à l'endroit précis où a commencé l'histoire. Le père le ramène sur la rive avec l'aide du pêcheur qui l'a retenu. La fillette est indemne.

   Sur treize plans fixes non raccordés sauf par recadrage, tournés en extérieurs, le premier film de Griffith comme réalisateur. Clos sur eux-mêmes,
les plans s'ouvrent à l'espace continu par l'agencement narratif, successivement : clairière où l'on joue, chemin de rive où est volé le sac à main, campement du Gitan, clairière et rapt, taillis cachant la fuite, compement et mise en tonneau de la fillette, chemin en profondeur de champ que parcourt face-caméra le chariot à partir de l'arrière-plan dans l'axe de la caméra, gué en axe inverse montrant la chute du tonneau dans l'eau, tonneau descendant un segment de rivière dans l'axe de la caméra, cascade, cascade recadrée dans l'éloignement, segment de rivière, rive initiale ou échoue le tonneau.
   Ce pourrait être mélodramatique si le titre n'évoquait le genre du conte - on songe à Alice - afin que l'on soit certain que la petite fille ne souffre pas dans son tonneau y compris dans le passage abrupt de la cascade. Avec douceur, le père le pose sur la rive verticalement dans le bon sens comme un précieux colis alors qu'il n'est pas censé en connaître le contenu. Il faut prendre le rapt comme élément d'un jeu. Le jeu se concrétise en abyme par la circularité du parcours. Le point fort est la profondeur de champ, qui émancipe de l'espace scénique théâtral. Figurant le flux du récit la rivière coule du point extrême de la profondeur vers la caméra, mouvement marqué par le trajet du tonneau jusqu'à l'avant-plan suivi de sortie de champ.
27/11/17 Retour titres Sommaire

Those Awfull Hats USA Muet N&B 1909, un plan séquence fixe de 2'30 ; R. D. W. Griffith ; Ph. Billy Bitzer ; Pr. Biograph Compagny Production.   

   Dans une salle de cinéma, à la suite d'une première spectatrice qui, n'osant pas déranger a préféré repartir, et d'une autre qui provoque une dispute, des femmes couvertes d'immenses chapeaux fleuris à la mode du temps arrivent successivement en plein spectacle et prennent place aux premiers rangs. Les spectateurs protestent en vain. Une grue happe d'abord un chapeau qui disparaît par le bord supérieur puis une femme entière aux applaudissements enthousiastes de l'assistance. Un carton conclut : "Les dames sont priées de retirer leur chapeau".


   L'écran intradiégétique est décalé vers la gauche, la partie droite du champ occupée par les spectateurs est celle par où entrent les spectatrices chapeautées. Le film projeté dans la salle n'a aucun rapport avec le récit principal, sauf que les actrices y portent des chapeaux. Le spectacle est dans la salle et non sur l'écran représenté, ce qui détermine un niveau supplémentaire de décalage.
   Ce jeu de décalage du cadrage et du contenu du film dans le film produit un effet de dramatisation humoristique en rapport avec le fait que d'affreux chapeaux réels que désigne le carton final, peuvent aussi à tout moment faire leur apparition dans la salle en dur devant le spectateur en chair et en os. L'argument anecdotique, en outre, n'exclut pas la progression dramatique : antithèse de la spectatrice renonçant, péripétie de la dispute qui fait monter la tension, n
œud de l'intrigue puis dénouement.
   Le plan séquence fixe donc n'est pas une infirmité : par l'image
en abyme décalée, par la présence d'un hors champ actif, sur la base d'une progression dramatique, nous sommes bien dans le filmique. (images) 26/02/05 Retour titres Sommaire

Le Spéculateur en grain 
 (A Corner in Wheat) USA Muet N&B 1909 13'50 ; R. D. W. Griffith ; Sc. D.W. Griffith et E. Woods d'apr. The Pit (Le Goufffre) de Frank Norris ; Ph. G.W. Bitzer ; Pr. Biograph Company Production ; Int. Frank Powell (le roi du blé), Grace Henderson (sa femme), James Kirkwood (le fermier), Linda Arvidson (sa femme), Gladys Egan (sa fille). 

   Le fermier sème à la main dans l'espace ouvert tandis que le roi du blé spéculant en bourse accroît sa fortune en chambre, ce qui a pour effet la ruine de certains, l'appauvrissement du fermier ainsi que le doublement du prix du pain et la réduction de la production, qui devient inférieure à la demande. Mais le magnat visitant un moulin fait une chute dans un silo et meurt étouffé sous les grains.


   Ce court métrage témoigne de l'aspiration de Griffith à des métrages plus importants, à s'écarter du pur divertissement par son engagement, inspiré en outre par la profonde étude du livre de Frank Norris. Le montage alterné met l'accent sur le contraste entre le pénible labeur des champs et l'excitation tétanique de la bourse. C'est ce qui est fatal au roi du grain, ayant perdu l'équilibre à la suite des bonds de joie que lui inspire l'annonce de ses g(r)ains faramineux. Contraste fort d'autant qu'il relève de l'opposition cinéma/théâtre, soulevant la nécessité de se libérer de ce dernier. Filmicité donc du tournage en extérieurs relevant de la profondeur de champ et du hors champ.
   L'attente de la femme et de la fille du retour des hommes souligne à la fois la longueur de la journée et la nécessité d'user du montage pour faire sentir la séparation et la distance. Toutes deux le dos à la maison droite-cadre observent l'horizon par-delà le bord opposé, puis la mère tend le bras dans cette direction avant que le fermier et son père ne pénètrent à pas lourds dans le champ, mais c'est pour montrer des mains vides, que le bénéfice est nul. Dans le dernier plan la profondeur de champ et le jeu de lumière expriment le caractère exténuant de la journée. Le fermier face-caméra à distance en grande profondeur de champ suit un sillon jusqu'à l'avant-plan, fait demi-tour le long du sillon suivant puis la nuit tombant il se dissout dans le lointain. Tandis que les espaces fermés des spéculateurs ne sont propres qu'aux gesticulations sur place. 23/11/17
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The Unchanging Sea USA Muet N&B 1910 13' ; R. D. W. Griffith ; Sc. Charles Kingsley d'apr. "The Three Fishers", poème de Charles Kingley ; Ph. Billy Bitzer Pr. Biograph Company Production. 

   À la suite d'un naufrage, un marin-pêcheur devenu amnésique ne rentre pas au logis. L'espoir de l'épouse ni la fidélité ne faiblissent au long des années. Un bébé naît qui devient une jeune fille, laquelle se
marie. Un beau jour la mémoire revient au sinistré qui, vivant dans une pêcherie voisine, retrouve sa femme sur la grève où elle séjourne quotidiennement.

   Les plans sont encore fixes mais guère limités par le cadre grâce à la profondeur de champ associée à l'omniprésence du hors-champ, sollicité dans les sorties et rentrées de champ
raccordées (sortie de champ gauche-cadre, entrée plan suivant droite-cadre avec raccord mouvement, etc.) entre elles, ils ont l'ampleur potentielle appropriée à l'immensité de la mer alimentée rythmiquement par l'incessant roulement des vagues.
   En outre souligné par les effets de la houle sur les vêtements et la végétation, l'espace marin est mis en valeur au moyen d'un cadrage oblique par rapport au rivage en léger surplomb (la grève où est posée la caméra étant surélevée par rapport au niveau de la mer) accentuant pour celle-là les lignes de fuite, pour celle-ci la sensation de
volume.
   En même temps, la profondeur de champ se fait procédé réaliste dès lors qu'il se passe quelque chose à tous les niveaux : sur mer, au fond un phare se dresse, une barque s'éloigne et les pêcheurs embarquent à mi-distance, les femmes étant sur la
grève au premier plan, parfois même en amorce à l'avant-plan. Sur terre en même temps que l'action de l'intrigue au premier plan, des activités se déroulent étagées sur toute la profondeur, ou bien des événements anodins comme le passage d'un chat assurent un contexte vivant.
   Ce qui n'empêche que l'action à l'intérieur du cadre soit capable d'un maximum d'ampleur en usant de la diagonale dans une trajectoire en z du mouvement par exemple. Cependant, comme toujours chez Griffith, l'intrigue ne se limite pas à l'action, qui est dynamisée par la vivacité des personnages et pour tout dire par les manifestations de leur monde intérieur noté avec une grande justesse, parfois teintée de malice.
   Les regards en
coulisse de la jeune fille sur le jeune homme sont à cet égard un vrai régal. Il existe même un monde intérieur commun sensible dans tel raccord cut laissant circuler un flux invisible : après que l'épouse eut décliné les propositions d'un marin qui lui conseillait de renoncer à scruter quotidiennement l'horizon marin, on voit dans le plan suivant la mémoire revenir au mari. Ce qui repose sur une profonde connaissance du comportement affectif : aux retrouvailles, l'étreinte des époux est aussi lente à venir qu'il faut de temps à l'esprit pour s'y reconnaître dans une situation aussi incroyable qu'elle fut trop longtemps espérée.
    En résulte un univers dont la richesse comble de poésie chaque attente en plan fixe. La gageure sur la base d'un
poème est si bien tenue qu'on peut la dire marquer une étape dans la prise de conscience d'un langage artistique(1) alors balbutiant. 29/11/04 Retour titres Sommaire

The Girl and Her Trust USA Muet N&B mars 1912 15' 
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The Musketeers of Pig Alley
USA Muet N&B mars 1912 16' ; R. D.W. Griffith ; Sc.  D.W. Griffith et Anita Loos ; Ph. Billy Bitzer ; Pr. Biograph Company Production ; Int. Dorothy Gish (la petite dame), Clara T. Bracy (sa mère), Walter Miller (son époux musicien), Elmer Booth (Snapper Kid, le chef du gang des Mousquetaires), Alfred Paget (le chef de la bande rivale). 

   À New York, le musicien, son épouse la "petite-dame", et sa belle-mère, ont du mal à joindre les deux bouts. L'époux est contraint de voyager pour gagner l'argent du foyer. En son absence sa femme remet vigoureusement à sa place Snapper Kid, le chef de la bande des Mousquetaires, qui quêtait un baiser. Le redouté gangster admire le cran de la petite-dame. Pendant que celle-ci est à ses courses, sa mère meurt d'une attaque. Au retour d'une tournée le mari se fait voler son cachet par un Snapper ignorant de son lien avec la petite-dame. Pour lui changer les idées, une amie
entraîne celle-ci au bal des gangsters, où elle est draguée par le chef de la bande rivale. Snapper Kid s'interpose pour la protéger et les deux bandes vont en découdre à l'extérieur. Le chef des Mousquetaires, trop absorbé par la bagarre, se laisser subtiliser son portefeuille par le musicien, qui récupère ainsi son argent. Pourchassé par la police, le gangster cherche refuge chez la petite-dame qu'il découvre en couple légitime avec le musicien, ce qu'il respecte. En sortant il est cueilli par un flic. Mais le couple le sauve en soutenant qu'il était chez eux pendant le grabuge. 
 
   Réputé premier film de gangsters de l'histoire du cinéma, il se veut aussi témoignage des bas-fonds newyorkais, ce qui nous vaut ce pittoresque tableau populaire de Pig Alley, mais aussi la vie d'une rue commerçante très animée. Les arrière-plans sont généralement peuplés d'actions adventices. Étonnant pour un court-métrage, d'être aussi naturaliste qu'imaginaire
. Ceci grâce à une économie filmique étudiée. Les lieux sont en nombre limité et caractérisés, pourvus de repères tel ce vieillard de la rue marquant l'accès à la maison du couple, lieux parfois communiquant entre eux, comme si la grande ville était concentrée entre un petit segment de rue, une impasse (Pig Alley), un logement réduit à une chambre, deux cafés, un bal. Mais le logement communique avec un des cafés via un vestibule qui est une sorte de plaque tournante des allées et venues, le bal donnant, lui, directement sur l'autre café.
   Les deux bandes se cherchent en s'avançant prudemment dans ce labyrinthe d'un montage compliqué de hors-champ. Tout en plan moyen, à la bonne échelle d'un espace urbain serré en même temps que solidaire de la vaste cité virtuelle. Et plutôt que gros plan, l'approche frontale du gangster, sur le mode du reportage, va jusqu'à la tête à l'avant-plan, comme s'il nous soufflait dans la figure. Mais ne pas s'y laisser prendre : c'est de la fiction. La tendre ironie d'un lieu dit du cochon, ou bien le réflexe de protection du complice de Snapper quand la petite-dame passe près de lui nous le rappellent plaisamment. Ce qui, faisant passer un courant d'humanité, permet aussi de casser l'opposition conventionnelle bon/méchant. 10/04/18
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L'ennemi invisible (An unseen enemy) USA Muet N&B sept. 1912 15'17 ; R. D.W. Griffith ; Sc. Edward Acker ; Ph. Billy Bitzer ; Pr. Biograph Company Production ; Int. Lillian Gish (la sœur aînée), Dorothy Gish (la cadette), Robert Harron (son petit ami), Elmer Booth (le frère), Grace Henderson (la bonne), Harry Carey (le voleur), Erich von Stroheim (le danseur au chapeau). 

   À la mort du père laissant un fils adulte et deux filles adolescentes, l'héritage est converti par le frère en espèces, serrées dans le coffre-fort, ce qui n'a pas échappé à la bonne. Tandis que le frère s'est rendu à bicyclette à son bureau qui est assez distant, la bonne enferme les deux sœurs dans la pièce contiguë à celle du coffre pour introduire un complice expert en perçage. Ce qui leur tient lieu de geôle toutefois comporte un téléphone si bien que l'aînée appelle son frère. La bonne passe alors, pour la faire raccrocher, le canon d'un revolver par un trou de la paroi et n'hésite pas à tirer, ce qui s'entend au bout du fil. Affolés, le frère et un collègue interceptent une automobile, qui fonce au secours des filles mais est retardée par un pont mobile en action. Entretemps le petit ami de la cadette, qui devait quitter la ville pour l'université mais tournait autour de la maison n'ayant pas eu droit à son baiser d'adieu, a sauvé les sœurs en les faisant passer par la fenêtre. Déboule l'automobile dont les passagers, auxquels s'est joint le propriétaire, maîtrisent les deux malfaiteurs. Le frère fait savoir à la cadette que leur sauveur a bien mérité d'un baiser.

   L'intrigue est assez banale et elle comporte des invraisemblances. Mis à part l'humour de la chute tout l'intérêt réside dans le cadrage et le montage. Cadrage qui fait se croiser les murs des chambres percés d'une porte avec les bords-cadre verticaux si bien qu'on passe d'une pièce à l'autre en changeant de plan moyennant un raccord mouvement. Signe d'art, l'artifice fait pleinement partie de la représentation. Le recadrage crée une dynamique combinant l'action pure à la psychologie.  1) L'automobile survenant à l'horizon sur la route en profondeur de champ dans l'axe de la caméra fonce sur celle-ci. 2) Recadrage serré sur les passagers tendus, puis recadrage plus serré de 1), faisant la synthèse des deux précédents. Le montage alterné constitue la technique du suspense, l'action qui doit résoudre le problème étant toujours soumise à des obstacles qui retardent sa rencontre avec la situation à réparer. Les deux séquences alternées sont bien reliées par la voie téléphonique, ce qui souligne l'impuissance des correspondants à se rejoindre physiquement dans l'immédiat. Mais ce montage, qu'on peut  alors dire parallèle, a une autre fonction qui est d'intercaler entre les scènes d'intérieur (s'apparentant au studio) des extérieurs plus filmiques, faisant jouer la profondeur de champ sur un espace ouvert où l'air circule et la lumière solaire ricoche. Cet effet relatif à la captation filmique du réel engendre même la poésie, jusqu'au lyrisme quand les chevelures et les rubans des jeunes filles sont agités par le même souffle de vent et scintillent sous les mêmes rayons du soleil que les feuillages alentour. 23/11/17 Retour titres Sommaire

Naissance d'une nation (The Birth of a Nation) USA Muet N&B 1915 12 bobines 180'
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Intolérance (Intolerance) USA Muet N&B 1916 166'
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Cœurs du monde (Hearts of the World) USA Muet N&B 1918 117' 
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Le Lys Brisé (Broken Blossoms/The Yellow Man and the Girl) USA Muet N&B 1919 88' (six bobines annoncées) ; R., Sc. D.W. Griffith, d'après The Chink and the Child, nouvelle de Thomas Burke ; Ph. Billy Bitzer ; Pr. Griffith Inc. ; Lillian Gish (Lucy), Richard Barthelmess (Cheng Huan), Donald Crisp (Battling Burrows), Arthur Howard (le manager), Edward Peil (Evil Eye).

   Chinois émigré à Limehouse pour y porter la bonne parole bouddhique, Cheng Huan n'y découvre que turpitude. Il rencontre enfin Lucy, être pur martyrisé par un père boxeur, alcoolique et xénophobe. La jeune fille gravement blessée par la dernière correction paternelle est recueillie chez le Chinois. Le refuge découvert, Lucy est ramenée de force à la maison et battue à mort. Cheng tue le père, emporte le cadavre de son idole chez lui et se suicide.

   La sidération de la mort est toujours-déjà sur le visage de Lucy, qui doit relever de deux doigts les commissures de ses lèvres quand son père la force à sourire, le regard restant monstrueusement dissocié, à cette extrême limite du comique, dont le pouvoir tragique confine à l'épouvante.
   Cheng, être lunaire au visage empreint d'une extrême douceur, appartient au même monde des anges, bien qu'il doive surmonter l'appel de la chair. La lenteur et la grâce des gestes des deux protagonistes les situe dans un univers à part, incompatible avec celui des Hommes. Il n'y a d'issue pour personne, donc pas de concession au désir du spectateur de s'identifier au Bien victorieux. L'émotion des visages et des attitudes est, du reste, étrangère à toute vision manichéenne.
   Dans un jeu véritablement oxymorique, les acteurs allient à l'outrance de l'expression - concernant le corps et sa palpitation autant que le visage - une extrême sobriété. Effet de cette jouissance de l'acteur qui ne se rencontre que dans le muet. Un éclairage qui ne viole jamais la chair mais préserve les nuances résultant d'un échange avec le contexte. Lucy n'est pas éclairée mais nimbée comme une créature céleste dont se laissent deviner les ailes dans un bout de châle ou le dossier du fauteuil sur lequel elle récupère ses forces.
   Les variations de grosseur par recadrage ou plus rarement travelling avant dans un système dominant de plans fixes, ou bien les jeux de cache qui isolent l'action en la cernant dans un ensemble, concourent à la capture de la plus fugace attitude. Ce n'est donc pas vraiment un mélodrame. Loin de jouir du malheur par la compassion, on s'élève à la contemplation de la beauté intérieure. 18/01/04
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Le Pauvre amour (True Heart Susie) USA N&B Muet 1919 87' 
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A travers l'orage
(Way Down East) USA N&B Muet 1920 146'
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Les Deux orphelines (Orphan of the Storm) USA N&B Muet
1921 (version restaurée 2001) 150'
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Sally fille de cirque (Sally of the Sawdust) N&B Muet
1925 110'
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Karl GRUNE

liste auteurs

Grisou (Schlagende Wetter1923 colorisé Muet 63' (version courte reconstituée) 
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La Rue (Die Straße) 1923 N&B Muet 90'
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Robert GUÉDIGUIAN
liste auteurs

A la vie, à la mort ! Fr. 1995 100' ; R. R. Guédiguian ; Sc. R. Guédiguian et Jean-Louis Milési ; Ph. Bernard Cavalié ; M. Carlos Puebla ; Int. Ariane Ascaride (Marie-Sol), Jean-Pierre Darroussin (Jaco), Jacques Gamblin (Patrick), Pascale Roberts (Josépha), Gérard Meylan (José). 

   En ce monde cruel où sévit le chômage, la solidarité est la seule force des pauvres. Tenu par José, un ancien mécanicien sans travail, dont l'épouse Josepha tous les soirs fait un strip-tease, le "Perroquet bleu" est un cabaret de zone situé à l'Estaque. Depuis que Marie-Sol, la sœur de José, et son mari Patrick ont été expulsés du domicile prêté par le patron de Marie-Sol, et que l'ami d'enfance Jaco est plaqué par sa femme, tous vivent sous le même toit que le père, Carlos, émigré espagnol infirme du travail. S'y joignent bientôt Farid, adolescent sans parents adopté par José, et Vénus une toxico qui couche avec José, mais découvre la tendresse avec Farid.
   Ils sont tous au chômage, et bientôt Josepha abandonne, car trop vieille, le strip-tease qui était la sauvegarde du cabaret. Humilié d'être sans ressources, Jaco se réfugie en douce à la soupe populaire. Il y est déniché par un légionnaire en retraite habitué du cabaret, qui le ramène en lui recommandant la discrétion sur son aide. Comme Patrick est stérile, Marie-Sol prie la Vierge en vain, avant de requérir les services concrets de son frère d'adoption Jaco. Elle tombe enceinte à la joie de tous et à la grande perplexité de Patrick. Comme elle a quitté son patron qui voulait la mettre dans son lit, on se demande comment on va élever l'enfant. José sort une liasse de billets : il a vendu sa Mercedes rutilante, remise en état grâce à ses talents de mécanicien, qui ne suffisent pourtant pas à lui assurer un travail. Patrick se tue enfin, maquillant son suicide en accident pour que sa veuve touche l'assurance.


   Ce n'est jamais manichéen ni racoleur, la musique auxiliaire, intermittente, reste à l'arrière-plan sonore, les couleurs et les éclairages composant une palette chaleureuse appropriée à ce microcosme révélateur. Le gros-plan fixe sur les visages capte les émotions.
   La simplicité, la générosité, la vision de Guédiguian, constructive en dépit d'un contexte désespérant, font du bien. 31/08/02
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Marius et Jeannette
Fr. 1997 102'
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Voyage en Arménie Fr. 2005 120'
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Alexeï GUERMANN
liste auteurs

Khroustaliov, ma voiture ! (Khroustaliov, machinu !) Rus. VO N&B 1998 135' ; R. A. Guermann ; Sc. Svetlana Karmalita et A. Guerman ; Ph. Vladimir Ilyne ; M. Andrei Petrov ; Int. Youri Tsourilo, Nina Rouslanova, Michael Dementiev.

   Le titre reprend l'exclamation fameuse de Beria pressant son chauffeur au départ après la mort de Staline. 1953 ; Staline est mourant. Un médecin-général non-conformiste est conduit de force à son chevet, en vain.

   Caricature des comportements excessifs d'une société écrasée par l'appareil policier et entassée dans des logements collectifs. Le général est une force de la nature, chauve et moustachu, exerçant sa tyrannie à l'hôpital comme à la maison, mais plus authentique de se fondre dans la populace friande de hareng fumé arrosé de thé préparé à l'aide d'un samovar portatif.
   Fatigant à force de vouloir trop montrer, au moyen de plans d'autant plus grouillants et mouvementés qu'ils sont serrés à éclater, la réalité d'un passé infernal à travers les pittoresques de la russité.
   "Plus-value sémantique" russe ! 27/02/01
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Yilmaz GÜNEY et Şerif GÖREN
liste auteurs

Yol, La permission (Yol) Tur.-Fr.-Sui.-All. VO 1982 109’ 
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Alice GUY
liste auteurs

Madame a des envies  Fr. Muet 1906 4’  d'apr. Louise Kramskoy ;    Pr. Gaumont.

   En promenade avec son mari poussant un bébé dans un landau, une femme en état de grossesse très avancé se régale successivement d'une sucette, d'un verre d'absinthe, d'un hareng saur et d'une pipe respectivement à une fillette occupant un banc avec son père plongé dans son journal, à un homme lisant de même à la terrasse d'un café, à un mendiant assis sur le trottoir et à un colporteur croisé le long d'un chemin. S'ensuivent des algarades entre le mari, qui a pourtant tenté en vain de retenir sa femme, et les victimes. Pour finir la femme grosse tombe dans un carré de choux d'où elle ressort le ventre plat tandis que le mari ramasse un nourrisson qu'il accepte après avoir râlé de ce doublement de marmaille, comme si la grossesse lui avait échappé.  

   En une quinzaine de plans fixes faisant alterner plans moyens de la promenade et plans serrés sur fond neutre des dégustations. Le burlesque tient à la disparate des envies, à la prépondérance du principe de plaisir, aux mimiques outrancières de l'assouvissement des envies, à la prise à la lettre du mythe de la naissance dans les choux, au mari ridiculisé. Au plan du récit, il s'agit de comique de répétition sous la forme des variations du même plan rapproché. Répétition également dans la mise en scène. Chaque séquence commence par un plan moyen présentant l'objet de la convoitise, auquel succède un carton, successivement : "La sucette de la fillette", "L'absinthe du consommateur", "Le hareng du mendiant", et "La pipe du colporteur", de sorte que le carton scande sans le rompre le récit. Les protagonistes entrent dans le plan que tous finissent par déserter. À chaque fois, tribut du burlesque, le mari en découd avec la victime ou tente tant bien que mal de la dédommager, ce qui se retourne contre lui quand il entend restituer la sucette. Entrées et sorties de champ tiennent lieu de principe de continuation. À noter que le raccord n'a pas encore trouvé sa norme. Le mari derrière sa poussette poursuit sa femme qui vient de sortir du champ munie de la sucette. La fillette et le père sortent du champ à sa suite. Carton : "La sucette de la fillette". Plan serré de la dégustation de la sucette. Recadrage en plan moyen de la femme, le mari pénétrant dans le champ avec raccord dans le mouvement relatif à deux plans en arrière. Comme si le plan serré intermédiaire ne s'inscrivait pas dans la durée de l'action. Phase primitive du montage que l'on retrouve, par exemple, dans un muet comme La Boule noire (1913). Sans doute peut-on relever dans ce court métrage précoce les rudiments d'une écriture, qui sont un ferment de créativité. Á savoir, des traits moléculaires en rapport avec la grossesse comme le mot absinthe (enceinte) et les figures érotiques de la sucette et de la pipe.  22/09/21 Retour titres Sommaire

Le Piano irrésistible  F. Muet 1907 4' ; P. Gaumont.

   Un pianiste emménage dans un immeuble. Dès le piano installé il se met au clavier. Les déménageurs au travail s'animent d'irrésistibles mouvements de danse. À l'étage inférieur un couple et la bonne sont entraînés de même. Furieux ils montent pour faire cesser le sortilège, mais dansent de plus belle autour du piano. Même jeu successivement pour le concierge avec son épouse puis tout un atelier de couture. Pour finir c'est un agent de police qui est pris par la danse de saint-Guy (tiens, tiens !) dans la rue avant de rejoindre les autres à l'intérieur. Le pianiste se trouve mal, mais comme on y a pris goût, il est remis d'autorité à jouer.
 
 
   Schéma classique de la progression comique par addition de situations identiques menant au paroxysme. Des résidents au flic en passant par l'atelier de couture, il y a progression de la transgression. Neuf plans moyens fixes pour quatre décors. Hors-champ côté cour dominant. 28/09/21 Retour titres Sommaire


Falling Leaves USA Muet 1912 11’ 51  ; Sc. O. Henry, d'apr. son roman ; Pr. Solax ; Int. Mace Greenleaf (Dr Earl Headley), Blanche Cornwall (la mère), Mariam Swayne (Winifred), Magda Foy (Trixie).

   En automne, le médecin de famille diagnostique la mort de Winifred par tuberculose "avant la chute de la dernière feuille". Sa petite sœur Trixie imagine en pleine nuit d'attacher les feuilles des arbres du jardin avec des ficelles. Surprise par le bactériologiste Headley qui passait par là, elle lui explique son plan puis l'entraîne dans la maison. Inventeur d'un nouveau sérum, le médecin providentiel guérit la jeune femme et lui offre des fleurs. Une idylle s'amorce.  
 
   En quelque dix cartons et quinze plans fixes généralement moyens, avec un seul gros plan, celui de la carte de visite du bactériologiste. Le jeu des acteurs n'est point trop outré conformément à la recommandation d'Alice Guy : "Be natural", même si cela reste à cet égard très inférieur à Griffith (The Girl and Her Trust, 1912) ou à Sjöström (Ingeborg Holm, 1913). À noter cependant les rudiments d'un sens profond du cadre. Trixie dans le jardin disparaît bas-cadre pour ramasser les feuilles mortes hors-champ : objets imaginaires. Le lit de la malade s'enfonce dans le bord inférieur qui lui est parallèle de sorte qu'elle paraît allongée sur le bas-cadre, comme si le drame pesait sur le cadre-même. Quand elle est guérie, le lit a été poussé sur le côté.
   Véritable conte déguisé, c'est-à-dire, au fond, récit merveilleux réparateur, truffé d'invraisemblances. Sa crédibilité tient à certaines finesses d'observation. Une écharpe traine sur une chaise dans la pièce où Winifred est prise d'une violente quinte de toux, la fenêtre étant grande ouverte sur la fraîcheur vespérale d'automne, puis Trixie médite le plan de sauvetage de sa sœur, appuyée sur le piano ouvert en amorce, sur lequel celle-ci vient de jouer avant de s'effondrer. 
   Cependant le rapport avec le hors-champ se ressent encore de l'influence du théâtre, comme chez Blom dans Amour de danseuse (1911). Le salon et la chambre à coucher comportent une issue de chaque côté, percée sur des pans de mur coupés par les bords verticaux du cadre et formant un angle de quarante-cinq degrés avec le mur du fond. Un compromis entre les côtés cour et jardin et la planéité du cadre, qui permet de matérialiser dans le plan les entrées et sorties latérales par des portes et fenêtres, comme si, outre le bord inférieur, il n'était de hors-champ que des bords latéraux.
   Et pourtant le film s'ouvre par ailleurs au hors-champ englobant avec, dans une autre pièce de l'habitation, cette porte-fenêtre frontale donnant sur le jardin. L'entrée du bactériologiste guidé par Trixie est bien raccordée au plan précédant du jardin, sauf que, trait archaïque déjà vu dans Madame a des envies, un plan où l'on découvre la disparition de Trixie s'interpose.
   Un mélange donc de prudence et de hardiesse. 26/09/21
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EFG