CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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Amos GITAÏ
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Alila (générique) Isr. VO 2003 120' ; R. A. Gitaï ; Sc. A. Gitaï et Marie-José Sanselme, d'après Mahzir ahavot Kodmot (Returning Lost Loves) de Yehoshua Kenaz ; Ph. Renato Berta ; Mont . Kobi Netanel et Monica Coleman ; Son Daniel Ollivier, Alex Claude, Gérard Lamps ; Pr. A. Gitaï, Michael Tapuah ; Int. Yaël Abecassis (Gabi), Uri Klauzner (Ezra), Hanna Laslo (Mali), Elkabetz Ronit (Ronit), Liron Levo (Ilan), Amit Mestechkin (Eyal), Lyn Hsiao Zamir (Linda), Lupo Berkowitch (Aviram), Amos Lavie (Hezi), Yosef Carmon (Schwartz).

   Des personnages au premier abord indépendants les uns des autres s'avèrent au fil de l'intrigue être liés entre eux par le biais d'une maison. Illan propose en location à un passant vaguement connu un studio situé dans la maison où vit sa maîtresse Mali. Celle-ci se trouve être la meilleure amie de Gabi qui doit y passer des heures torrides en secret avec Ronit ce locataire, rencontré de fraîche date. Eyal le fils de Mali et d'Ezra, qui sont divorcés, refuse le service militaire. À l'aide d'immigrés chinois employés au noir, Ezra agrandit la maison illégalement en prenant sur la cour pour le compte du propriétaire. Il importune son ex-épouse, à camper dans sa fourgonnette sous ses fenêtres au rez-de-chaussée, ce qui ne l'empêche pas d'être le complice d'Ilan, lequel maintient le contact avec le fils déserteur. Fortement caractérisés, les autres locataires complètent la palette.

   Voilà une situation de comédie qu'anime une caméra ironique, jouant par exemple la discrétion en suivant au travelling les personnages de l'extérieur de la maison tout en les retrouvant opportunément dans les ouvertures. C'est précisément le lieu de l'indiscrétion par excellence. Impossible de ne pas se croiser, pire de ne pas entendre les bruits quotidiens : les
amants qui voulaient la clandestinité sont au cœur d'un réseau psychosocial qui les implique intensément. Les rugissements de l'orgasme diurne sont immanquablement suivis des tambourinements sur la porte de voisins incommodés.
   Cependant, l'évolution parallèle des fils de l'intrigue dans un contexte donné débouche sur un questionnement éthique
(1). Le contexte : un monde dominé par l'argent (le chantier ne s'arrête que tard dans la nuit), pourri par la corruption. La portion de la ville que parcourt la fourgonnette d'Ezra s'apparente à un bazar cacophonique, chaque boutique diffusant un air différent comme à la foire. On découvre aux 3/4 du film que l'épouse du propriétaire de la maison, qui n'hésite pas au besoin à évoquer ses amis truands pour imposer son point de vue, est inspecteur de police. Au commissariat, parce que c'est dans son intérêt, elle libère Ezra et ses esclaves maçons arrêtés pour être expulsés. On sent percer un sourd malaise. Linda, la servante philippine joue du clavecin électrique après avoir mis fin au dégorgement radiophonique des annonces d'attentats. Eyal n'est que mollement recherché par la police militaire. Son père est le plus acharné à le moraliser avec des arguments dominés par une idéologie de type populiste ("l'armée va faire de toi un homme !" "Tu comprendras plus tard", etc..).
   Le fil le plus représentatif cependant, celui qui projette une vive lumière sur tous les autres, c'est l'aventure amoureuse. Gabi et Ronit ont voulu se soustraire totalement à la réalité. Il leur importe peu de se connaître. Métaphore de cette société dont il illustre les valeurs, le couple entend uniquement
consommer du sexe, tout en affirmant les valeurs du système afférent où l'homme fait usage d'un pouvoir ostensible que la femme entend lui confisquer en sous-main. Mais les bruyants orgasmes féminins autant faits pour lui complaire que pour déranger le mâle s'atténuent bientôt avant de s'évanouir tout à fait.
   Gabi comprend ce que l'aventure exaltante a de trompeur. Après avoir rompu, ayant quitté sa perruque de pin up, elle s'approprie le studio matériellement, et moralement en découvrant presque sensuellement la douceur du bon voisinage sous une pluie
rafraîchissante. La conclusion pacifiante, voire pacifiste est générale. Mali et Ezra fumant ensemble une cigarette ont déjà cessé de se chamailler. Ils conduisent ensemble Eyal à la caserne, mais au dernier moment Ezra le belliciste, retient son fils, préférant être complice d'un déserteur.
   Amos Gitaï parvient-il ici comme il le déclarait dans une interview à France-Culture le 10 janvier 2005, à décomposer l'image "exotique" des choses (comme il l'a fait dans
Kippour inoubliablement) ? Oui, mais de manière intellectuelle, en recherchant les procédés de la comédie. Le personnage de l'inspectrice est représentatif d'un rôle comique poussé au pittoresque.
   La véritable comédie n'est pas dans l'affirmation d'un genre, fût-elle brillamment filmique, mais dans la façon dont l'absurdité d'un monde tragique est mise en valeur. Si le spectateur est totalement immunisé au tragique, comment peut-il réellement opérer en son âme cette conversion du tragique au risible qui fait la comédie véritable ? 10/01/05 
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