CINÉMATOGRAHE 

ÉCRITURE

sommaire contact auteur titre année nationalité




John FORD
liste auteurs

La Prisonnière du désert (The Searchers) USA VO  Technicolor 1956 119' ; R. J. Ford ; Sc. Frank S. Nugent ; Ph. Winton C. Hoch ; M. M. Steiner ; Pr. Merian Cooper/Warner Bros ; Int. John Wayne (Ethan Edwards), Jeffrey Hunter (Martin Pawley), Vera Miles (Laurie Jorgensen), Ward Bond (révérend capitaine Samuel Clayton), Natalie Wood (Debbie Edwards adulte), Henry Brandon (Scar), John Qualen (Lars Jorgensen), Hank Worden (Mose). 

   Ethan Edwards, venu de nulle part en uniforme sudiste, débarque en 1868, après des années d'absence, chez son frère, colon installé dans le désert d'Arizona. Avec Martin Pawley, le fils adoptif qu'il a lui-même confié à son frère après l'avoir sauvé d'un massacre, ils partent en expédition contre des Indiens voleurs de bétail. Mais c'était un piège.
   
À leur retour ils trouvent la ferme incendiée, les parents massacrés et les deux filles enlevées dont la petite Debbie. Plus tard ils tombent sur le cadavre affreusement maltraité de l'aînée. Pendant cinq ans les deux hommes traquent Scar, le chef comanche plus ou moins renégat qui a fait de Debbie l'une de ses épouses. Quand ils les rattrapent Ethan tente d'abattre Debbie qui appartient à jamais selon lui à la race comanche. Plus tard, Martin tue Scar et Ethan poursuit Debbie mais c'est pour la soulever dans ses bras et lui dire "Home". 

   Il y a deux sortes de mythes : les mythes fondateurs, qui dotent le monde d'un sens, et les mythes falsificateurs, dont le rôle est d'entretenir les illusions au service des dominants. Ford (sauf dans sa jeunesse) est le roi des mythes de la deuxième catégorie. Il y a toujours dans ses films une séduisante figure de dominant. Ici John Wayne (Galerie des Bobines), dont la tranquille massivité organique inspire une confiance que viennent légitimer les qualités héroïques hors-pair d'une figure imaginaire.
   Mais le complément antipathique s'impose. D'où la sale gueule de Scar, son côté rusé (vs ingénieux ou stratège), ses actes de barbarie, le fait qu'il suborne une jolie blanche dont il a, selon les allusions à peine voilées du héros, violé la sœur avant de la massacrer. Les jeunes blanches sont, du reste, toujours jolies, ce qui aggrave le caractère immoral de l'appétit sexuel d'Indiens friands de confitures mais cochons. Martin peut en revanche répudier la jeune Indienne, laideron troqué sans le savoir contre un chapeau - inaptes aux affaires, en plus, ces sauvages ! - ce qui en même temps a l'air de suggérer la capacité des dominants à maîtriser leurs pulsions.
   Tous les bons Yankees du film sont d'ailleurs des sous-développés sexuels. Chez les gens civilisés, des femmes comme Laurie Jorgensen, la fiancée de Martin, moralisent au moins le sexe en prenant l'initiative.
   Dans ce contexte éthico-politico-social le fameux décor naturel de Monument Valley prend un sens particulier. Il symbolise la conquête de la beauté sauvage dont seuls les Blancs sauront faire bon usage. On se demande d'ailleurs pourquoi un fermier irait s'établir comme un spéculateur hôtelier du vingtième
siècle au pied d'un "monument" naturel en plein désert stérile à l'instar du frère du héros.
   Il semble de surcroît que la beauté naturelle serve d'alibi au clinquant des studios. Car tout sonne faux dans ce film racoleur. Pas seulement le décor épique ripoliné au Technicolor, mais aussi la recherche systématique de l'effet, comme ce cri d'horreur souligné par un travelling avant sur la grande sœur qui vient de réaliser l'imminence de l'attaque indienne.
   Ce qui a pour conséquence de débiliter la dimension tragique. Car sans crédibilité, point de profondeur. Peut-on ajouter foi au comportement de ces chevaux gravissant une pente sévère avec une incroyable fougue après une longue randonnée ? L'abus, jusqu'au mickeymousing, de la musique auxiliaire est un aveu d'impuissance. Si les images combinées au son étaient suffisamment fortes par elles-mêmes, la musique illustrative serait parfaitement superflue. Même le piment de burlesque qui, on le sait, est propice au véritable tragique est mal dosé : Mose apparaît comme le bouffon de service, à court d'inspiration.
   L'éloge de la "maîtrise technique" de Ford, comme de son utilisation des plus beaux décors naturels, souvent invoqués par ses sectateurs est un autre aveu, qui détourne de la véritable question, à savoir, celle de l'art. 21/07/06
liste titres