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Ivan FILA
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Le Roi des voleurs (König der Diebe) All./Slovaq. VO 2004 105' ; R., Sc. I. Fila ; Ph. Vladimir Smutny ; M. Michael Kocáb ; Pr. Rudolf Biermann, Helga Bähr, I. Fila ; Int. Yasha Kultiasov (Barbu), Lazar Ristovski (Caruso), Oktav Özdemir (Marcel), Julia Khanverdieva (Mimma), Katharina Thalbach (Julie). 

   Dans un misérable village d'Ukraine, le petit Barbu, jongleur de dix ans et Mimma, contorsionniste, treize ans, sa sœur par adoption, sont vendus à "Caruso", un malfrat qui écume la campagne dans une Jaguar blanche pour acheter des petits voleurs sous prétexte de les engager dans son cirque de Berlin. Il prédit à Barbu un avenir de roi du cirque. Après avoir échappé à la police des frontières entre Ukraine et Slovaquie, le garçonnet retrouve Caruso qui le cache dans le train de Berlin, tandis que refoulée, Mimma sera récupérée en corrompant un fonctionnaire, par celui qui la perdra aux cartes au profit d'un tenancier de bordel berlinois.
   Le chapiteau minable de Caruso sert de couverture à une troupe de jeunes voleurs traités en esclaves moyennant le fouet et entraînés au vol à la tire sur scooter. Mais Barbu a un régime de faveur d'enfant adoptif, surtout qu'il a gagné l'affection de Julie, la compagne et ex-partenaire de Caruso, infirme et droguée à la suite d'un accident de trapèze.
   Il se lie d'amitié avec son coéquipier, un Albanais appelé Marcel, qui l'incite à prélever une part du butin. Le jeu est découvert et Marcel embarqué pour une destination inconnue sera retrouvé assassiné. Avant de partir, il a laissé au petit Ukrainien son pistolet et un magot à l'intention de sa sœur prostituée Bianca. Cette dernière se trouve savoir où se tient Mimma. Barbu tente en vain de la délivrer du bordel arme au poing et même pour la racheter, pique la caisse de Caruso. Fou de rage, celui-ci administre le fouet. Mais Julie entre en scène. Elle tire sur la main droite de Caruso puis pour délivrer Mimma fait un massacre au bordel comme Travis dans
Taxi Driver. L'ayant suivie après avoir renvoyé tout son "personnel" Caruso l'abat à la sortie. Mimma et Barbu prennent la fuite. Caruso se suicide en détruisant son cirque par le feu. Les deux enfants rejoignent en train leur village natal.

   Ce film se voudrait à la fois un témoignage sensible de l'exploitation de la misère des enfants de l'Est par des malfrats de l'Ouest, et un pittoresque récit initiatique à dénouement heureux. Pour autant que ces deux orientations sont compatibles entre elles, il est trop démonstratif, c'est-à-dire appliqué à mettre en valeur ses propres performances avec une caméra agitée qui, ne sachant pas trop comment faire, se perche sur l'épaule et se contente de suivre l'action de près en s'attardant sur le plus significatif.
   Cela traduit une absence d'imagination cherchant à se compenser par le plagiat : l'ombre de Kusturica plane, assaisonnée de réminiscences d'Ulrich Edel (
Moi, Christiane F, droguée, prostituée) ou de King Vidor dans Gilda (Caruso surveille toujours d'un poste surélevé à travers d'étroites vitres munies des jalousies). La scène de délivrance de la prostituée est certes une citation de Scorsese, mais n'ajoutant rien à la cause, elle tourne au clin d'œil racoleur.
   Trop de séduction adultère donc le tragique fondamental : Barbu et son minois ; le personnage haut en couleur de Caruso au rire homérique écoutant du Caruso historique sur un gramophone à pavillon (encore Kusturica) ; Julie, l'infirme au c
œur d'or, alcoolique et droguée, donnant dans le grotesque pathétique et dont l'histoire rétrospective de l'accident est grossièrement différée par des images partielles surexposées jusqu'à la révélation finale ; le frisson de la maltraitance enfantine ; la chronique du Berlin des filles ; les bons sentiments (le magot remis à Bianca) ; de beaux paysages ukrainiens et slovaques où court au soleil levant le charmant garçonnet d'emblée héros immunisé contre le mauvais sort, si bien que les dés se trouve toujours-déjà pipés. 
À supposer que la conscience du spectateur ne soit pas déjà découragée par le lyrisme frelaté des effusions de l'exploiteur et de son esclave préféré ou par les effets de déréalisation : abus du téléobjectif, raccords désinvoltes au mépris du vrai, caricatures d'individus patibulaires (le vilain maquereau, le cruel dompteur de scootéristes) ou encore, scènes de transition au piano auxiliaire, trompeusement sobre par égrenage minimaliste se substituant au son diégétique.
   La musique renchérit du reste assez habilement sur le principe de la compassion morose à la mémoire de l'enfance martyrisée. Mais ce n'est pas le pire.
   Car au fond, le véritable ressort dramatique travaillant en sous-main est la vengeance, incarnée par Julie. Celle-ci est explicitement présente à tous les abus de Caruso, qui s'accumulent en s'aggravant jusqu'à faire péter la soupape. En toute logique causale, elle devait donc tuer Caruso. Mais il fallait qu'elle mourût de la main de son homme pour accomplir son pathétique destin, qu'il survécût pour assurer l'apothéose sacrificielle. Ce qu'on appelle gros sabots. Travail forcené de la causalité, alors que le cinéma est un art de l'effet pur, désancré.
   Au total, vrai brouillon bâfrant à tous les râteliers, exemple type de la duplicité du cinéma d'auteur
(1). 20/06/05 
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