CINÉMATOGRAPHE 

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Rainer Werner FASSBINDER
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Martha RFA VO couleur 1973 ; R., Sc. R.W. Fassbinder ; Ph. Michael Balhaus ; Déc. Kurt Raab ; M. documents d'archives ; Pr. W.D.R. ; Int. Margit Carstensen (Martha), Karlheinz Böhm (Helmut Salomon), Gisela Fackeldey (la mère), Adrien Hoven (le père), Ingrid Caven (Ilse), Barbara Valentin (Marianne).

   Le père de la vierge trentenaire
Martha Heyer meurt à Rome dans les bras de sa fille tout en la repoussant. Peu après la caméra fait une ronde vertigineuse autour d'elle et d'un inconnu croisé dans la cour de l'ambassade d'Allemagne. L'orpheline rapatrie par fer le cercueil en Allemagne. Son patron dont elle décline la demande en mariage se rabat aussitôt sur une collègue. Dans son entourage il n'est question que de mariages mais toutes ces heureuses fiancées sont sous calmant. Au beau milieu des épousailles de son amie Ilse avec le Dr Salomon, débarque l'inconnu de Rome, qui s'avère être le frère du marié.
   Il fait à Maria la cour avec brutalité, puis l'épouse. Elle est prête à tout donner à son mari, qui la confine dans une lugubre villa de style victorien et s'emploie à anéantir son passé, sa culture et jusqu'à son identité. À bout de nerfs, elle appelle à l'aide un ancien collègue, mais terrifiée de se croire poursuivie, provoque un accident de voiture qui tue l'homme et la paralyse à vie. Le dernier plan la voit sur un fauteuil roulant poussé par l'époux dans l'ascenseur dont la porte en coulissant ferme le film.

   Tout tourne autour de la soumission de l'épouse, corroborée par une vision amère du mariage en général. Le personnage de Martha est prédestiné, à considérer le rapport masochiste au père et le milieu étouffant de grande bourgeoisie où elle a grandi. Ce que semble marquer, dans des plans qui durent, sa démarche entravée par des jupes étroites.
   Surtout, le cauchemar où elle se débat est terrible d'autant qu'il se déroule dans le monde quotidien de l'état de veille (c'est bien pire que
Répulsion, et de toute façon la représentation (1) de l'horreur sera toujours inférieure à sa suggestion). Mais il ne faut pas s'y fier : le comportement calme et souriant d'Helmut s'impose comme inquiétante antithèse, et son action destructrice se développe avec la rigueur d'une démonstration mathématique.
   Des motifs fantastiques infiltrent plus ou moins secrètement l'image : un manège filmé à la grue à la suite de la demande en mariage fait tournoyer des silhouettes noires fantasmagoriques ; de grosses araignées s'inscrivent en filigrane dans l'entrelacs des fers forgés de l'entrée de la villa, des masques mortuaires au murs s'associent à Helmut ; durant le dialogue se déroulant derrière le pare-brise, la prise d'air de capot de la voiture au premier plan est un mufle menaçant que les lumières de la route nocturne balayent par intermittence, soulignant - à l'instar des modulations du moteur et des variations du rythme des essuie-glaces - le sentiment de doute relatif à Helmut.
   Dès le départ avec, en plan très serré, ce cercueil à la gare paraissant glisser comme le train qu'on entend démarrer hors-champ, le thème de la mort participe de la machine infernale qui va broyer Martha. Le régime filmique est assez semblable au comportement implacable de Helmut, mais avec un détachement à la fois didactique et ironique des images (par exemple plan fixe d'un groupe immobilisé) et des paroles. Ironie que renforce la parodie du film d'horreur : cri de terreur de Martha dont les yeux exorbités fixent le hors champ, mais le contrechamp ne montre rien d'autre que le placide Helmut.
   Ce n'est qu'un des effets de la liberté d'un tournage où règne l'improvisation. Genre de liberté bien particulière à Fassbinder, qui a toujours l'air de se foutre du monde pour que la quête d'amour qui est au fond de toute son œuvre ne doive rien aux certitudes les mieux ancrées. 11/11/00 
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