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David Wark GRIFFITH
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Les Deux orphelines (Orphan of the Storm) USA Muet N&B 1921 (version restaurée 2001) 150' ; R., Sc. D.W. Griffith (dit Gaston de Tolignac), d'après le roman de Cormon et Dennery ; Ph. Hendrik Sartov, Paul Allen, Billy Bitzer ; M. John Lanchberry ; Pr. Griffith Inc. ; Int. Lillian Gish (Henriette Girard), Dorothy Gish (Louise Girard), Joseph Schildkraut (le chevalier de Vaudrey), Frank Losee (le comte de Linières), Katherine Emmett (la comtesse de Linières), Lucille LaVerne (mère Frochard), Morgan Wallace (le marquis de Praille), Monte Blue (Danton), Sidney Herbert (Robespierre).

   Gentil mélodrame bourré de propagande yankee à la faveur d'une touchante figure de l'amour contrarié dans le prodigieux contexte épique de la Révolution française. 

   Vers 1770, Henriette et Louise, deux nourrissons abandonnés dans la neige hivernale, sont adoptées par le brave Girard. Les parents adoptifs étant emportés par la peste qui laissa Louise aveugle, les "sœurs", liées par une affection profonde et le dévouement de la valide à l'infirme, décident de tenter une intervention chirurgicale à Paris. Mais pour convaincre Louise, qu'effraye l'idée de sa sœur exposée aux rencontres, Henriette a dû promettre de n'épouser quiconque dont le visage lui soit inconnu.
   En chemin elles rencontrent le marquis de Praille, grand seigneur libertin qui, frappé de sa beauté fait enlever Henriette pour servir à ses plaisirs lors d'une orgie organisée en son palais. L'aveugle perdue dans Paris est séquestrée par la mère Frochard, horrible mégère qui la force à chanter pour mendier.
   Louise est en réalité la fille de la comtesse de Linières, jadis contrainte par sa famille à abandonner son enfant, puis remariée après veuvage avec le comte de Linières, préfet de police de Paris exécrant la roture. En revanche, le chevalier de Vaudrey, son neveu favorable au peuple, secourt avec amour les malheureux. Se trouvant précisément à la soirée de Praille, il sauve courageusement Henriette et l'installe dans un meublé, ce qui n'est guère propice au détournement des flèches de Cupidon. Henriette tolère de chastes baisers sans oublier son serment, et elle n'aura de cesse d'avoir retrouvé sa sœur chérie. Le chevalier amoureux refuse un parti avantageux arrangé par le roi, mais pour empêcher l'alliance infamante, l'oncle le fait emprisonner.
   Entre-temps la comtesse ayant rencontré Henriette avec la Frochard, s'est sentie attirée par cette mendiante aveugle sans pouvoir reconnaître sa propre fille. Puis la révolution éclatant, Vaudrey s'évade de sa geôle provinciale pour rejoindre sa Bergère. Reconnu aux portes de Paris par un commissaire du peuple, ancien valet vouant une haine féroce à la famille, il est filé puis arrêté avec Henriette au moment où les chastes baisers interrompus par la prison se redonnaient carrière. Ils sont traduits devant un tribunal présidé par le commissaire du peuple, lui comme aristocrate, elle pour l'avoir caché. Présent au procès, Robespierre reconnaît Henriette qu'il croit être la maîtresse de Danton pour les avoir surpris un jour dans son meublé où elle l'abritait seulement contre de belliqueux royalistes. Choqué dans son puritanisme maniaque, Robespierre appuie une condamnation à mort acclamée par le peuple des tribunes où se trouve être Louise flanquée du bon fils Frochard qui l'a délivrée. Les amoureux sont conduits à la guillotine dans un char suivi par Louise et son compagnon.
   Mais Danton survenant au tribunal convainc de l'innocence des condamnés ce peuple assoiffé de sang. Muni de la dispense de guillotine, il conduit au galop une troupe de fidèles cavaliers vers le lieu du supplice. Henriette passée la première est encore intacte sous le couperet suspendu par une avarie mécanique. Les sauveurs arrivant ventre à terre sont arrêtés par une porte intentionnellement fermée, qui finit par s'ouvrir pour que le contrordre tombe juste avant le dégrippage mécanique. La Révolution est soudain terminée. Tout le monde s'aime. Louise, dont la guérison médicale libère sa sœur, retrouve sa mère dont l'époux adouci consent au mariage.  

   L'intérêt du récit repose à la fois sur le manichéisme historique opposant un bon Danton, identifié à Jefferson dont il est comme l'incarnation, à un mauvais Robespierre implicitement qualifié de bolchévique avec le peuple stupide et moutonnier, et sur le principe de la dilation narrative : à chaque fois que les deux orphelines sont sur le point de se retrouver, un empêchement survient qui relance en même temps l'intrigue dont la bienveillance fondamentale ne laisse jamais le tragique l'emporter.
   Ces naïvetés à l'intention du bon public n'empêchent pas le souffle se jouant entre l'ensemble épique et le pathétique détail. La complexité de l'ensemble dynamique reste toujours lisible par le souci d'un système interne de repères : une configuration ou un détail caractéristique venant maintenir l'identité dans la diversité mouvante qui se répercute dans un montage énergique. Par les plans rapprochés alternant avec ceux d'ensemble, la fièvre collective dialogue avec l'émotion de visages éclairés avec amour. Le physique de poupée fragile aux grands yeux pleins de larmes, ballottée dans la tourmente de Lillian Gish (ce que ne traduit pas le titre français) est à la mesure d'un romanesque mélodramatique de bon aloi, qui dut voir papilloter des générations de mouchoirs dans l'obscurité des salles. 5/10/02 
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