CINÉMATOGRAPHE 

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Rainer Werner FASSBINDER
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La Troisième génération (Die dritte Generation) RFA VO couleur 1979 106' ; R., Sc., Ph. R.W. Fassbinder ; M. Peer Raben ; Mont. Juliane Lorenz ; Pr. Tango-Film/Pro-jet Filmproduktion im Filmverlag der Autoren ; Int. Volker Spengler (August Brem), Bulle Ogier (Hilde Krieger), Hanna Schygula (Susanne Gast), Margrit Carstensen (Petra Vielhaber), Harry Baer (Rudolf Mann), Vitus Zplichal (Bernhard von Stein), Günter Kaufmann (Franz Walsch), Eddie Constantine (Peter Lurz), Paul Gimenez (Paul), Y Sa lo (Ilse Neumann), Hark Bohm (Gerhard Gast, le commissaire), Lilo Pempeil (son épouse), Claus Holm (grand-père Gast), Jürgen Draeger (Hans Vielhaber). 

   Le commissaire Gast enquête sur une cellule terroriste à laquelle appartiennent son fils Edgar ainsi que sa belle-fille et maîtresse Suzanne. Il est chargé de protéger Peter Lurz, le patron d'une entreprise d'informatique chez qui travaille Suzanne. La cellule, dont le chef Auguste renseigne la police, se réunit dans l'appartement de Rudolf, qui héberge la toxicomane Ilse. Débarquent Franz, l'amant de celle-ci récemment démobilisé, en compagnie de Bernhard von Stein, gauchiste demeuré mais grand lecteur, puis Paul le tireur d'élite, qui résidera par prudence chez la camarade Hilde, dont il fait brutalement sa maîtresse. S'y ajoute Petra Vielhaber, l'épouse d'un directeur de banque, qu'elle plaque.
   Sur les indications d'Auguste, Paul est abattu par la police. Ilse meurt d'une overdose. Franz est inconsolable. On lui demande de tirer parti de ses connaissances militaires pour fabriquer une bombe, que Petra est chargée de poser à l'hôtel de ville de Schöneberg. Toujours grâce à Auguste, Franz venu se recueillir sur la tombe d'Ilse est mitraillé par la police, n'ayant pas tenu compte des avertissements de Bernhard, qui a surpris une tractation entre Lurz et le traître, lequel fait aussi abattre Petra à qui il vient lui-même de remettre la bombe à l'hôtel de ville. Le commissaire exécute Bernhard qui en sait trop en le précipitant du haut d'une cage d'escalier. Le reste de la bande dévalise la banque dont le directeur est tué par sa propre épouse puis, déguisé le jour du Mardi-gras, enlève Lurz en vue d'une rançon. Celui-ci, qui a payé Auguste pour organiser cette mascarade et contrôle la situation depuis le tout début, se prête ironiquement à l'opération.

   Formée de six épisodes séparés par des graffitis obscènes ou racistes relevés dans les WC publics, c'est une satire de la troisième génération des terroristes révolutionnaires (depuis la révolution de 1848) en tant qu'elle est davantage animée par des pulsions que par une conscience politique, et surtout manipulée par le Capital. On se souvient des événements de 1977 liés à la Faction Armée Rouge, dont l'enlèvement du chef du patronat Hans Martin Schleier, exécuté à la suite du suicide, considéré comme suspect, des détenus politiques Baader, Ensslin et Raspe.
   Le mal c'est surtout l'ignorance et les fausses cultures (les graffitis) dont témoigne la cellule, qui vit dans un espace cacophonique dominé par les voix des ondes : il y a un fond permanent de couches sonores superposées, figure de la dispersion d'esprit, auquel correspond le surcadrage enfermant les personnages dans un cadre quelconque du contexte, ou bien le cadrage à la Citizen Kane (déjà connu au moins depuis Griffith) dans la superposition de profondeurs hétérogènes, exprimant parfois la violence la plus extrême, qui n'est pas physique. Un gros plan du visage de Franz pleurant Ilse inclut à l'avant plan un combiné téléphonique blanc sur lequel la main noire gantée de Hilde forme le numéro de Petra afin d'organiser avec elle l'évacuation du corps. Dès lors, Franz, dont les cheveux blanchissent, ne se déplacera plus qu'appuyé sur une canne blanche.
   Ceci plaçant au premier plan la contradiction qui est au fond de la condition humaine, pourtant fatale à toute praxis si elle n'est surmontée grâce à une méthode critique. L'indic infiltré est le chef de la cellule. Hilde s'attache à Paul malgré le viol. Le commissaire, si malin mais dont l'épouse est folle (pas si folle pourtant, à dévoiler à Bernhard par énigme l'adresse de son fils recherché par son mari), a un fils terroriste et couche avec sa belle-fille tout aussi terroriste. Petra assassine son mari après avoir dévalisé la banque qu'il dirigeait. Le doux Franz bricole une bombe. L'aristocrate et idiot Bernhard von Stein lit Bakounine. Le commissaire tue ce dernier de ses mains alors qu'il ne fait pas partie de la bande. Le terroriste Rudolf fait montre de sentiments de compassion en hébergeant la toxicomane Ilse, puis Franz et Bernhard. Lurz aime Tarkovski, ce qui est incompatible avec l'homme d'affaires et le grand manipulateur.
   Bien que ce ne soit plus contradictoire si l'on décèle une autre logique, pernicieuse, celle qui est la base du mal véritable à combattre. Que la femme aime son violeur révèle son aliénation. Qu'un idiot lise Bakounine, il ne sera pas le premier ni le dernier. Que Franz devienne terroriste s'explique, outre la mort d'Ilse, par le marché du travail qui exclut le droit au travail. Que l'indic soit le chef de la cellule est exemplaire de l'efficacité de la collusion, sanctifiée par l'État, du Capital et de la Police. La vraie connaissance est aux mains des puissances de l'argent, que Lurz sort par poignées de ses poches. Y compris la forme la plus élevée de connaissance. Ce qui est significatif n'est pas en soi que Lurz aime Tarkovski. C'est que le commissaire, lui, a vu un film de Tarkovski, auquel certes il n'a rien compris, tandis que les terroristes ont d'autres chats à fouetter. À la hiérarchie économique correspond une hiérarchie de l'esprit : capital, police, terroristes, qui ne laisse aucune chance à ces derniers.
   La thèse est donc parfaitement claire, trop sans doute, l'art étant réfractaire à toute doctrine articulée. Il y a toute une dimension didactique, y compris des considérations sur le cinéma, qui ne laisse d'espace au jeu intense de l'image et du son que d'ordre décoratif. La caricature par l'éclairage, le maquillage et l'angle, aussi bien que par le refus de la vraisemblance quand, par exemple, Hilde passant furtivement au premier plan dans le couloir se baisse sous le bord inférieur du cadre censé être invisible au flic dans le bureau à l'arrière plan, tout cela reste d'une joyeuse fantaisie prenant, au-delà du propos, valeur par soi et pour soi. La dernière séquence d'enlèvement carnavalesque, de même voudrait, vainement par le costume ad hoc en rajouter sur le rôle pitoyable des terroristes. Même le raccord par anticipation de la bande-son présente un intérêt strictement économique.
   On peut donc regretter une certaine dissociation du filmique et de l'éthique, obligeant à des efforts de décryptage qui nuisent à l'approche émotionnelle propre à l'art. 10/07/09 
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