CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Yilmaz GÜNEY et Şerif GÖREN
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Yol, la permission (Yol) Tur.-Fr.-Sui.-All. VO 1982 109’ ; R. Yılmaz Güney et Şerif Gören ; Sc. Yılmaz Güney ; Mont. Yılmaz Güney et Elizabeth Waelchli ; M. Sebastian Argol et Kendal ; Pr. Yılmaz Güney pour Güney Film (Turquie) ; Edi Hubschmid pour Cactus Film, Schweizer Fernsehen DRS (Suisse) ; Maran Film (Allemagne) ; Films A2 (France) ; Int. Tarık Akan (Şeyit Ali), Şerif Sezer (Zine), Halil Ergün  (Mehmet Salih), Meral Orhonsay (Emine), Hikmet Çelik (Mevlüt), Necmetti Çobanoğlu (Ömer), Semra Uçar (Gülbahar), Şerif Sezer (Ziné), Engin Çelik (Mirza), Tuncay Akça (Yusuf), Sevda Aktolga (Meral). 

   Dans un centre insulaire turc de détention on apprend que les militaires ont pris le pouvoir. Le régime se durcit. Tout le monde attend le retour des permissions, suspendues jusqu’à nouvel ordre. Quand elles arrivent enfin, on suit en alternance cinq permissionnaires pressés de renouer avec leur famille. La semaine allouée est déjà bien entamée par les longs voyages, route et fer, aux quatre coins de pays, de plus entrecoupés de nombreux contrôles militaires.
   Yusuf, qui a perdu ses papiers ne rejoindra pas son épouse, à laquelle il apportait un canari en cage (!). Les militaires le retiennent jusqu’à ce qu’il soit officiellement identifié. Seul dans une cellule, il ne lui reste qu’à contempler tristement la photo de son mariage.
   Mevlüt rejoint la famille de sa fiancée Meral. Mais ils ne peuvent se voir seuls. Exaspéré par la présence constante à leurs côté de deux chaperons voilés, il finit au bordel.
   Seyit Ali apprend que sa femme Ziné s’est prostituée. La famille attend de lui qu’il lave le déshonneur. Elle est avec leur fils Mirza dans la montagne chez un vieil oncle. Seyit s’y rend à travers un col glacé où son cheval meurt d’épuisement et de froid. Ziné est enchaînée dans une cave depuis huit mois, au pain et à l’eau. On presse le mari bafoué d’accomplir le châtiment. Décidant que Dieu y pourvoira, il ramène sa femme et son fils par la montagne hivernale. Sous-équipée contrairement aux hommes, malade, les pieds gelés, Ziné est dans l'impossibilité de faire un pas de plus. À la demande de Mirza, Seyit la porte sur son dos où elle expire. Dans le train du retour le chagrin du veuf éclate.
   Ömer habite au Kurdistan dont il retrouve avec émotion le paysage de plateau herbu. Mais le village est cerné par l’armée. Son frère est abattu. Devenu selon la loi l’époux de la veuve de son frère, il devra renoncer à Gülbahar, la jeune bergère de son cœur. Il décide de s’enfuir en Syrie.
   Mehmet Sali est rejeté par sa belle-famille pour avoir, lors d’un cambriolage qui a mal tourné, abandonné son beau-frère, mort sous les balles policières. Mais Emine, sa femme, en réalité concubine, s’enfuit avec leurs deux enfants pour le rejoindre. Dans le train ils s’isolent dans les toilettes pour faire l’amour. Repérés ils essuient la colère des voyageurs. Le contrôleur les enferme dans un compartiment grillagé avec leurs enfants, pour les protéger de la vindicte populaire autant que pour les livrer à la police. Mais le frère d’Emine monté dans le train à la station suivante les abat tous les deux.
   
   Il s’agit donc d’un témoignage sur les conditions d’existence dans la Turquie sous pouvoir militaire depuis le coup d’état du 17 septembre 1980. De cette sombre peinture résulte le paradoxe qu’il n’y a pas de réelle opposition entre l’intérieur et l’extérieur de la prison, voire que la vie est peut-être plus douce en ce lieu de détention privilégié réservé à ceux qui ont déjà effectué une bonne partie de leur peine. Non seulement à cause de l’armée mais aussi des farouches mœurs patriarcales qui sévissent en tous lieux.
   Sur l’indication de Güney alors détenu politique dans son pays, le film est tourné par son assistant Şerif Gören. Mais l’auteur s’évade puis rejoint la France et la Suisse où il pourra effectuer le montage. Palme d’or à Cannes en 1982. Son principal mérite semble, au-delà de l’honnêteté du témoignage, voire de la valeur documentaire, la cause implicitement défendue : celle des Droits de l’Homme au sens très large, du droit à la liberté nécessaire à l’épanouissement humain. Le réquisitoire qui en découle implicitement vise donc autant l’oppression politique que sociale et morale.
   La valeur proprement cinématographique reste néanmoins inégale. Soumis à la condition du récit à plusieurs brins simultanés, le montage parallèle est forcément mécanique. Un peu trop systématique, le jeu des recadrages par surenchère au moyen des grosseurs croissantes jusqu’au très gros plan est lui au service de la psychologie. C’est le sentiment suggéré des personnages qui invite le spectateur à l’identification indignée.
   Il est même fait appel aux visages et aux larmes des enfants et/ou au pathos musical. Lorsque l’armée encercle la maison kurde, les fusils mitrailleurs prolongeant l’objectif à l’avant-plan, braqués sur la porte face-caméra, alternent avec des recadrages de grosseur croissante d’une jeune femme berçant dans ses bras un enfant qui braille. Finalement les hommes sont arrêtés et emmenés. La femme au bébé suit à distance le groupe qui disparaît à l'angle de la dernière maison accompagné d'un chant féminin déchirant. Plus généralement, le spectateur cannois dut être d'emblée séduit par le pittoresque instrumental du saz ou du ney et du doudouk, nonobstant le fait que ce film courageux méritait vraiment la palme.
   Maints autres clichés cependant alourdissent le propos comme l'envol des mouettes symbolisant la liberté, en alternance avec le lieu de détention, les plans de chevauchée dans la plaine kurde évoquant pour Ömer le passé heureux, sans entraves, ou encore, le hurlement des loups dans la montagne enneigée sous la pleine lune.
   Le montage-son est souvent plus imaginatif, plus souple et plus économique que le montage image. L’intérêt dramatique d’une scène par exemple est accru par le déroulement simultané d’événements quelconques hors champ, sans rapport avec la scène.
   Le filmage pourtant recèle des ressources qui peuvent se trouver des voies d’accomplissement. Les plus beaux moments sont dans l’épisode final de Seyit. Les rapports avec son fils Mirza sont empreints d’émotion juste, avec une sobriété exemplaire. Le calvaire dans la neige comprend des moments intensément poétiques, qui se passent de musique auxiliaire, lorsque le montage et le cadrage jouent de la surface immaculée plein cadre, dans des plans très larges, sans repères, ou si peu, qui, pervertissant les lois d’organisation et d’équilibre de l’espace naturel, concentrent toute la charge émotionnelle sur le drame humain.
   Au total, le dessein politique l’emporte sur la poésie en ce que le spectateur reste tributaire d'une batterie d’effets d’ordre pathétique ou rhétorique, au lieu, comme il serait souhaitable s'agissant d'art, d’être confronté à des énigmes questionnantes. 19/11/2009
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