CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

sommaire contact auteur titre année nationalité




David Wark GRIFFITH
liste auteurs

The Girl and Her Trust USA Muet N&B 1912 15' ; R. D. W. Griffith ; Pr. Biograph Compagny Production ; Int. Dorothy Bernard (Grace), Wilfred Lucas (Jack), Alfred Paget, Charles Gorman, Charles West, Charles H. Mailes. 

   Fort convoitée, la jeune télégraphiste des chemins de fer
Grace sait remettre à leur place les hommes du personnel. Pourtant, quand Jack, l'agent de Railroad Express, lui vole un baiser, de se rebiffer n'empêche le trouble. Il lui confie la clé d'un coffre contenant deux mille dollars, déchargé du train et entreposé dans la pièce attenante au bureau.
   Deux vagabonds descendus du même convoi s'y glissent. Se cloîtrant dans son bureau elle a juste le temps d'envoyer un message télégraphique avant que les voleurs ne sectionnent le câble. Ceux-ci traînent le coffre qu'ils chargent sur une draisine. Courageusement elle quitte son abri et saute sur le wagonnet où elle est assommée par l'un des malfaiteurs occupé maintenant avec son complice à manœuvrer le double levier qui meut l'engin. Mais informé par le message, et témoin du départ de la draisine, Jack se lance à la poursuite du trio au moyen d'une locomotive réquisitionnée. Les voleurs sont abattus. Grace et son sauveur s'assoient sur le bâti avant de la locomotive. Il offre son casse-croûte en partage. Elle le remercie par un vrai baiser sur la bouche tandis que la machine repart à reculons jusqu'à disparaître au loin dans le fondu au noir de clôture. 

   Contraint par la Biograph Compagny Production au court-métrage, Griffith, non seulement s'accommode parfaitement d'un format dont il ne rêve que de s'émanciper, mais de plus y déploie généreusement son merveilleux talent artistique. Celui-ci consiste d'abord en une direction d'acteurs visant à l'émotion dans la sobriété, par le travail de micro-expression du corps et du visage.
   C'est par un imperceptible vacillement de l'
œil que se manifeste le trouble amoureux de l'héroïne au sein de la colère indignée. Le moindre mouvement du petit doigt grattouillant la peau du bras est un symptôme de catastrophe émotionnelle. Tout est finesse. Grace n'a pas besoin de se retourner pour savoir qu'on l'observe à travers la fenêtre derrière elle. L'angoisse montant se matérialise dans la tension du corps et l'expression du visage. Quel contraste avec les grimaces de l'époque !
   De surcroît, le spectateur ignore, dans la scène du baiser volé, que sa sensation est à son insu suggérée par
le battement, écho des cœurs, d'un balancier d'horloge en amorce au bord supérieur du cadre ! Le symbolique(1), c'est-à-dire la figure latente qui nourrit la profondeur du film, cet éminent principe de liberté artistique présent chez tous les grands est déjà-là !
   Il y a ensuite bien sûr le montage parallèle exigé par le thème même de la poursuite, à la fois économie dans la durée et moyen de concentration de l'émotion. Un plan de l'arrivée du train aux deux mille dollars est inséré déjà dans la séquence du baiser volé. La poursuite fait alterner la locomotive et la draisine, cette dernière avec des variations de grosseur témoignant en même temps de l'état du conflit entre les fugitifs et leur prisonnière, sans qu'il soit besoin de gros plans. Un véritable gros plan cependant montre le détail de la balle que Grace introduit dans la serrure pour, en la faisant éclater par percussion du culot à l'aide d'un marteau et de ciseaux, faire croire qu'elle est armée.
   Jamais appliquée comme recette toute faite mais inspirée par une nécessité intérieure, la technique fait toujours montre de créativité. Le plan de détail en question est en même temps comme une plongée dans la dynamique de l'esprit de la fille. De même pour le mouvement : celui du train est plus expressif d'être brutalement entrecoupé d'objets immobiles, arbres ou piliers, interposés entre le véhicule et la caméra en marche.
   Les raccords de montage donnent préférence à l'expressivité sur la vraisemblance. Le chef d'équipe venu de l'extérieur pénètrant dans le bureau, le raccord de l'intérieur à l'extérieur est en axe inverse, ce qui dramatise le rapport intérieur/extérieur par où le danger va surgir. Que dire enfin de la chute, commentant si intensément à la fois le présent et le futur : la naissance d'un amour et toute une vie de bonheur. Images.
   Alors qu'on pouvait se croire encore à l'aube du cinéma, on se trouve déjà dans sa maturité. 01/04/04 
Retour titres