CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

sommaire contact auteur titre année nationalité




Jean GRÉMILLON
liste auteurs

La Petite Lise Fr. N&B 1930 84' ; R. J. Grémillon ; Sc., Dial. Charles Spaak ; Ph. Jean Bachelet ; Son Antoine Archambaud ; Déc. Guy de Gastyne ; M. Roland Manuel ; Pr. Pathé-Natan ; Int. Nadia Sibirskaïa (Lise Berthier) ; Pierre Alcover (Berthier), Julien Bertheau (André), Alexandre Mihalesco (l'usurier).  

   
  Berthier est condamné au bagne pour le meurtre par jalousie de sa femme. Gracié pour bonne conduite, il retrouve à Paris sa fille Lise, qui fréquente André par amour et se dit dactylo. Il lui fait cadeau d'une montre gravée à ses initiales. Le père, engagé par son ancien patron, est rassuré sur l'apparence de stabilité de la situation de sa fille. Mais finira par découvrir qu'elle est entretenue par un homme d'âge mûr. Cependant André, employé dans un bal, a besoin de trois-mille francs pour ouvrir un garage avec logis où s'installer avec Lise et la libérer de son "bienfaiteur". Il propose à celle-ci de gager la montre. L'usurier n'offrant que trente francs, André exige, sous la menace d'un revolver - non chargé, un prêt de trois mille. L'usurier le désarme et tente de l'étrangler. Lise pensant l'assommer le tue avec un vase. Avec le reçu de l'usurier échappé du sac de sa fille, le père découvre le meurtre en allant récupérer la montre. Pire, survient le protecteur, dont c'est le jour. Croyant qu'André est à la charge de Lise elle-même entretenue, Berthier en fureur fonce au bal, où on ne le laisse pas entrer. À son retour, Lise lui explique qu'André l'a sauvée de son état d'abandon. Le sauveur paraît. Comme il est prêt à se livrer, Lise avoue qu'elle a tué pour le défendre. L'ancien bagnard va se dénoncer.  

   P
etit budget mais de ceux qui savent en tirer avantage. Le défaut de moyens est compensé par le naturalisme du bagne, de l'atelier de menuiserie (celui où va travailler Berthier, où l'on croit sentir l'odeur de la sciure, reconnaissant l'ancien documentariste en la matière), et par le hors-champ, à propos duquel c'est bonheur que d'avoir dans l'équipe un ingénieur du son inventif. Certes les acteurs du jeune cinéma sonore semblent marcher sur des œufs, mais l'essentiel est dans le jeu global. Soit que la musique soit une étrange rumeur filtrée dramatisante ; on est alors dans le monde intérieur, de la détresse de Lise, qui se lit aussi sur un front marqué aux lacis de l'ombre projetée d'un rideau de dentelles. Soit que la composition des bruits se distribue rythmiquement ; un train s'entend dont ne paraît que la fumée. Quand Berthier débarque chez sa fille la caméra s'arrête comme par pudeur au seuil de sa chambre et les retrouvailles ne sont qu'un concert d'exclamations : "Lise, ma petite Lise ! - Mon Papa !" Par le hors-champ le champ s'inscrit dans le monde. Une conversation entre père et fille dans la chambre s'entend off alors que se succèdent divers plans de la ville, ceux de la circulation ou des chantiers.
 
 Par anticipation sonore se raccordent certaines séquences. 
Lise écoute le tic-tac de sa montre. Bruit de machines. Puis changement de plan, on passe à la menuiserie où se rend son père. Dans sa chambre, Lise réalise qu'André risque d'être malmené par son père, qui se précipite au bal. On entend alors la musique du spectacle de danse qui s'y déroule, et cela sans discontinuer jusqu'à la fin. La musique in est en même temps off, elle a une fonction rhétorique. Ces rythmes sud-américains saluent ironiquement le retour à Cayenne, jusqu'au commissariat où Berthier va se livrer.
   Les ressorts de l'intrigue sont bien dans l'air du temps, paternaliste, c'est sa limite. Le père allant se dénoncer pour protéger sa fille et son bonheur, cela rappelle, notamment, Les Nuits de Chicago (1927) de Sternberg. Père massif que le cadre semble avoir du mal à contenir, l'ajustant entre ses bords, ou le grandissant par l'angle, alors que Lise est rapetissée dans ses bras aux proportions d'une poupée.
 
  C'est par une telle performance qu'on voit de quoi était capable Grémillon. Mais c'est un échec commercial. Ce qui explique sans doute les concessions ultérieures faites au public dans des œuvres filmiquement plus conformistes. 13/12/17 Retour titres