CINÉMATOGRAPHE 

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Bahman GHOBADI
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Un temps pour l'ivresse des chevaux (Zamani barayé masti ashba) Ir. VO 2000 75' ; R., Sc., Pr. B. Ghobadi ; Ph. Saed Nikzat ; M. Hossein Alizadeh ; Int. Ayoub Ahmadi (Ayoub), Madi Ekhtiar-Dini (Madi), Amaneh Ekhtiar-Dini (Amaneh), Nehzad Ekhtiar-Dini (Nezhad).

   Ameneh, fillette d'environ six ans, est interrogée par un adulte situé hors champ. Son père est muletier-contrebandier. Ils habitent un village du Kurdistan Iranien à la frontière de l'Irak. La mère est morte en couches. Elle a deux sœurs, la dernière-née et l'aînée, Rojine, qui leur tient lieu de mère, et deux frères : Ayoub âgé d'une douzaine d'années et Madi, un infirme toujours malade. Pendant qu'elle parle hors champ, elle se trouve avec ses frères à la ville où ils emballent des verres pour gagner de l'argent. Ils sont ramenés en camionnette avec d'autres enfants mais doivent passer la frontière. On saisit sur eux des cahiers d'écolier, produit proscrit, et la camionnette est réquisitionnée. Ils rentrent à pied en courant dans la neige.
   Ayoub transportant Madi est obligé de faire des pauses pour lui administrer ses médicaments. Ils croisent la caravane des muletiers qui a été victime d'un champ de mines. Le cadavre de leur père est attaché sur une mule. C'est en effet la guerre. Les terrains sont piégés, et les passages de la frontière sont l'objet d'embuscades meurtrières. Ayoub devient chef de famille. Il doit abandonner ses études et trouver du travail. Seul possible, le trafic avec l'Irak. Le mulet est nécessaire pour transporter les marchandises mais le leur a sauté avec le père. Son oncle le fait accepter sans l'animal de bât.
   Dans cet aride paysage montagneux, les marchandises sont transportées à dos d'homme mais les commanditaires sont mauvais payeurs. Le médecin informe le frère que Madi doit être opéré d'urgence, et que de toute façon il est incurable. Ayoub décide de gagner la somme nécessaire. Son oncle lui prête sa mule dont il n'a pas provisoirement l'usage, s'étant cassé le bras. Il fait si froid qu'on met de l'alcool dans l'eau des animaux. La caravane tombant sur une embuscade ils doivent rebrousser chemin. L'oncle décide de donner Rojine en mariage en échange de l'intervention chirurgicale sans en informer Ayoub. Rojine rejoint sa belle-famille qui se parjure en renvoyant Madi avec un mulet en contrepartie.
   Ayoub décide de passer en Irak avec l'infirme pour le faire opérer après avoir vendu la bête. Il se joint à une caravane qui est prise dans une embuscade. La ration d'alcool étant trop forte (d'où le titre), on ne contrôle plus les mules et c'est la débandade. Ayoub réussit à sauver la sienne en abandonnant le chargement. Son frère sur le dos, le voilà seul en pleine montagne. Déjà indemnes par miracle, ils trouvent par hasard le passage de la frontière.

   Véritable documentaire-fiction, tenant la gageure d'effacer la démarcation entre les deux genres. Où est la fiction quand l'infirme est un véritable infirme, que les enfants semblent vivre leur propre malheur lié à des conditions politiques et économiques si clairement démontrées par des faits bruts ? Le paradoxe est là : si l'aspect documentaire est si convaincant, c'est parce que ce n'est pas vraiment un documentaire.
   Le filmage use certes du style reportage, caméra immergée et bousculée dans la foule urbaine avec la rumeur en direct, le vent de la montagne sifflant dans le micro comme ce serait le cas dans une situation improvisée, etc. Cependant, commentée par un accompagnement musical âpre et plaintif, la file des mulets est cadrée de façon à souligner le parcours en lacet, en laissant les boucles hors-champ. Par ailleurs certaines scènes pathétiques sont filmées en plan lointain, ce qui est beaucoup plus inquiétant que le plan de détail. Dans le même ordre d'idées, l'expression des enfants n'est jamais une grimace supposée à proportion de la douleur vécue, et même le regard reste volontiers impénétrable. Le retournement de la fin clame enfin un espoir, à la mesure de l'amour qu'exprime l'obstination d'Ayoub luttant d'arrache-pied pour offrir un pauvre sursis à son frère.
   Il faut prendre ce film comme un cri humain lancé à la face de l'humanité. La question de l'art du cinéma
(1) est alors déplacée. Ce qui importe est la qualité du témoignage et la force de la sommation. 12/08/04 
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