CINÉMATOGRAPHE 

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Rainer Werner FASSBINDER
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Maman Kusters s'en va au ciel (Mutter Küsters fahrt zum Himmel) RFA VO couleur 1975 95' ; R. R.W. Fassbinder ; Sc. R.W. Fassbinder, Kurt Raab ; M. Peer Raben ; Pr. Tango Film ; Int. Brigitte Mira (Mme Küsters), Ingrid Caven (Corinna Küsters), Karl Heinz Böhm (Karl Tillmann), Margit Carstensen (Mme Tillmann), Gottfried John (Ernst Küsters), Mathias Fuchs (le gauchiste), Kurt Raab (le patron de cabaret).

   L'ouvrier Hermann Küsters se suicide à l'usine après avoir tué le fils du patron. Les journalistes affluent chez la veuve Emma vivant avec son fils Ernst et sa belle-fille enceinte Elena. Ernst se soumet à la volonté de celle-ci pour préférer à l'enterrement ses vacances. Corinna la fille, chanteuse itinérante de cabaret, débarque à l'aéroport et s'acoquine avec Niemeyer, l'auteur d'un article sensationnaliste sur le drame. Le journaliste fait engager sa maîtresse dans une boîte exploitant l'image de la fille du monstre du jour. Bientôt les enfants déménagent. Maman Küsters souffrant de l'abandon physique et moral généralisé se tourne vers un couple de communistes jusqu'à s'inscrire au DKP, le parti communiste allemand. Comme celui-ci ne fait rien pour réhabiliter son mari elle accepte l'aide d'un gauchiste, qui l'entraîne dans la prise d'otages des journalistes, où elle meurt sous les balles policières.

   La force artistique
(1) réside ici dans la déconstruction du consensus des valeurs comme système indivisible, qui traverse toutes les catégories. Ainsi la dimension morale et politique est-elle inséparable de l'esthétique.
   L'excès de dépouillement de l'expression confine à une désinvolture que contredit l'humanité profonde du propos, tout ordonné à l'amour. Dépouillement est ici le contraire de pauvreté, car il s'agit de faire table rase des soubassements axiologiques (relatifs aux valeurs) pour justement libérer le langage de son lestage social, lui restituer sa force de corrosion originaire, celle de l'enfant qui n'a encore rien à perdre à proférer sa demande.
   Ainsi le luxe de la maison des Tillmann n'exprime-t-il pas le luxe à la manière fétichiste d'un Visconti, mais la signification sociale, politique, historique, du luxe comme donnée fonctionnelle d'un univers où éclate la dérision du communisme bourgeois, que ce soit par la mise en valeur des colonnes entre lesquelles viennent s'inscrire les époux Tillmann, ou par les plongées qui rendent les rapports humains impersonnels en accentuant la hauteur de plafond avec étrécissement de la surface habitable.
   Sachant que les figures les plus inattendues, comme ce coin de table sur lequel Elena presse son bas-ventre, sont parfois nécessaires pour briser les automatismes filmiques, ici expression de l'égoïsme forcené.
   Le film cependant ne développe nulle doctrine, pour autant que pointer le caractère constamment contradictoire de la réalité n'en relève point. Emma annonce que Niemeyer lui rendra des comptes un jour et, en effet, il devient la cible d'un groupe anarchiste. Mais ce résultat outrepasse l'intention initiale, voire se trouve être l'aboutissement d'un enchaînement de faits davantage subis qu'agis. Ce qui mène Emma est le besoin de panser ses blessures en réhabilitant Hermann. Mais ce besoin légitime est instrumentalisé par les groupes auxquels elle a affaire. Certes sa conscience s'élargit, mais elle se retrouve toujours aussi seule.
   Cela pose le problème, totalement occulté dans les débats politiques de l'Occident, de la conciliation des intérêts de l'individu avec ceux de la collectivité. En définitive la mort d'Emma était l'aboutissement logique d'un isolement qui ne pouvait trouver aucune issue entre les tendances révolutionnaire et capitaliste dominantes.
   Surcadrée ou filmée derrière une vitre, Emma est prisonnière d'un système qui la dépasse. Mais sachant que la vitalité de l'esprit humain est à même de transformer en gain toute perte, le bilan n'est nullement négatif. Une petite conscience s'est élargie ; une étincelle d'humanité projette une vive lueur d'espoir dans le vain tohu-bohu des grandes causes du moment. 31/01/05 
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