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Arnold FRANCK et Georg Wilhelm PABST
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L'Enfer blanc du Piz Palü (Die weisse Hölle vom Piz Palü) All. Muet N&B 1929 135' ; R. A. Franck et G. W. Pabst ; Sc. A. Franck, Ladislaus Vajda ; Ph. Sepp Allgeier, Richard Angst, Hans Scheeberger ; Mont. A. Franck ; Déc. Ernö Metzger ; P. H. R. Sokal-Film, GmbH, Berlin ; Int. Gustav Diessl (Dr. Johannes Krafft), Leni Riefenstahl (Maria Maioni), Ernst Petersen (Hans Brandt), Ernst Udet (Fleger), Mizzi Götzel (Maria Krafft), Otto Spring (chef des secours). 

   Maria et Hans passent leur nuit de noce au refuge du Diavolezza à 2977m d'altitude. Cependant le D
r Johannes Krafft, taciturne alpiniste ayant récemment perdu sa femme Maria dans un accident de montagne reste la nuit au refuge avant de tenter l'ascension de la face nord inviolée du Piz Palü, parallèlement à une jeune équipe d'étudiants zurichois.
   Maria, qui a donc le même prénom que la défunte, témoigne innocemment au veuf des sentiments
forts. La nuit elle dort entre les deux hommes et quand Krafft se réveille, la tête de la jeune femme repose sur sa main. Le lendemain à l'aube, le solitaire part sans bruit mais il est rejoint par Hans, dont il accepte la compagnie. Maria
les rattrape peu après sur ses skis. Elle déclare qu'incapable de rester seule au refuge, elle désire participer à l'ascension. Après un refus formel, le docteur cède. Il conduit l'équipe, mais Hans exige d'être premier de cordée. Johannes accepte sous la pression de Maria. Peu expérimenté, il se blesse à la tête en dévissant. En le ramenant sur son dos, Krafft se fracture une jambe.
   Les voici bloqués sur une petite plate-forme creusée dans la paroi. Entre-temps, l'expédition concurrente, qui avait pris un raccourci, est décimée au fond d'une crevasse. Il faut attacher Hans qui perd la tête et risque de se jeter dans le vide. Johannes se dépouille pour réchauffer le couple et frictionne les pieds de Maria. Toute la nuit en chemise il fait des signaux jusqu'à épuisement des réserves de la lanterne, et le jour levé, agite sans relâche un fanion improvisé.
   Ayant ramené les cadavres de l'autre cordée, l'équipe de secours les recherche en vain. Au bout de trois jours il sont repérés par un avion. Mais à bout de forces et frigorifié, Johannes rédige un message d'adieu avant d'aller se laisser mourir à l'écart. Les jeunes mariés survivront. 

   À la fois prestigieux et modeste, le film se trouve une voie artistique dans la passion de la montagne. Prestige d'un affrontement réel des conditions les plus dures, tourné avec de vrais alpinistes au savoir-faire
consommé, et un as authentique de l'aviation. Modeste parce que ne cherchant pas à falsifier les faits par l'effet.
   La caméra est au service d'une vérité : celle de la puissance terrible et aveugle de la montagne. Pour la rendre sensible, le montage opère, en parallèle avec l'action, des alternances épiques d'échelle et de lumière du grandiose paysage toujours
changeant. Un espace s'ouvre, aussi incroyable que l'exploit des protagonistes : celui qui par mille yeux rassemble l'épars et égalise émotionnellement ensemble et détail.
   Mais comme si cela n'était pas suffisant, se déploie sur la base d'Éros et Thanatos, une vision fantasmatique de la montagne, à sa mesure. L'"enfer" du titre n'est pas vain, pour autant qu'il s'agisse de celui des Anciens, où erraient les âmes des défunts, avant la distinction introduite par la notion chrétienne de Jugement Dernier. En explorant le gouffre où reposent les membres de la cordée concurrente, les sauveteurs munis de torches paraissent affronter les
flammes de l'enfer.
   Tout commence au refuge, dans le nom duquel se reconnaît la forme italienne de "diable", lorsque Krafft, dont les jeunes mariés sont en train d'évoquer le drame, s'encadre soudain dans la porte comme une apparition accompagnée d'un souffle assez fort pour soulever les cheveux et éteindre les
bougies. Sa ressemblance avec le Golem de Wegener et Boese (1920) dont il a les gestes mécaniques en maniant la lanterne, suggère une vie artificielle pouvant devenir mort d'un simple changement de signe cabalistique. Le docteur a un pied dans l'autre monde, auquel il aspire pour rejoindre sa femme.
   La chute vertigineuse de celle-ci au fond d'un gouffre à la suite d'une avalanche a brisé la croûte glacée d'un torrent, qui s'est ensuite reformée sur elle. Le veuf se représente une Ophélie des montagnes, attendant éternellement son bien-aimé. Après avoir tenté de revivre cet amour avec une version vivante de la morte, qui non seulement lui a témoigné de l'affection mais s'est aussi laissée aller à la complicité au détriment du mari, il comprend qu'il ne peut éliminer son rival, auquel il a du reste sauvé la vie. Il va donc s'employer à rejoindre la défunte en gagnant une anfractuosité où la glace semble déjà l'emprisonner.
   Ce thème de la
paroi de glace qui sépare le monde des morts de celui des vivants comme la vitre d'une fenêtre l'intérieur de l'extérieur (réminiscence notamment des cercueils munis d'une vitre) est récurrent, comme expression de cet enjeu qui sous-tend toute l'action de Johannes Krafft : passer de l'autre côté au nom de l'amour. Il est associé à celui de l'eau exsudant de la glace, qui rappelle le drame, ou à celle qui court sous une surface translucide durcie et dans laquelle baigne le corps ophélien.
   C'est pourquoi, le docteur ne supporte pas
l'égouttement des stalactites de glace. Quand il regarde Maria endormie cependant, c'est derrière une pellicule transparente imaginaire. Elle endosse objectivement le rôle de la morte, à recueillir dans sa main les gouttes d'une stalactite, avant que Hans ne lui expose de force le visage en le maintenant à deux mains comme pour l'encourager à se confondre avec la morte. Hans, qui a bien vu leur contact nocturne involontaire dans le châlit commun, n'est pas sans favoriser en effet le rapprochement de sa femme avec Johannes, comme s'il devait obéir aux injonctions de la montagne, dont la puissance surnaturelle est au principe du film.
   Ce qui importe donc, ce n'est pas la représentation esthétique, mais, sur la base d'un riche fantasme artistique
(1), la polyvalence des éléments langagiers engagés dans un jeu tabulaire. 27/03/05 
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