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Richard FLEISCHER
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Soleil vert (Soylent Green) USA VO Panavision-couleur 1973 97' ; R. R. Fleischer ; Sc. Stanley Greenberg, d'après le roman de Harry Harrisson Make Room ! Make Room ! ; Consultant professeur Frank R. Bowerman, président de l'American Academy of Environmental Engineeers ; Ph. Richard Kline ; M. Fred Myrow ; Pr. MGM ; Int. Charlton Heston (Thorn), Edward G. Robinson (Sol Roth), Leigh Taylor-Young (Shirl), Chuck Connors (Tab Fielding), Joseph Cotten (Simonson), Paula Kelly (Martha), Leonard Stone (Charles), Whit Bissel (Santini), Celia Lovsky (le chef de l'Exchange), Brock Peters (Hatcher, le commissaire).

   En 2022, la biosphère est souffrante, le climat surchauffé, l'eau raréfiée et l'on se nourrit de biscuits à base de plancton, produits par la société Soylent, qui contrôle le ravitaillement de la moitié du globe. À New York, la police doit réprimer les émeutes en cas de rupture de stock. Un jour un nouveau produit fait son apparition, le Soylent vert, distribué le mardi en alternance avec le jaune et l'orange. Le détective Thorn partage un petit deux-pièces avec le vieux Sol Roth, alors que Manhattan compte vingt millions de chômeurs et que des hordes de sans-domicile s'entassent dans les cages d'escalier le soir pour dormir à l'abri des pillards.
   Cependant, un homme riche, Simonson, a été massacré au pied-de-biche dans son luxueux appartement. Thorn est chargé de l'enquête. 
À l'heure du crime, Shirl, la jeune femme louée comme "mobilier" avec les locaux était en courses avec Tab Fielding, le garde du corps, et les détecteurs automatiques étaient exceptionnellement à l'arrêt. En outre il n'y a pas eu vol. Le policier conclut à la préméditation à l'encontre de la thèse du vol crapuleux suggérée. Il récolte dans la cuisine quelques friandises introuvables du genre confiture qu'il ramène pour festoyer avec Sol. Ce qui incite son ami à évoquer la défunte terre paradisiaque qu'il a seul connue.
   L'enquête conduit Thorn - en l'absence de l'intéressé - au domicile de Fielding dont il surprend le "mobilier" dégustant de la confiture de fraise, denrée hors de prix, ce qui, ajouté au mobilier vivant, rend suspect le garde du corps dont le salaire n'y suffirait pas. Le détective apprend que Simonson était un des dirigeants de Soylent et qu'il connaissait le gouverneur Santini. Mais il réalise qu'il est filé. Son chef Hatcher ne lui cache pas avoir subi des pressions pour classer l'enquête.
   De retour à l'appartement il y retrouve Shirl, qui ne rechigne pas à lui faire tester sa prestation. Elle lui confie que, dépressif, feu son compagnon allait souvent à l'église prier et se confesser. Comme le guerrier reposé s'apprête à lever le camp, sa jolie partenaire lui propose de rester pour profiter gratuitement de tous les avantages qu'offre la location : eau chaude à volonté, massages, etc. Il ne dit pas non. Après avoir rendu visite au prêtre qui recueillait les confessions de la victime, Thorn est affecté aux brigades d'émeute. On tente de l'assassiner dans la confusion d'une émeute après élimination du prêtre. Il court chez Fielding lui casser la figure en exigeant qu'on le laisse tranquille.
   Par une enquête menée de son côté, Sol découvre que le Soylent vert est à base de chair humaine. C'est pourquoi les familles touchent des allocations décès. Simonson a été assassiné à cause de son horreur de la chose, qu'il avait confiée au prêtre. Dégoûté, le vieux compagnon de Thorn se rend au "Foyer" où se pratiquent des euthanasies dont le cérémonial préalable d'une durée de vingt minutes est soumis aux préférences esthétiques des patients. Sol choisit des documents filmiques sur la nature d'autrefois, avec de la musique classique "légère". Prévenu par un mot griffonné, Thorn arrive en catastrophe en pleine projection qu'agrémente la Symphonie Pastorale. Bien que bouleversé par le spectacle, son ami a juste le temps, après lui avoir dévoilé la vérité immonde, de lui recommander de réunir des preuves pour convaincre le Conseil des Nations.
   En suivant la piste qui part du Foyer, Thorn découvre que les cadavres sont transportés dans des bennes automatiques à ordure jusqu'au "disposoir", où ils subissent le traitement qui les convertit en Soylent vert. Après le couvre-feu, se sentant en danger dans la rue, il téléphone à son chef pour lui signaler sa position. Aussitôt en effet un groupe armé mené par Fielding l'attaque. Blessé par balle il se réfugie dans l'église au milieu d'une mer de sans-abris occupant toute la surface disponible. Fielding sur ses talons, l'arme au poing et godillant dans la masse humaine étalée, s'apprête à abattre le héros. Mais il est poignardé par le blessé au moyen d'un couteau de boucher qui se trouvait justement à portée de main... Hatcher débarque tels les carabiniers italiens. Son subalterne couvert de sang et à moitié-mort lui recommande, avant d'être transporté à l'hôpital, de prévenir les autorités, qu'il a les preuves, etc. Le chef le rassure. On l'emporte. Le double volet qui vient enserrer au centre sa main imprécatrice dressée sanglante, se ferme au noir. Les séquences de la nature à jamais disparue repassent au générique de fin aux accents de la Pastorale.

   L'argument de base est d'autant plus sérieux, à savoir, une catastrophe écologique due à la pollution industrielle et sa récupération financière dans une société humainement dégradée, qu'il commence à se vérifier d'un certain point de vue dans la réalité du monde actuel, plus de trois décennies après la sortie du film. Lequel pourtant, non seulement n'a pas l'envergure artistique de ce crucial questionnement mais, pire, va à rebours. Car il pratique le star-system, consistant à faire passer l'intérêt financier avant la conscience et donc avant l'art, qui ne se soumet jamais à d'autre impératif que celui de remédier à l'immobilisme de l'esprit, au moyen d'une réévaluation catégorielle découlant de cette configuration sensible qu'est l'
œuvre d'art.
   Le star-system, qu'est-ce à dire ? C'est s'assurer de la haute valeur marchande du film en le fondant sur la prestation d'une figure fétiche de la société de consommation : un acteur capable de cristalliser les fantasmes compensatoires nés de la frustration et de l'impuissance. Voilà bien Heston (voir Galerie des Bobines).
   Ce héros apriorique se doit évidemment d'être immunisé contre les vicissitudes du réel. Tel Thorn enjambant les corps des dormeurs jonchant le moindre pouce carré abrité, il plane au-dessus des contingences. Il faut donc que, dans cette société, la catégorie sociale où s'inscrit ce rôle cardinal soit au-dessus des lois, mais sans faire partie des méchants. Il appartiendra donc à une police intouchable perpétrant ses petits trafics, piquant dans le frigo et le mobilier des riches défunts, prélevant des subsides au passage tout en faisant sérieusement son boulot. Même si les qualités personnelles de Thorn suffisent à elles-seules à le rendre invulnérable.
   Ainsi parvient-il à tromper la surveillance ultra-militarisée du disposoire, à réduire à l'impuissance les membres du personnel à ses trousses, assez bêtes pour ne l'attaquer qu'un par un, et à plonger dans un camion quittant l'établissement, sans être inquiété par la haute surveillance à la mesure d'un secret d'
État.
   C'est que la providence est toujours de son côté, comme l'atteste ce couteau de boucher opportun, véritable deus ex machina réservé à la star. Il lui faut cependant s'affronter au plus dangereux des adversaires pour que l'épreuve soit digne de lui. Thorn a affaire à la plus grande puissance industrielle adossée au pouvoir politique. Mais, trop abstraite, cette instance se personnifie en Fielding, individu assez patibulaire mais pas trop, acteur de l'inévitable duel final hérité du western, dont il est forcément perdant. Afin de s'attirer tout à fait la sympathie du public cependant, il est préférable que l'homme fort soit aussi un grand c
œur. Aussi celui-ci, non content de protéger les consœurs de Shirl contre leur garde-chiourme puis d'accepter de ne plus traiter Shirl en "mobilier", prend sous son bras un bambin arraché au cadavre maternel dans la rue pour le confier aux mains charitables de l'Église. "Grand cœur" n'impliquant pas pour autant faiblesse, il abandonnera tranquillement Shirl au service du nouveau locataire.
   Quant au traitement du décor il répond à une intention inavouée : donner à rêver à bon compte dans un univers de cauchemar dont on est d'avance protégé. C'est pourquoi il y a clivage entre le réalisme très étudié du monde pauvre majoritaire et le décor kitsch-high-tech de l'intérieur riche dont la permanente hôtesse, cerise sur le gâteau toujours à moitié nue, reçoit ses copines de l'immeuble artistement affublées de tenues légères multicolores, répondant au fantasme de la belle esclave prête à être cueillie comme le fruit juteux à souhait.
   Palette de couleurs du reste aujourd'hui datée comme l'assortiment des matières en vogue au début des années soixante-dix. Le concepteur des costumes n'a guère eu plus d'imagination. Voyez le pantalon règlementaire de Thorn doté d'un système à pont triangulaire en guise de braguette. Heureusement que le puritanisme de rigueur à l'époque épargne le test de viabilité ! Tant d'artifices accentués par le recul du temps confinent au ridicule. Dans l'ensemble, c'est tellement naïf qu'on dirait un plagiat de Tintin.
Tintin en Amérique surtout, dans cette ellipse du tapis roulant chargé de biscuits verts et succédant avec des bruitages naïvement futuristes à l'immersion initiale des corps dans une cuve. Sans compter que les dépouilles nues restent pudiquement au fond de leur housse plastique, qui entre donc également dans la composition du Soylent vert.
   De plus, en tenant compte de ce qu'il y a présentation attractive, invitation à s'identifier au monde des privilèges par opposition à celui, anonyme et repoussant, de la masse grouillante, comparée à de l'ordure jetée par des pelleteuses dans des bennes de décharge, et que les morts sont collectés comme des déchets, une grossière contradiction se fait jour : le versant positif émane de Soylent, c'est-à-dire du mal, tandis que l'autre n'inspire nulle compassion, au contraire. La passivité et le comportement moutonnier du peuple inspirent le mépris.
   En conséquence, est reconduite l'idéologie qui est en train aujourd'hui de nuire à la vie terrestre : disposer le plus vite possible de ses ressources pour amasser des richesses, c'est-à-dire donner la prévalence au principe de plaisir sur celui de réalité. Mais comme en tout bon mensonge régulateur, tout y ramène. Ainsi qu'oppose-t-on à la nature moribonde sinon un montage du Paradis terrestre : celui qui est projeté pour la paix de l'âme de Sol et revient au générique de fin : champs de tulipes, arbres en fleurs, torrent de montagne, troupeau de cervidés, vue sous-marine des eaux poissonneuses, et même coucher de soleil sur l'océan, etc., jusqu'à l'écœurement. En bref, une nostalgie fausse à éluder le facteur humain et les contradictions qui en résultent au profit d'un sentimentalisme de calendrier postal magnifié, à la grande satisfaction de Michel chion (cf. La Musique au cinéma, Fayard, 1995, p. 253)
, par la Symphonie pastorale de Beethoven.
   Le meilleur conducteur d'idéologie qui soit, à savoir le cliché, est donc ici roi. Il suffit d'évoquer le choix d'un Noir dans le rôle du chef policier Hatcher, méthode pour se donner un semblant de conscience sociale, datant de 1967 avec Sydney Poitiers dans le rôle d'un officier de police (Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison) et devenue obligatoire depuis, dans tout bon feuilleton policier américain qui se respecte. On voit que la récupération idéologique dispose de stratégies assez subtiles, si peu visibles, que Soylent Green peut être aujourd'hui tenu par certains spécialistes pour un chef-d'
œuvre de la science fiction. Exemple, tiré du Guide de films : "Un chef-d'œuvre de la science-fiction qui propose une vision radicalement pessimiste de l'an 2000" ... 20/09/05 
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