CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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Jean Luc GODARD
Liste auteurs

De L'origine du XXIe siècle  Fr. 2000 16' ; R. Sc. Mont. J.L. Godard (textes de Georges Bataille, Henri Bergson, Henri Vacquin, A.E. Van Vogt) ; Voix Pierre Guyotat, Ronald Chammah, Anne-Marie Miéville (?) ; Ph. Julien Hirsch ; Son Gabriel Hafner et François Musy ; M. Hans Otte ; Pr. Véga Films.

   Vraie performance de montage où images et sons se croisent en décalage. Bande-son mêlant citations livresques, sons de fictions, déclamations poétiques, accompagnement, en faufilé
, au piano sur deux obsédantes notes de base, bande-image composée d'archives et de plans de films
(Shining, Procès de Jeanne d'Arc, Le Testament d'Orphée, À bout de souffle, Contes de la lune vague après la pluie, Gigi, etc.), de fragments de tableau de maître, plans raccordés parfois en fondu-enchaîné, le tout entrecoupé d'écrans noirs sans interruption du son et où surgissent des cartons se divisant et se recomposant ludiquement, en jeux de mots (goulag, goulager, lager), et successivement, à intervalles de quinze ans des dates couvrant, en accord avec les images, à reculons tout le XXe siècle, 1990, 1975, 1960, 1945, 1930, 1915, 1900. Globalement alternent en s'opposant visions d'horreur et images sereines.   

   Le but est évidemment de casser la linéarité et de dénoncer la toute-puissance idéologique de la structure narrative,
louable remise en cause de la représentation comme support de vérité. On peut se demander toutefois si l'extrême raffinement du jeu d'esquive ne renforce pas au contraire le pouvoir du maître d'œuvre (sur cette question, cf. Écriture et représentation, L'Harmattan, 2018). Surtout s'il repose en son fonds sur le couple oppositionnel tranché horreur/bonheur qui, dramatisé par le motif à deux notes frappées d'un piano hypnotique, risque bien, au lieu de questionner véritablement, de favoriser l'indignation stérile. Sans compter que l'indiscutable autorité des auteurs cités, qui frappent par la profondeur, loin de se soumettre au branle disséminatoire, les fait se détacher nettement comme pauses invitant à la réflexion indépendamment du film. Ex. : "Il faut bien que tu comprennes que les hommes pris en masse jouent toujours le jeu de quelqu'un d'autre". On pourrait appliquer le même raisonnement à propos de la grande peinture reproduite. Un fragment d'Adam et Eve chassés du paradis de Masaccio est trop frappant par lui-même pour échapper au pathos de la représentation en se dissolvant dans quelque flux asémantique. Il se fixe, du coup, au couple oppositionnel de base qu'il conclut par une sorte de jugement synthétique en pesant sur le côté gauche de la balance : horreur/bonheur = paradis perdu.
   Ce n'est plus le cas lorsque l'origine de l'image ou du son est indécise, mieux : indécidable. Davantage encore d: tant que des segments de film restent énigmatiques de n'éveiller que de vagues réminiscences. C'est sans doute le plus stimulant chez Godard, cette immense culture cinématographique apte à nourrir un brassage non dogmatique. 
   Mais le grand mérite revient indiscutablement au brio du montage éclaté, intersectif, brisé, suspensif, syncopé. Ne pas croire pour autant à l'absence de raccords. Le raccord peut se fonder sur les opportunités d'images qui n'ont pas été préméditées à s'enchaîner. Voyez à environ 11' le gros plan de trois-quarts face d'une jeune fille portant la main à son front penché, en signe de détresse. Y succède en plan serré un homme braquant une mitrailleuse à bord d'une jeep. Retour à la fille qui lève les yeux. Suit en gros plan et
contre-plongée une bouche de canon (raccord-regard). Après une brève fermeture au noir, revoilà la mitrailleuse dans la Jeep puis contre-plongée de l'envol d'une nuée d'oiseaux vraisemblablement consécutive au mitraillage (raccord logique de causalité). On revient à la fille, tête dans la main. Elle tourne le regard vers le bas à sa gauche. Plongée serrée sur un cadavre (raccord-regard). Les images citées peuvent donc se concaténer dans un authentique montage déconnecté de leur source. 
   Ce court-métrage ne pourrait se dire documentaire qu'au sens où il met en jeu des extraits de toutes sortes, visuels et sonores comme documents, à condition de faire abstraction du caractère follement ludique du montage. Sa facture en est bien trop intentionnelle et démonstrative pour prétendre au risque mortel de l'art. Ni documentaire ni art donc. Disons performance expérimentale. 8/05/19
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