Marco FERRERI
liste auteursConte de la folie ordinaire (Storia di ordinaria follia) It.-Fr. VO (US) 1981 108' ; R. M. Ferreri ; Sc. Sergio Alidei, Marco Ferreri, Anthony Foutz, d'après Charles Bukowski ; Ph. Tonino Delli Colli ; M. Philippe Sarde ; Mont. Ruggero Mastroianni ; Pr. 23 Guigno/Ginis Film ; Int. Ben Gazzara (Serking), Ornella Mutti (Cass).
Quinquagénaire divorcé à barbe grisonnante de quinze jours, l'écrivain imbibé Serking, bouteille à la main devant un public houleux, prononce une conférence, affirmant qu'il faut faire des choses dangereuses avec style et que faire l'amour avec style peut être un art. Puis il couche avec une jolie naine qui, se prétendant âgée de douze ans, squatte l'hôtel des conférences, et lui pique son fric. Accusé d'abus sexuel par une sulfureuse maîtresse de passage - Véra possède une si torride sexualité qu'elle tombe en syncope avant d'être touchée - il est incarcéré le temps qu'elle retire sa plainte.
Dans un bar sans fenêtre dont la porte donne directement sur la rue, l'entrée de la prostituée Cass est annoncée par un effet de souffle sonore et d'éclat du jour. Refusant un homme car c'est son jour de congé, elle se réfugie à côté de Serking "parce qu'il est moche". Serking, touché par sa beauté et sa fragilité, va se mettre en condition avec la mère de famille obèse qui lui avait indiqué l'appartement de Véra contre un billet. Avec elle, il joue à retourner dans le corps maternel par des coups de tête entre ses jambes écartées. Cass, pour "se vider" avec les autres, veut "se remplir" avec Serking en qui elle reconnaît le premier homme qui n'est pas pressé de baiser. Plus ils s'aiment, plus elle renonce à la vie. Qu'il loue sa grande beauté et elle se transperce les joues de part en part avec une épingle à nourrice géante. Plus tard elle s'entame la gorge. Mais quand il la demande en mariage, d'une l'épingle elle condamne son vagin !
L'écrivain invité à New York chez un grand éditeur qui mitonne ses poulains ne supporte pas cette mise sous tutelle. Quand il revient et demande Cass, il s'entend dire : "Haven't you heard ?" Elle s'est égorgée. Désespéré, il étreint indécemment le cadavre dans le salon mortuaire sous les cris indignés de la garde religieuse.
L'érotisme du film rejoint la mort par son absolu : "Prends mon âme avec ta bite" souffle Cass éperdue. Après l'amour sur la grève, elle pleure, sa souffrance hyperbolisée par une flaque d'eau salée que traverse Serking. Dans l'épilogue sur ce même lieu, comme un ultime hommage à la défunte, il récite à une jeune fille un poème en échange de l'exhibition de son corps.
Ainsi, toujours avili par le mariage et l'accoutumance, l'amour vrai côtoyant la mort et servant l'extrême sexe est à la limite du possible : thématique bien ferrérienne. L'énigme est alors la suivante : comment Ferreri passe-t-il de l'idée, au film de chair et de son ?
D'abord un parti pris de sobriété tel, que l'émotion naît d'images sans contenu émotionnel par elles-mêmes ou que les phrases off de Bukowski avec la musique de Sarde (hispanisante), loin de surplomber l'intrigue, contribuent à la rythmer.
Ensuite, le son et l'image. En s'interrompant parfois complètement, l'univers sonore du hors champ - toujours très présent, induit une tension. Par ailleurs certains bruits sont réassignés par association : les klaxons de la rue accompagnant incidemment Serking sur le point de quitter l'hôtel des conférences complètement fauché ; ou bien le pépiement de mouettes illustre les baisers du couple ; ou encore le carillon extérieur d'église combiné à la vibration légère des télex, répand chez l'éditeur une ambiance dévote.
Quant à l'image, elle prend son temps. Un plan d'ensemble d'une rue de Los Angeles prolongé par un panoramique accompagnant Serking, rend sensible sa proximité avec la rue. Les mouvements environnants, comme à la plage celui de ces cyclistes et patineurs lancés du hors cadre dans une courbe croisant Véra suivie de Serking, impriment une énergie silencieuse et tendue à l'action.
Mais en même temps le montage est économique : un insert de rue suffit pour indiquer soit un déplacement d'un lieu à un autre, soit le passage à une autre séquence. De même que les raccords-son par anticipation ou chevauchement épargnent tout effort logique.
La façon enfin dont est filmé Ben Gazzara joue un rôle non négligeable. L'ironie souriante d'un regard aux lueurs tranchantes imprime on ne peut mieux son sens à un univers si particulier.
Il n'en fallait pas plus pour que le film reste aussi rare et neuf après vingt ans. 3/04/01 Retour titres