CINÉMATOGRAHE 

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John FORD
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Les Cheyennes (Cheyenne Autumn) USA VO Panavision-couleur 1964 140' ; R. J. Ford ; Sc. J. R. Webb ; Ph. W. Clothier ; M. A. North ; Pr. B. Smith/Warner Bros ; Int. Richard Widmark (capitaine Archer), Carroll Baker (l'institutrice), James Stewart (Wyatt Earp), E. G. Robinson (Carl Shurz), Karl Malden (capitaine Wessels).

   Consignés sur un terrain aride et grugés à l'évidence par les autorités, les Cheyennes décident de recouvrer leurs terres fertiles du Dakota à huit cents miles au Nord. Le capitaine Archer (Richard Widmark, Galerie des Bobines), qui est amoureux de l'institutrice blanche en charge des orphelins du voyage, lance sa compagnie à leurs trousses. Après quelques combats sanglants, les Indiens s'évanouissent dans la nature, mais malades et affamés se divisent en deux groupes, ceux qui s'accrochent et ceux qui se rendent, lesquels sont incarcérés par le commandant du fort Robinson, qu'Archer survenu entre-temps désapprouve. Les Cheyennes s'évadent et rejoignent les leurs. Sur les instances d'Archer à Washington, le ministre de l'intérieur les rétablit dans leurs droits au moment où, encerclés, ils allaient être écrasés.

    Salué comme une des premières figures de la réhabilitation des Indiens, cet opus s'évertue en réalité à gommer les contradictions au profit des Blancs. La très exotique vision de Ford concède aux Indiens une humanité du bout des lèvres. Par leur façon de commander aux femmes, par leurs querelles mesquines, par les ridicules rodomontades du fils du chef et la fierté béate de la mère, il sont beaucoup moins sympathiques que les Blancs.
   En face cependant, la virile amitié militaire transcendant complaisamment la hiérarchie (le sergent offre de sa chique au capitaine qui décline, mais acceptera de trinquer au whisky) n'appelle pas seulement à la communion des valeurs yankee. Elle fait aussi l'éloge patriotique de l'armée qui rejoint subtilement l'idéologie racialiste de l'État. Renforcé par le contraste entre les informes psalmodies sauvages et l'harmonie des cuivres injonctifs, le face à face à l'écran de la 
horde minable et des rangs militaires tirés au cordeau n'est certainement pas innocent.
   Par le truchement de l'institutrice dont les partisans se multiplient, les Blancs remplissent bien leur rôle providentiel. La jolie maîtresse panse les blessures de ses pupilles avec des lambeaux arrachés à ses blancs jupons, immaculés malgré les journées harassantes en pleine nature sauvage sous un soleil de plomb. Le mauvais officier n'est qu'un moyen concessif de mettre en valeur la foncière bonté des dominants.
   Programmée dès le début par la solidarité du conflit armé avec la situation amoureuse appelant un
happy end, et en accord avec la tonalité burlesque de patibulaires cow-boys scalpeurs d'Indiens mâtés par Wyatt Earp (James Stewart : Galerie des Bobines), la concorde finale est en contradiction absolue avec le destin réel des Indiens.
   Mensonge d'autant plus flagrant qu'il est soutenu par les images de paysages idylliques clôturant le film. La beauté des paysages en général censure une réalité historique inavouable. Ce qui compte dans les plans généraux de la marche des fugitifs ne sont pas les Indiens, mais l'impeccable ligne de fuite de l'espace magnifiquement balisé en profondeur par des reliefs naturels d'arrière-plan.
   Le calvaire des Cheyennes s'exprime par une seule chose : des vagissements de nourrisson. Ce signal qui s'adresse au vieil instinct de protection de l'espèce du spectateur est le commode substitut de l'authenticité cinématographique. La fibre parentale est un si bon filon que le pathétique de la révolte des prisonniers du fort repose sur l'alternance de plans d'ensemble de fusillade et de plans rapprochés d'enfants affolés. L'émotion est à son comble au final quand la fillette, guérie grâce à l'immaculé jupon sacrifié, épelle en ânonnant les lettres d'un mot de la langue de ses vainqueurs.
   Tout cela avec une lourde insistance sur les faits significatifs, comme l'interminable obstination du capitaine à affirmer qu'il obéit aux ordres (air bien connu justifiant les pires massacres de l'histoire). Il en résulte une démarche linéaire redondante, d'autant que la musique auxiliaire en rajoute (le vieux chef s'écroule après avoir bien titubé sous le soleil. Ponctuation musicale : tan ! taan...!). Chaque plan, non content déjà d'illustrer platement la voix
off, vient s'ajouter au précédent, brique venant compléter le mur.
   Malheureusement, "système d'ubiquité" en son essence, un film ne se ramène pas à la sommation linéaire de ses parties. S'il y a d'excellentes choses, je pense au visage spectral de l'Indienne derrière la vitre du dépôt, elles se fondent dans l'appareil fonctionnel, sans nul écho à distance. Décidément, John Ford est, à cette époque, un trop bon propagandiste pour être le grand cinéaste que l'on dit, on aura beau, comme les Cahiers du Cinéma (n° 165), le classé huitième dans les dix meilleurs films de 1964. En bref, il enfonce très bien les clous avec des enclumes. Il aura toutefois dans son dernier film un ultime et
salutaire sursaut  (voir ci-après). 04/11/01 
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