CINÉMATOGRAPHE 

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David Wark GRIFFITH
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Sally fille de cirque (Sally of the Sawdust) USA Muet N&B 1925 110' ; R. D.W. Griffith ; Sc. Forrest Halsey, d'après Dorothy Donnelly ; Int. Carol Dempster (Sally), W.C. Fields (Professeur Eustace McGargle), Alfred Lunt (Peyton Lennox), Effie Shannon (Mrs Foster), Erville Alderson (Juge Foster). 
   
   Malgré le veto du papa, de surcroît juge de son état, Mary Foster s'enfuit avec son prétendant. Abandonnée cinq ans plus tard avec une enfant qui n'est autre que l'héroïne, elle agonise dans le cirque du Pr McGargle, à qui elle confie Sally avec l'acte de naissance. Le père adoptif informe par lettre les
parents de la mort de leur fille sans néanmoins mentionner l'existence de la petite-fille.
    Des années plus tard, Sally travaille avec son "Pop" adoré, un sacré filou. Ils doivent quitter le cirque à la suite d'une bagarre monstre faisant suite à une partie de cartes lucrative. Le magot épuisé, ils vagabondent sans le sou jusqu'à Greenmeadow, où exerce le juge Foster maintenant richissime. Une fête foraine au profit des orphelins est installée dans la propriété voisine des Lennox. Indécis quant au parti à prendre pour sa pupille, le professeur s'y fait engager. Mais le terrible magistrat, qui déteste les baladins, les fait surveiller par un
détective.
   Cependant le fils Lennox tombe sous le charme de Sailly, tandis que Mrs Foster est irrésistiblement attirée par la jeune fille. Pris en flagrant délit jouant aux cartes pour de l'argent, Gargle s'enfuit. Sally, qui avait dissimulé les pièces à conviction sur elle, est
arrêtée. Passant en jugement au tribunal présidé par son grand-père, elle risque une lourde peine. Mais McGargle survient in extremis muni des précieuses preuves de la filiation. Tout le monde se réconcilie. 
 
   Film unique par le sujet, le jeu des acteurs, la parfaite combinaison émotionnelle d'amour, de burlesque et de tragique. L'amour puise sa dimension véritable dans la mort maternelle. Il engendre un pathétique tel celui où, observée par Peyton, Sally médite tristement devant la tombe d'une
mère.
   Le pouvoir microphysionomique de la caméra, ne consistant pas seulement en gros plans mais en variations de grosseur et d'angle inspirés, n'a d'égal que le jeu atypique de Carol Dempster, drôle de petite bonne femme dont le visage et le corps passent par toutes les
gammes de l'émotion, depuis la star jusqu'à la saltimbanque, avec une liberté bafouant le code de bienséance des jeunes filles : la robe étroite n'empêche pas les figures les plus périlleuses en terme de lois physiques autant que morales.
   Le jeune homme observant l'orpheline au cimetière est ainsi entraîné dans le même flux des sentiments les plus poignants. Il s'ensuit une séance de flirt distant, d'une
sensualité surpassant les scènes actuelles les plus crues, et à laquelle le riche décor naturel prête son lyrisme. La force de l'amour réciproque de la fille et du tuteur s'exprime en des effusions dont l'intensité semble abolir les contingences extérieures. Les normes morales en vigueur-mêmes en deviennent dérisoire. Naïvement, la jeune pupille ne tolère les escroqueries du tuteur que tant qu'elles ne présentent pas de danger pour lui. Son attachement est de ceux qu'on n'éprouve guère que pour une mère : "Pop est la seule mère que j'aie jamais eue" lance-t-elle à une cour pleine de dégoût (s'exprimant aussi par le biais du titre original : Sally est une fille de la sciure) pour ces mœurs de cirque.
   Toujours plongée dans les reliques de sa fille défunte, la grand-mère est, contrairement au juge, totalement du côté de l'amour. D'instinct elle prend dans ses
bras cette fille de rien en manque d'amour maternel. Le choc des classes n'est en effet que pour faire éclater l'évidence de la suprématie de l'amour. La démesure de la demeure des Foster ne s'oppose à la précarité de la tente de cirque et des abris de hasard, ou les mauvaises manières des vagabonds aux affectations bourgeoises, que pour souligner la fragilité de l'implacable barrière sociale emblématisée par la personne du grand-père, dont la haute silhouette puritaine, les sourcils épais et les gestes impérieux traduisent une forme d'autorité inflexible.
   On voit que l'art jaillit ici d'une tension entre les extrêmes, qui se résout naturellement dans le burlesque. W.C. Field transfiguré en opulent homme d'affaires plein de morgue feinte dans la dernière
séquence en est le saisissant résumé.
   C'est cette abolition de la séparation des genres et des frontières catégorielles qui témoigne avec le plus de force de la vigueur artistique
(1) de l'œuvre. 7/02/04 Retour titres