CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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Jean-Luc GODARD
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A bout de souffle Fr. N&B 1959 89' ; R., Sc. J.-L. Godard, d'après une idée de François Truffaut ; Cons. Techn. Claude Chabrol ; Ph. Raoul Coutard ; M. Martial Solal ; Pr. Georges de Beauregard ; Int. Jean-Paul Belmondo (Michel Poiccard), Jean Seberg (Patricia Franchini), Daniel Boulanger (inspecteur Vital), Roger Hanin (Carl Zubart), Jean-Pierre Melville (Parvulesco). 

   Tourné à la fin de l'été 59 en moins d'un mois, ce petit film à modeste budget conduit par un inconnu grâce au soutien stratégique de deux copains des
Cahiers déjà célèbres, sonna dit-on le glas de la triste "qualité française".

   Michel Poiccard (Belmondo : Galerie des Bobines) fonce sur Paris dans une Oldsmobile volée à Marseille pour rejoindre Patricia, l'étudiante américaine, et toucher un magot. Pour une peccadille il abat un motard de la gendarmerie et, terminant en stop sans le sou, se réfugie dans la chambre d'hôtel de Patricia, qu'il a retrouvée sur les Champs-Elysées proposant à la criée le New York Herald Tribune. En attendant de se renflouer, Michel vit au jour le jour grâce à de petits larcins. Il est amoureux et très jaloux. Enceinte, Patricia est dans le trouble. Au moment où, sur le point d'entrer en possession de son argent, il lui propose de l'emmener en Italie, elle le dénonce à la police. Bien qu'averti par la délatrice, il refuse de s'enfuir. Il est abattu rue Campagne-Première sous les yeux de la mignonne indécise. 

   Improvisé au jour le jour, tourné caméra à l'épaule en décors naturels, sans éclairage ni son parfois (ce qui explique le souffle de liberté quand les paroles prononcées en l'absence de micro sont reprises au mixage), bourré de faux-raccords, faisant constamment interférer narration et diégèse, "fosse" et écran, parsemé d'
astuces (1) et joué à contre-emploi ou distancié par des parodies et des citations pour casser le pathos, ce premier film est un aérolithe pulvérisant le plancher des vaches.
   Les faux-raccords, en soulignant le discontinu filmique, concordent avec le personnage de Michel, qui change de voiture comme de plan. Par l'enseigne "Ronéo" d'un magasin devant lequel expire un accidenté ou encore la bande dessinée "Juliette de mon cœur" au dos du journal derrière lequel se dissimule Michel, la sourde présence de Roméo et Juliette, auxquels voudrait s'identifier Patricia, fait pressentir le drame, pourtant constamment démystifié par la dialectique du montage.
   Que la radio s'interrompe pour la synchronisation du réseau et les amants se "synchronisent" au lit ; puis l'émission "le travail en musique" reprenant, ça travaille sous les draps. Le décor amplifie les données de l'intrigue quand Patricia passe devant un magasin Natalys ou que les panneaux à défilement lumineux annoncent la prise prochaine du meurtrier de la Nationale 7. La reprise de paroles, d'expressions, de gestes dans des contextes autres par des personnages différents impriment un mouvement général plus filmique que psychologique. Le dialogue n'est pas davantage au service du récit. Il se développe et s'enchaîne de façon décousue et autodynamique, mais sans naturalisme car toujours sur un mode ludique, mis en relief entre autres par la radio intradiégétique singeant l'auxiliaire.
   La convention du dénouement, en outre ironisée par un dialogue loufoque (le dernier mot de Michel : "- c'est dégueulasse...". Patricia : "- Qu'est-ce qu'il a dit ?". L'inspecteur : "- il a dit : "vous être vraiment une dégueulasse"". Patricia : "- qu'est-ce que c'est dégueulasse ?") fait encore mieux sentir que tout peut à tout moment advenir, ce qui est une des caractéristiques du tragique inhérent à l'art du cinéma
, si bien accordé ici avec cette sorte de fraîcheur mélancolique de l'émouvante Patricia-Seberg, pièce majeure du dispositif, dans son rôle le meilleur car rigoureusement ordonné à l'esprit du film. 31/03/02 
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NOTES

(1)  Astuces :   

   Sur le port de Marseille le plan de la complice de Michel coïncide avec une sirène de bateau : elle est donc elle-même une sirène.  
   À la radio de bord de l'Oldsmobile la musique auxiliaire coupe la parole à Brassens en train de chanter "il n'y a pas d'amour heur.." : anticipation tragique contribuant derrière la fantaisie, au sérieux artistique du film. La même radio accompagne et scande les paroles de Michel.   
   Les yeux de la photo de Boggy scintillent comme vivants.
   La nuit tombe sur Paris dont les réverbères s'allument le temps dans la Jaguar de l'étreinte de Patricia et de son patron. Ce dernier "la tombe", mais tout s'obscurcit aussi pour Michel qui est témoin. 
etc.
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