Amos GITAÏ
liste auteursKadosh (Sacré) Fr.-Isr. VO 1999 110' ; R. A. Gitaï ; Sc. A. Gitaï, Eliette Abecassis, Jacky Kukier ; Ph. Renato Berta ; M. Louis Sclavis, Michel Portal, Charlie Haiden ; Mont. Monica Coleman, Kobu Netanel ; Son Michel Kharat ; Pr. Laurent Truchot ; Int. Yaël Abecassis (Rivka), Meital Barda (Malka), Yoram Hattab (Meïr), Uri Ram Klauzner (Yossef, l'époux de Malka)), Yussef Abu Warda (Rav Shimon, père de Meïr), Sami Hori (Yaakov).
À Mea Shearim, quartier juif-orthodoxe de Jérusalem, deux sœurs prennent de plein fouet la violence de l'intégrisme, au nom duquel la femme est faite pour élever les enfants, voire gagner l'argent du ménage pendant que le mari étudie la Torah à l'école rabbinique.
Mariée depuis dix ans sans enfant, Rivka aime son mari, Meïr le fils du rabbin Shimon, qui le lui rend bien mais s'interdit la sexualité parce que la stérilité est une malédiction, contre laquelle il est vain de se dresser. Rivka supporte son sort en se clivant : d'un côté la chair frustrée, de l'autre l'esprit comblé par la foi et l'amour. Mais le rabbin en tant que chef des Chitaïm, communauté religieuse à laquelle ils appartiennent, oblige son fils à la répudier pour une autre, fertile. Quant à Malka, bien qu'éprise du chanteur Yaakov, un ancien membre des Chitaïm, elle doit épouser Yossef, l'assistant du rabbin, et subir durant la nuit de noce un assaut aussi grotesque que douloureux.
Malgré l'interdiction rabbinique, Rivka consulte une gynécologue qui lui apprend qu'elle est féconde. Vain espoir, puisqu'il faudrait faire une analyse du sperme de Meïr, ce qui est absolument exclu, la semence ne pouvant être gaspillée en aucune manière selon la loi hébraïque. Elle doit donc quitter le domicile et louer une chambre où elle reste longtemps figée d'accablement avant de rejoindre une nuit au lit son époux, pour mourir dans ses bras après l'avoir érotiquement enlacé, plaçant sa main dans la sienne, comme le disait une chanson entendue durant sa prostration. Quant à Malka, ayant été battue par son époux pour adultère avec Yaakov, elle s'enfuit au loin.
"Sacré", le titre original a pu être pris à tort au figuré. Le film est au contraire profondément respectueux du sacré. Ce qu'il dénonce, c'est l'abus de pouvoir, l'instrumentalisation de la femme, l'intégrisme. Il est clair que, cadrée en plan fixe, dans un effet de temporalité extramondaine, la grâce infinie captée dans le moindre geste d'amour appartient à l'univers du sacré. Voire, ni le générique en un plan-séquence de sept minutes sur les rituels du réveil pieux de Meïr, ni l'observation minutieuse de l'école rabbinique, ne comportent de quelconque distorsion satirique.
Pour avoir paru oiseuse à certains critiques, la discussion entre Meïr et Yossef sur la façon de préparer le thé n'est pourtant rien d'autre qu'un exercice sur la rigueur de la loi sacrée. Retenir la seule fonction documentaire serait tout aussi réducteur, même si le quartier, la Yeshiva des Chitaïm, leurs frustes logis, sont présentés sans fioritures ni misérabilisme. La foi n'est guère davantage mise en cause. Pour être honni par la communauté, le rebelle Yaakov, n'en est pas moins authentiquement croyant.
Bref, ce n'est jamais manichéen. Les deux sœurs s'aiment mais ne se comprennent pas. Malka voudrait fuir dans le "monde" avec son aînée pour laquelle le reniement à la foi est impossible. Rivka encourage Malka à un mariage qui équivaut à une condamnation. Elles résoudront donc seules leurs contradictions, l'une en renonçant à la vie, l'autre en s'évadant. Un plan serré sur leurs deux visages harmonieusement confondus comme un seul et unique, rend plus sensible encore ce déchirement.
La sobriété des décors et des éclairages, et le comportement contemplatif de la caméra, laissent le champ libre au complexe développement du drame intérieur. Cependant la cruauté du destin émerge dans des figures combinant religion et sexualité. Sur le Mur des Lamentations au pied duquel se recueille Rivka, une touffe pariétaire évoque la toison pubienne, et le dernier plan cadre ostensiblement le dôme du Rocher derrière les remparts, ventre fécond sous les yeux de Malka fuyant en hâte la ville.
D'insister ainsi cryptés, les motifs cardinaux du film frappent au vif. Lorsque Malka se coupe les cheveux le jour de son mariage conformément à la loi, dans son miroir se reflète une corbeille rappelant les claires-voies croisillonnées de la yeshiva derrière lesquelles les femmes sont admises à contempler les hommes en prière.
À ces métonymies de la sensation et de l'émotion visuelles correspond au plan sonore une superbe bande-son laissant percer d'imperceptibles et menaçantes rumeurs et rejetant hors champ la respiration oppressée des femmes.
Une telle réussite artistique laisse malgré tout encore à désirer. Artifice de valorisation positive des personnages, la beauté des deux sœurs est une concession, qui ne saurait remplacer la beauté intérieure. De même pour la musique. Bien que le commentaire minimaliste déployé ne semble jamais se substituer à une autre intentionnalité. Se jouant plutôt dans les interstices, au titre souvent de raccord d'anticipation, sa plainte déchirante finit par avoir une présence obsédante au détriment de l'émotion sous-jacente.
Au total, un film bouleversant, de facture académique malgré les audaces de la bande-son, avec un petit quelque chose en trop. 17/02/03 Retour titres