CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Serguei Mikhailovitch EISENSTEIN
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Le Cuirassé Potemkine (Bronenosetz Potemkin) Muet N&B 1926 65' ; R. S. M. Eisenstein ; Sc. S. M. Eisenstein, Nina Agadjanova ; Ph. Edouard Tissé ; Mont. S.M. Eisenstein, Grigori Alexandrov ; M. Chostakovitch (pour la version de 1976) ; Int. Alexandre Antonov (Vakoulintchouk), Grigori Alexandrov (lieutenant Guliarovsky), Vladimir Barsky (Golikov), Beatrice Vitoldi (femme au landau), I. Bobrov (le jeune marin humilié), Alexandre Liouchine (un officier), Andrei Fait (l'officier au piano), Prokopenko (la mère du garçonnet assassiné), marins et habitants d'Odessa. 

   Pour cause de viande avariée les marins du Potemkine mutinés au large d'Odessa jettent
à la mer les officiers.  Vakoulintchouk, le premier mutin, perd la vie. Son corps est exposé sous une tente dressée sur le port. La population accourt en masse verser des larmes sur la dépouille. Des yoles en quantité se détachent de la rive, chargées de provisions pour le cuirassé en signe de fraternité. L'armée décime les sympathisants sur les escaliers de la ville. L'escadre vient à la rescousse. Le Potemkine s'apprête au combat, tout en envoyant des messages d'appel à la fraternité. L'escadre le laisse passer. 

   Un des grands mythes de l'histoire du cinéma pour de multiples raisons. L'interdiction en France et dans d'autres pays d'Europe jusque dans les années cinquante, de sorte qu'on n'a pu longtemps le voir qu'en ciné-club, le caractère d'objet culturel aussi sublime qu'ennuyeux qui convenait parfaitement à cette dernière situation et, tout de même, une imagination filmique hors-pair. Comme pour, disons
La Joconde, il faut s'arracher au mythe pour tenter d'y voir un peu clair.
   Plus que de l'émotion on en tire surtout un ensemble de procédés plastiques et rhétoriques. Un montage extrêmement mobile faisant incessamment jouer en alternance avec la situation explicite ses implications synecdochiques et métonymiques, rythmées par des variations de grosseur. Mais aussi de pures figures plastiques tirées du matériau disponible. Celui appartenant au cuirassé est d'une richesse inattendue (métal poli, grilles, cordages, bouches de canon, chaînes, etc.)
   Les gros plans de visages éclairés comme au théâtre par des rampes, donnent à l'expression une dimension épique. La photographie artistique sublimant le paysage maritime comme théâtre d'un événement historique capital. La science du cadrage s'affranchissant du réalisme en distribuant les éléments de l'image avec une fabuleuse liberté compositionnelle (voir les hamacs). Autrement dit les bords du cadre ne sont pas ces coordonnées de la représentation
(1) cognitive assimilables à une fenêtre ordonnée aux lois de la pesanteur.
   La composition en l'occurrence ne traite pas seulement de rapports de masses, mais prend en compte également le mouvement. Ce dernier, quand il se joue sur des plans très larges, contribue remarquablement au lyrisme de l'œuvre. L'imagination est ce qui transgresse le code pour faire éclater une vérité émotionnelle. Elle paraît être une préoccupation constante avec des résultats inégaux. Mais il y a des réussites incontestables.
   Il faut revenir à la scène de l'escalier à cet égard et à l'usage de l'hyperbole dans la description du mouvement. Les soldats ne cessent de descendre et de tirer vers le bas comme si l'escalier n'avait pas de fin, ni la cruauté militaire de limites.
   Dans l'ensemble on peut regretter l'abus du procédé au détriment de l'émotion authentique. Cela passe cependant, tant que les figures se cantonnent à la contiguïté. Mais la métaphore est lourde. Faut-il rappeler ce lion de pierre abattu par le Potemkine tirant sur le Q.G., métaphore convenue du terrible pouvoir dont le peuple vient à bout ?
   Enfin il ne faut pas se cacher que le film a vieilli parce qu'il est au service d'une idéologie. Ce qu'on en retient essentiellement, le landau dévalant l'escalier (équivalent de la douche de
Psychose) n'a plus rien à voir avec sa fonction initiale qui relèverait de la sensiblerie si l'on voulait la restituer. 6/08/02 
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