CINÉMATOGRAPHE 

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Kenji MIZOGUCHI
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La Vie de O-Haru, femme galante (Saikaku no ichidai onna (La Vie d'une femme par Saikaku)) Jap. VO N&B 1952 130' ; R. K. Mizoguchi ; Sc. Yoshikata Yoda et K. Mizoguchi d'apr. Koshoku Ichidai Onna (trad. Vie d'une amie de la volupté, NRF Gallimard/Unesco, 1975) de Saikaku Ihara (1686)  ; Ph. Yoshimi Hirano ; Mont. Toshio Goto ; M. Ichiro Saito ; Pr. Daeiei ; Int. Kinuyo Tanaka (O-Haru), Ichiro Sugai (Shinzaemon, son père), Tsukie Matsuura (Tomo, sa mère), Toshiro Mifune (Kasunosuke, le premier amour), Eitaro Shindo (Kahe Sasaya, le drapier), Sadako Sawamura (O-Wasa, son épouse), Hiroshi Oizumi (Bunkichi, l'employé congédié), Toshiaki Konoe (le seigneur Matsudaira), Hisako Yamané (son épouse), Jukichi Uno (Yakichi Ogiya, le mari assassiné), Daisuke Kato (Tasaburo Hishiya, le client qui dévoile le passé de O-Haru).

   Fille de samouraï ayant servi au palais impérial, reléguée à la campagne pour avoir aimé un homme de condition inférieure, mais choisie pour sa beauté afin de porter l'enfant d'un seigneur dont la femme était stérile, puis spoliée de sa maternité et vendue à une maison de plaisirs par son père, O-Haru finit mendiante décrépite, bref, en déchéance absolue redevable à la cupidité des hommes, à leur mépris des femmes et à l'arbitraire du pouvoir dans la société patriarcale.
   Une prostituée dissimulant son visage pénètre à pas séniles dans le temple aux Mille Bouddhas après avoir déclaré à quelques consœurs de rue être trop vieille pour ce métier, précisant avec humour qu'un groupe de pèlerins l'avait invitée pour se dégoûter à sa vue du péché de la chair. Croyant voir sur un Bouddha les traits de Kasunosuke, son illicite premier amour, O-Haru se remémore le cours de sa vie après avoir découvert son visage, comme pour se dévoiler.
   Elle est exilée avec ses parents à cause de cette liaison indigne avec Kasunosuke, condamné, lui, à la décapitation. Puis
, seule physiquement conforme aux conditions seigneuriales parmi les plus belles femmes de Kyoto, O-Haru est admise à être mère de l'héritier du gouverneur Matsudaira. Mais, accusée après la naissance d'épuiser la santé du maître, elle est remerciée avec un dédommagement dérisoire.
   Trop affirmée de caractère, la femme répudiée est aussi renvoyée de la maison de tolérance à laquelle son père l'avait vouée en raison des dettes contractées sur la foi de sa position. Dissimulant cet épisode de sa vie, elle tente sa chance chez le drapier Sasaya, qui avait été chargé de dénicher la mère porteuse digne d'assurer la descendance Matsudaira. Sasaya et sa femme O-Wasa sont flattés d'avoir à leur service une ancienne compagne du "daimyô". O-Wasa la prend à son service comme coiffeuse en lui faisant promettre de ne pas révéler sa calvitie, survenue à la suite d'une maladie.
   L'attitude des patrons change radicalement quand un client reconnaît dans leur employée préférée une ex-pensionnaire du quartier des plaisirs. Elle jalouse, lui se sentant un droit de cuissage. O-Haru cherche à se placer ailleurs. A
moureux sans se formaliser de son passé, Yakishi, un employé auquel le patron cède un magasin d'éventails l'épouse. Alors qu'elle se croyait enfin en sécurité matérielle et affective, il est assassiné par des voleurs. Le magasin étant vendu au profit d'un oncle du défunt, O-Haru totalement démunie souhaite entrer en religion. Au temple où elle s'est retirée, l'employé Bunkichi lui a fourni par faveur des étoffes à crédit avec lesquelles elle a confectionné ses vêtements. Mais Jihei, le fondé de pouvoir de Sasaya, vient en réclamer le paiement immédiat. Dans l'impossibilité de restituer les étoffes, de rage elle se dépouille desdits vêtements qu'elle lui jette à la tête. L'homme, qui ne s'était sans doute pas pour rien déplacé en personne, en profite pour se rembourser en nature sur ce corps dénudé. Ce que la prêtresse surprenant avec horreur, l'apprentie nonne est expulsée du lieu sacré.
  Dans la rue elle croise Bunkichi, lui aussi congédié non sans avoir subtilisé la caisse. Il propose de fuir ensemble mais est arraisonné par une troupe commandée par Jihei, qui traite O-Haru de catin. Alors que celle-ci mendie en jouant du shamisen, passe le cortège du palanquin de son fils.
   Anéantie de désespoir, elle est secourue par deux prostituées, qui l'accueillent chez elles. La vétérane hésite, puis se résout à replonger. Après maints échecs au racolage vient l'épisode des pèlerins que ce "fantôme d'une vie de plaisirs" est censé guérir de la passion de la débauche. Retour donc au début dans le temple où O-Haru s'effondre après avoir, avec ses consœurs qui l'on rejointe,
ri de la ressemblance des Bouddhas avec les hommes qu'elles ont "connus". Gravement malade elle voit venir sa mère maintenant veuve, qui lui annonce qu'elle est réclamée par la maison Matsudaira en raison de la mort du chef auquel succède son fils. Un palanquin vient la prendre mais ce n'était que pour être jugée indigne et assignée à résidence dans un domaine extérieur après avoir eu l'autorisation de voir de loin sa progéniture. Elle préfère prendre la fuite pour vivre saintement de mendicité.      
  
 À ma connaissance, concernant la période de l'après-guerre, c'est le meilleur film de Mizoguchi, libre d'abord de la lettre du roman. Celui-ci totalement transformé, passant de la chronique autobiographique d'une vieille "amie de la volupté", à la critique de la société à travers un récit de la pathétique déchéance de la narratrice du récit filmique.
   N'ont été retenus du roman que quelques épisodes radicalement transposés. Le premier amoureux, vite oublié, n'est qu'une passade ayant perdu la vie "à cause de cette affaire", sans plus de sanguinaires précisions. Le daimyô soucieux de sa descendance étant veuf, point de jalousie, bien que selon le roman (p. 68) cette passion soit tenue pour un sentiment propre aux "femmes de condition vulgaire". Les dettes du père entraînant la prostitution de la fille sont sans rapport avec une exploitation de la garantie morale du daimyô, et la vente à la maison de tolérance ne procède pas formellement de la volonté paternelle (p. 69). La cruauté du père n'appartient qu'au film, qui s'ingénie à noircir des résidus de sa source littéraire. Le drame
en outre se concentre à rassembler, en un nombre limité de situations tendant à l'unité de lieu, plusieurs épisodes des aléas de la chair érotique à travers les tribulations de divers métiers féminins. Ainsi de celle chez le drapier, du chat arrachant le postiche de la patronne formé des cheveux de l'O-Haru du film, coiffeuse sous contrat chez un seigneur dans le roman (pp. 126-127). Ou bien est transposée au temple avec Jihei la scène du déshabillage au profit d'un commis de la capitale venu encaisser la facture pour un achat à crédit (p. 143). 
   Une dramatisation plus sobre qu'à l'ordinaire, bien que la tentation de surenchère, péché mignon de Mizoguchi depuis la défaite militaire nippone semble-t-il, n'en soit pas totalement bannie. Une femme écrase une larme à l'annonce par la mère retrouvée du rappel de O-Haru auprès de la famille de son fils. Cela participe, du reste, d'une rhétorique de la déception. À chaque raison d'espérance d'une vie meilleure succède un démenti : "reviens vite!" recommande l'heureuse épouse au mari, qui revient les pieds devant. Tout le récit est même rythmé par une alternance de faux espoirs immanquablement déçus. Nul événement, de surprise jamais.
   Des éclairages crépusculaires et la multiplication des plongées et des mises à distance optique vouent la protagoniste à l'effacement. Ce n'est pas une écriture mais un cinéma hérité du théâtre par la dramaturgie du corps, se rétrécissant inéluctablement mais s'intensifiant dans les sursauts d'énergie soulignés par une caméra mobile, qui ne font que nourrir en la différant la déchéance. Ce qui se règle sur le mouvement des corps et prend sens par le dialogue seulement entraîne un
gaspillage de pellicule. Ainsi, au temple des Mille Bouddhas, en un seul plan, O-Haru (serré) en larmes contemple les Bouddhas. Tournant autour d'elle accompagnées en travelling, deux consœurs : "Que fais-tu là? - Je regarde mes dieux [riant derrière ses larmes]. Ils leur ressemblent. - Qui donc ? - Les hommes que nous avons rencontrés dans notre vie. Regarde. Beaucoup d'hommes leur ressemblent." Un panoramique élargit le champ tandis que les copines se dirigent dos-caméra vers les tribunes garnies de rangées de Bouddhas. "Mais c'est vrai ! [Elles s'esclaffent avec contorsions ostensibles]. Ce sont des visages connus." [Elles vont et viennent de l'un à l'autre]. Panoramique sur les innombrables visages de pierre.
   Tout cela pour transposer l'humour du livre qui, intérieur, consiste pour la narratrice à évoquer "la vivante copie de la physionomie d'hommes avec lesquels j'avais posé autrefois mon oreiller côte à côte quand j'étais dans la fleur de ma jeunesse" (p. 204). On peut se demander si le cinéma doit se croire obligé, en guise d'humour, de montrer des acteurs qui se tordent.

   La plongée cependant est plus proprement cinématographique quand elle tient lieu de montage. Dans l'épisode des pèlerins, qui ne sont découverts qu'après-coup car, bien que présents dans la même pièce, ils sont rejetés hors-champ par la plongée focalisant O-Haru et son "client". Les mouvements d'appareil de même étant soumis à ceux des personnages dans les plans-séquence favorisent une temporalité anthropomorphique et fonctionnelle au détriment de la brisée du montage, beaucoup plus libre comme procédure langagière et mécanique des articulations, que ce qui est soumis au signifié. 
  Le plan-séquence n'exclut pas davantage l'effet-montage. En usant notamment du détail décentré. O-Haru est renvoyée du bordel pour avoir refusé l'argent du client (le faux-monnayeur). Mais, une employée accourue informe que celui-ci ne veut d'autre fille que celle qui lui a résisté. Il y a contre-ordre. Le patron et l'employé se prosternent devant la poule soudain aux œufs d'or. Cependant un témoin de la scène à peine visible dans un coin sombre au bord du cadre s'incline également. Un plan caché dans la latéralité du plan modifie ce dernier par un effet humoristique. 

   L'humour est salutaire à la fiction, qui ne peut se prendre au sérieux sans dénier l'artifice qui la porte au jour et l'épanouit. Le cinéma ne devrait pas s'encombrer de la question du genre, notion commerciale. Heureusement Mizoguchi, ici, y résiste. Choisi en raison de son âge avancé pour dénicher la jolie pondeuse, le personnage d'Isobe est le bouffon de l'intrigue comme insigne atypie dans un monde où tous les rôles sont définis relativement à la sexualité. Inspirées du livre, les lunettes qui lui sont nécessaires pour déchiffrer les extravagantes instructions accompagnant l'image de la jeune femme idéale sont la métonymie burlesque de l'inanité sexuelle. Cramponné à une cordelette fixée au plafond d'un palanquin durement secoué, il arrive exténué à Kyoto, au point que l'équipage doit le soutenir et l'installer chez l'hôte où il reprend son souffle avec peine. Le caractère exténuant du voyage est noté par des plans généraux du parcours en alternance avec les plans serrés du palanquin dont la direction s'inverse pour compliquer la distance, tout cela au rythme du bond des porteurs énergiquement scandé de la voix

   Mizoguchi se révèle maître de l'économie filmique dès lors qu'il cesse de douter de la capacité du spectateur à comprendre autre chose que des paroles ou des descriptions. Voyez comme les règles implacables de la hiérarchie sociale sont illustrées sans bla-bla en quatre plans débouchant sur l'amorce du drame de la mésalliance fatale avec le premier amour : 1. Plan fixe d'ensemble, frontal, de l'imposant frontispice du palais dont la porte monumentale sous le porche s'orne de deux gardes assis en chiens de faïence de profil, en position symétrique sur les deux côtés. 2. En plan fixe très large, un petit groupe de dignitaires traverse majestueusement, dos-caméra, une vaste esplanade. En dehors de leur champ de vision à distance à leur gauche trois prosternations de roturiers se succèdent en cascade au cours du passage. 3) En plan large fixe et plongée, hors de portée distinctive, O-Haru, une suivante attachée à ses basques portant un coffret, pénètre droite-cadre. À mi-parcours du cadre, elle s'incline à distance respectueuse à la vue d'une grande dame venant à sa rencontre, suivie d'une domestique pour laquelle, poursuivant la traversée du plan, O-Haru interrompt sa marque d'allégeance. À l'extrémité gauche une femme s'incline à distance de O-Haru qui répond par un léger salut de la tête en la croisant, révérence maintenue jusqu'au passage de la suivante inclus. O-Haru sort du champ gauche-cadre. 4) Plan séquence. Pénétrant face-caméra plus vite que le travelling-arrière qui l'accompagne dans un bâtiment, O-Haru, maintenant grossie, s'arrête ainsi que la caméra pour s'incliner devant un individu encore hors-champ. Celui-ci pénètre dans le cadre par la gauche. "Où allez-vous si belle?" La posture de déférence se maintient tandis que l'homme de cour lui fait des propositions déguisées. Rompant la position, en le dépassant elle l'oblige à se retourner et avec un petit sourire : "Seigneur vous cherchez à me troubler !" Le noble badinage continuant, la caméra en accompagnant O-Haru a fait entrer dans le champ Kasunosuke visiblement affligé. À la suite de quoi dans un plan d'ensemble le jaloux s'élance à la suite du palanquin qui emporte O-Haru pour solliciter par ruse un rendez-vous au nom de son maître. Le code des préséances situe donc l'héroïne à un certain niveau de l'échelle sociale au moment où elle est reconnaissable. On remarque que la passante plus humble maintient sa marque de respect pour la servante de O-Haru qui, elle, n'a pas daigné le faire pour celle de la dame d'un rang supérieur. Quant à Kasunosuke, il se tient au second plan dans l'ombre. Le ton assuré face au seigneur suggère une certaine position sociale et même un surclassement de jolie femme, nécessaire à la dramaturgie de la déchéance. La plongée combinée à la distanciation de la caméra appartient du reste au style de l'analyse détachée des enjeux de l'intrigue.     
   Cette subtilité de langage filmique explique peut-être que la bande-son se tienne relativement à sa place en se limitant parfois à la diégèse ou, quant à la musique auxiliaire, à l'instrumentation traditionnelle, celle qui ne jure pas avec le décor... autant que faire se peut du moins, des chœurs
célestes compassionnels venant tout de même au besoin un peu aider, à la mort du mari notamment.
  Néanmoins la plus belle séquence du film sans doute, quand est accordée à O-Haru la grâce de voir son fils de loin, est magnifiquement soutenue par une furieuse ritournelle de cordes multipliées, au timbre de métal mat (un koto sans doute), véritable moulinage dans le vide qui
, contrepointé par l'égrènement d'une dégringolade en arpège, semble revenir inlassablement sur lui-même en cisaillement spiralé. 

   Sa force tient à ce qu'elle se règle sur l'hésitation, dans la conscience des membres de l'escouade affectée à sa surveillance, entre la femme indigne et la mère du seigneur.  Soit : 0. Sous écran noir, la grinçante ritournelle qui va accompagner toute la séquence. 1. En plan serré, l'escorte du jeune seigneur comprenant deux femmes se déplace solennellement le long d'une galerie à jour. 2. Recadrage en plan général de l'imposant bâtiment que borde la galerie distanciée de la caméra par l'interposition d'un jardin et un étang. À peine discernable, un petit groupe dos-caméra agenouillé dans le jardin au pied de la galerie se prosterne au passage du cortège. 3. Recadrage en axe inverse serré et plongée sur le groupe prosterné à genoux, des hommes sans arme au second entourant O-Haru détachée au premier plan. Seule, elle ose lever le regard pour suivre de gauche à droite le parcours dans la galerie hors-champ. 4. Recadrage large incluant un avant-plan où passent de gauche à droite les silhouettes à contre-jour. O-Haru se redresse recentrée par un panoramique gauche-droite. Les six hommes amorcent un redressement avant que l'un d'eux ne se résolve à s'élancer à la suite de la femme. 5. Pénétrant par le bord gauche du cadre dans le plan suivant d'abord fixe O-Haru se plante au centre face-caméra contre un pilier, le regard braqué devant elle, aussitôt environnée par les sentinelles voltigeant comme des oiseaux pour limiter son champ d'action sans la bousculer. Ils s'inclinent quand passe à l'avant-plan le noble cortège accompagné en panoramique, qui sort du champ droite-cadre. Tandis qu'O-Haru se tord le cou, les yeux écarquillés, ses gardes derrière elle manifestent tous les signes de l'alerte. Accompagnée par la caméra elle poursuit son chemin de gauche à droite suivie des autres qui tentent de la retenir (le plan se fixe). "Laissez-moi m'approcher de lui, je vous en prie." Interdits, ils la laissent repartir (panoramique) jusqu'à l'entrée (fixe) d'une galerie en tonnelle s'enfonçant dans l'axe de la caméra sous les feuillages d'un jardin. Au premier mouvement les six l'enserrent vivement et la tirent en arrière jusqu'au premier plan (qui se fixe). "C'est mon enfant, la chair de ma chair !" Se prosternant, ils la laissent s'engager dans la galerie, puis soudain se précipitent d'un seul homme dans la profondeur en une cavalcade faisant sonner les pieds sur les claires-voies tapissant le sol. O-Haru est traînée derechef en arrière jusqu'au premier plan. 6. Changement de plan. Deux porteurs sont agenouillés dos-caméra au premier plan devant un palanquin posé de profil, enveloppé d'un filet et dont la portière à l'arrière, à droite, est grande ouverte. Au deuxième plan un mur percé d'une porte ouverte dont le bas est caché par le palanquin. Elle donne sur l'extérieur où l'on peut reconnaître à son sabre un chef de la garde du domaine qui, venant vers la porte face-caméra semble chercher de tous côtés. Au son d'un ordre lancé off, il franchit la porte face-caméra et, suivi cadre, contourne un angle du mur droite-cadre pour aller se prosterner au pied d'un supérieur juché au haut d'une volée de marches, qui le suit en sens inverse jusqu'au palanquin pour interpeller une nuée de serviteurs fourmillant à l'extérieur, surcadrés par le petit carré que forme la partie visible de la porte derrière le palanquin. En même temps les deux porteurs se redressent. 7. Changement de plan. Salle du conseil. "On a perdu sa trace" est-il annoncé.  8. Plan serré recadré sur le palanquin vacant sans les porteurs. À l'extérieur à travers le petit cadre, agitation en tous sens. Fondu au noir.
   Ici le cinéma reprend ses droits. Nonobstant les réserves que m'inspire en général ce mode d'intensification, la musique extradiégétique est davantage une forme d'épure sonore du drame intérieur qu'un commentaire redondant de la scène. Elle s'apparente d'autant à la tension d'un silence qu'elle occupe la presque totalité de la bande sonore, reléguant le dialogue au minimum. L'essentiel passe donc par la filmicité : le hors-champ, le cadrage, la configuration du plan, la redistribution de ses valeurs, le rapport entre les plans. Le groupe lilliputien se prosternant au pied de l'immense bâtisse est insignifiant. Il y a plus de proximité entre cette garde non armée et la prisonnière qu'avec la caravane de la seigneurie. D'où la valse hésitation. O-Haru ose faire front quand toutes les têtes s'inclinent. Cette transgression pointe l'ambiguïté qui motive le flottement du groupe de surveillance. La présence de deux femmes dans l'escorte du fils est un trait de cruauté, à rattacher à la spoliation de l'allaitement, les soins au nourrisson ayant été confiés à d'autres femmes. C'est le sentiment que l'on croit lire en ces yeux percevant un monde bien au-delà de leur cible hors-champ. Le pilier est le point d'ancrage d'un foyer optique y prenant appui pour extrapoler la vision dans le hors-champ. La prise en contre-jour du cortège de la galerie forme, du reste, un point aveugle du drame invitant à l'outrepassement. Point de description donc, encore moins d'explication, des indices seulement. On pouvait s'attendre à voir la fugitive s'enfoncer dans d'épais taillis. Non, c'est l'agitation vaine de la multitude domestique dans un cadre minuscule et le jeu sur le palanquin vide enveloppé d'un vain filet de rétention qui en tiennent lieu. On est loin ici de l'anthropomorphisme, qui peut mener au cliché et à la surenchère.

   On comprend un peu mieux l'admiration qui peut être vouée à une œuvre par ailleurs très inégale, même si le meilleur y repose davantage sur un sens aigu du langage cinématographique que sur la singularité d'une écriture filmique. 18/09/21 Retour titre