CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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Kenji MIZOGUCHI
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L'Impératrice Yang Kwei-Fei (Yokihi) Jap. VO couleur 1955 88' ; R. K. Mizoguchi ; Sc. Yoshikata Yoda, Matsutaro Kawaguchi, Masashige Narusawa, Qui Tao ; Ph.  Kohei Suguyama ; Lum. Koichi Kutota ; Déc. Hiroshi Mizutani ;  M. Fumio Hayasaka ; Pr. Daiei, Shaw Brothers  ; Int. Machiko Kyo (Yu Huan alias Yang Kwei-Fei), Masayuki Mori (l'empereur Huan Tsung ou Xuan Zong), So Yamamura (général An Lu-Shan), Eitaro Ozawa (Yang Kuo-Chung dit Chao, cousin de l'impératrice), Tatsuya Ishiguro, (le premier ministre Li), Eitaro Shindo (Kao Li-Hsi, le chef des eunuques), Isao Yamagata (Hsien, autre cousin, honnête).

   Au VIIIe siècle, 
l'empereur de Chine Huan Tsung,  inconsolable veuf, s'adonne à la musique et à la contemplation, au détriment des affaires de l'État. Dénicher celle qui lui fera oublier la merveilleuse impératrice défunte Wu-Hui est un moyen pour se tailler une place au soleil. Le premier ministre Li a échoué avec une jeune femme envoyée par An Lu-Shan, général avide de gloire. Mais dans les cuisines de l'ambitieuse famille Yang ce dernier tombe sur une Cendrillon, dont les trois sœurs ont déjà été écartées. Une beauté sous les souillures de l'âtre. Grâce à la complicité du chef des eunuques Kao Li-Hsi, Yu Huan est introduite comme sosie de Wu-Hui au palais après avoir été éduquée dans un monastère par l'abbesse qui avait formé son modèle. Elle touche l'empereur en interprétant au shamisen, pour "consoler [son] pauvre cœur", un air mélancolique par lui composé, où elle voit un hommage à "une femme aimée à un point qu'elle ne pouvait imaginer", considérant n'être elle-même rien d'autre qu'un jouet entre les mains des intrigants. La souillon devient impératrice sous le nom de Yang Kwei-Fei.
   À la faveur de quoi ses cousins et
sœurs corrompus mènent une vie de luxe dans la capitale. Alors que Lu-Shan, maintenant gouverneur de trois provinces, aspire à une position à la cour et, qu'accablé d'impôts, le peuple se révolte contre les prétentions dispendieuses des Yang. Rappelant insolemment à l'impératrice qu'il l'a tirée des chaudrons, Lu-Shan fait un tableau pessimiste de l'avenir des Yang à la cour. L'impératrice informe en conséquence son époux de son désir de renouer avec son humble origine, le suppliant de renvoyer Kuo-Cheng, le cousin promu premier ministre, ainsi que ses sœurs. Menacée d'enfermement au harem, Kwei-Fei se réfugie chez Hsien, autre cousin. L'empereur la fait rappeler, tandis que le peuple se déchaîne. Afin d'abattre les Yang pour sauver l'empire il se donne Lu-Shan pour chef. Les trois sœurs puis Kuo-Cheng sont massacrés, le palais assiégé. L'empereur a beau sortir pour parlementer, les soldats s'emparent de l'épouse qui les suit sans résistance pour être pendue. Des années après, détrôné par son fils, l'empereur s'unit à Kwei-Fei dans la mort pour l'éternité.

  Par le truchement d'une imagerie polychrome de la fastueuse cour impériale chinoise, une complainte de l'amour en butte aux intrigues politiques, dénonçant l'ambition démesurée du pouvoir et des honneurs. Inspirée d'une légende fameuse, cette mélancolique romance est traitée comme un conte en boucle. La fin fait suite au début sur la solitude du vieil empereur déchu. L'intérêt repose sur
l'exaltation, par sa vulnérabilité aux contingences mondaines, d'un amour absolu, idéal d'autant qu'il transcende les règles sociales. Les manigances de cour s'inscrivent bien dans cette dramaturgie à laquelle elle fournit ses ressorts. C'est l'ambition qui provoque l'idylle utile à ses plans, laquelle est soustraite au monde des vivants en raison des dérèglements subséquents. Il y a moins critique politique que construction d'une machinerie à broyer s'accommodant d'un sourd manichéisme. Celui opposant un pôle du beau et du bon agencé pour la compassion, à celui des basses œuvres. 
   L'esthétique de pinacothèque ne fait qu'y ajouter de l'irréalité. Soit, une succession d'''images sublimes" comme certains se plaisent à le répéter, autrement dit valables chacune pour soi, contraires au jeu des différences approprié au mouvement de défilement de la pellicule. Le film est au service de l'image et non l'inverse. Les dessins du décor ont, du reste, été exécutés avant tournage1, en une palette de chromo ne laissant place à rien d'autre qu'à la contemplation d'une représentation à la fois archéologique et sentimentale, quitte à user du carton-pâte. L'épanchement morose l'emporte sur l'invitation à tracer un chemin inouï, l'enchantement narcissique à l'écriture.

   Mais il est aussi une forme de carton-pâte musical. Non pas la musique traditionnelle et diégétique, celle dont résonnent les murs du palais, bien qu'elle soit parfois édulcorée par des concessions aux timbres hollywoodiens (vibraphone onirique, harpe sentimentale, violons pathétiques venant pacifier quelque "sho", cet orgue de bouche par trop sauvage aux oreilles occidentales), mais celle qui s'occidentalise tout à fait pour commenter l'image "ex cathedra".
À la fête des lanternes, quand au shamisen et percussions traditionnels de la danse succèdent haubois basse ou apparenté et vibraphone extradiégétiques accompagnant une situation plus intime de l'empereur avec Kwei-Fei, le frisson de l'escapade tourne au frelaté. Le meilleur advient quand la musique off se trouve commenter comme incidemment une scène. Lors de l'entretien où Lu-Shan rappelle à Kwei-Fei sa condition afin qu'elle intercède en sa faveur auprès de l'empereur, la musique est jouée hors-champ par celui-ci, accompagné au shamisen par l'orchestre de cour. Musique ne se limitant pas à dramatiser ce dialogue décisif au moyen de ses qualités propres. Elle rend l'enjeu plus prégnant par la présence invisible d'un de ses pôles.   
   Néanmoins, il résulte au total de ce goût immodéré pour l'enjolivement visuel et auditif que tout effet de bonheur proprement filmique reste isolé : tel, à la fin, ce gros plan au sol de la parure et des chaussures, suivi d'un deuxième des bijoux jetés off, et laissés derrière la condamnée quittant lentement le champ pour l'échafaud.
  06/08/21 Retour titres 


1) Sur les dessins du décorateur Mizutani, voir le site : https://www.cinematheque.fr/article/904.html retour