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Les Vacances de M. Hulot Fr. N&B 1953 96' ; R. J. Tati ; Sc. J. Tati, Jacques Lagrange, Henri Marquet ; Ph. Jacques Mercanton, Jean Mousselle ; Déc. Henri Schmitt ; M. Alain Romans ; Pr. Fred Orain ; Int. J. Tati (M. Hulot), Nathalie Pascaud (Martine), Michèle Rolla (la tante), Valentine Camax (l'Anglaise), Louis Perrault (M. Fred).
Alors que la foule s'entasse dans le train où l'on remarque une certaine jeune fille, M. Hulot lance sa Salmson (VAL5 1925 ?) sur la route des bains de mer. Doublé par les autres vacanciers, il arrive bon dernier et surtout après Martine, la jeune personne du train, qui, importunée par les pétarades de l'antique véhicule, ferme sa fenêtre. Elle va néanmoins marquer une certaine tendresse au conducteur. Pour la petite société de la pension estivale au contraire, il s'agit, dans un jeu de quilles, d'un chien qui tenterait d'imposer des règles incompréhensibles.
À travers ces petits-bourgeois c'est la France profonde qui est visée dans sa facilité à entrer en état de somnolence au sortir d'une phase de l'histoire qui fut dominée par la haine. Finalement Hulot ne trouve grâce que devant les marginaux : un retraité écrasé par sa moitié, l'épouse délaissée d'un homme d'affaires, des enfants, une vieille Anglaise solitaire. Figure de la femme inaccessible, Martine est finalement entraînée dans le mouvement général. L'échec du protagoniste est donc tellement pathétique qu'il suscite la sympathie du public.
Ce qu'il y a de remarquable est l'indépendance relativement au cinéma dominant, et les recherches dont ce film témoigne pour échapper au carcan de la représentation (1) et du schéma narratif. Non seulement le principe d'une intrigue structurante y est refusé, mais le langage cinématographique y est déployé en tant que tel. Du côté du son : les mots sont déformables comme dans la série Hulot/(hublot)/julot/culot/fulot/führer, je vous enteng/tank.
Timbre, ton et accent sont plus importants que le sens : voix déformée et incompréhensible du haut-parleur, ton compassé des hommes politiques à la radio ("l'heure est grave !"), voix aiguë du commandant, accent banlieusard et titi, méridional (Schmutz), sud-américain, snob (Mme Dubreuil), pseudo-américain (les jeunes gens), britannique. Le nom burlesque Schmutz s'oppose aux sérieux petit-bougeois Dubreuil et Durieux (le ministre).
La musique intradiégétique, donc non directive, la plupart du temps (sur la plage, chez Martine, au bal) favorise tous les désancrages. Les bruits ou bruitages : souffle, vapeur/vagues, sifflements (oiseaux, vent, radio à lampes/voix du capitaine, fusées d'artifice, pneu se dégonflant) pétarades et déflagrations, grincements métalliques, sons burlesques (ressort de porte de la salle à manger, piano brutalisé, pouet-pouet, corne du bus) sont interchangeables. Il y a un univers libre du son, qui n'est plus une propriété des objets, détaché de sa cause. Certains sons désignent une autre cause que celle présentée, comme le grincement métallique des voitures et des fauteuils roulants ou pivotants, qui pourraient être aussi bien des chenilles ou des tourelles de char ; tandis que les pétarades de la voiture et du feu d'artifice tiennent de la mitrailleuse. Ou encore le sifflet est associé à la flexion des jambes comme si les gymnastes occasionnels se dégonflaient ou émettaient quelque bruitage incongru.
En général, les choses sont soumises aux conditions physiques d'un monde burlesque, à des coïncidences impossibles ou absurdes : la voiture noire glissant silencieusement devant une boutique à l'allure de pompes funèbres, les deux parapluies accrochés, le bateau de pêche filant par accident au bout de son câble devant des femmes dévidant des pelotes, le chien tacheté comme la chaussée où il serait resté allongé pour la sieste aussi longtemps qu'il le faut pour se confondre avec le sol environnant, la voix du capitaine et la radio, le serveur jetant son torchon sur l'épaule en synchronisme avec une cliente mettant un foulard, les donnes de bridge interférant à cause d'un siège pivotant, le tableau qui s'incline à chaque fois qu'on en redresse un autre, la chambre à air/couronne, le commandant saluant au moment où passent des mules, etc.
Certains objets se transforment par faux-raccord, comme le bus à l'arrêt devant la maison Dubreuil soudain pourvu d'une sorte de plate-forme avec un contrôleur tirant sur une chaîne comme dans les bus parisiens.
Les choses, êtres ou gestes, sont déformables comme les sons et phonèmes. Ce qu'indique aussi bien les grimaces de Tati imitant une femme à l'accent anglais, que la guimauve sauvée in extremis du sable. La maison Dubreuil est un castel où loge Martine dans sa tour comme une Dame de jadis cloîtrée (épaulettes et coiffure à macarons) ; la pétrolette, une poussette d'enfant ou une Jeep décapotée ; le fauteuil roulant du chasseur, une tourelle de char. Les toiles de tente rayées, des drapeaux américains que salue le commandant. Le geste de la main de Mme Dubreuil s'identifie de plus au salut militaire du commandant sous sa fenêtre en forme de guérite et position de mirador. Les vêtements vides sur le porte-manteau se font fantômes associés au sifflement du vent comme celui de la chambre à air du cimetière. L'éclairage antisolaire donne à Martine un air irréel, fantomatique.Au totale le sens de la majorité des plans est comme aimanté par la nature du lieu de tournage : une plage du débarquement. Comme les meilleurs burlesques (je pense à la faim chez Chaplin), Les Vacances de Monsieur Hulot s'alimente au tragique. Ici, celui de la guerre toute récente.
Qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ? Un système de décalages à effet de dévoilement, à la fois libérateur et " sommatif " : c'est bien ce que nous avons là ! 2000 (Voir également mon article publié "La disparition" ainsi que "Les Vacances de Monsieur Hulot comme écriture" in D.W., Septième art : du sens pour l'esprit, pp. 223-236). Retour titres