CINÉMATOGRAPHE 

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Lars VON TRIER
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Dancer in the Dark Dan.-Fr.-Suède VO 2000 110'; R., Sc. L. von Trier ; Ph. Robby Müller ; Mont. Molly Malen Stensgaard, François Gadigier ; Déc. Peter Grant ; M. Björk, Mark Bell ; Pr. Zentropa Entertainement ; Int. Björk (Selma), David Morse (Jeff), Joel Grey, Peter Stormare, Catherine Deneuve (Kathy (Galerie des Bobines)), Vincent Paterson, Cara Seymour, Jean-Marc Barr, Vladica Kostic… 

   Célibataire tchèque immigrée aux USA pour faire opérer son fils Gene atteint d'une maladie des yeux par elle transmise génétiquement, Selma doit malgré son propre handicap ophtalmique travailler dur dans une usine d'emboutissage afin de réunir la somme nécessaire. De plus, passionnée de comédie musicale américaine, elle répète le soir pour se produire dans un spectacle. Afin de mieux se consacrer à sa mission maternelle sacrée, elle refuse l'amour de Jeff, brave garçon toujours prêt à l'aider. Elle est soutenue d'autre part par la profonde affection de sa collègue d'usine Kathy et surtout par des rêveries éveillées de comédies musicales dont elle se fait la vedette.
   Au moment où, devenue presque totalement aveugle, elle est licenciée, le propriétaire du terrain sur lequel Selma vit avec Gene dans une caravane, ami à qui elle a confié son secret, lui vole ses économies. Un suicidaire qui la force à le tuer pour les récupérer, après avoir assuré à sa femme que cet argent était à lui. Avant d'être arrêtée, elle organise les modalités de l'opération chirurgicale dont la facture est réglée à l'insu de tous. Après un procès expéditif où elle renonce à se défendre pour protéger son grand secret, elle est condamnée à mort pour meurtre avec préméditation au mobile du vol. Non seulement elle ne veut plus rencontrer son fils, mais aussi décline la proposition de ses amis qui, ayant découvert la vérité, proposent de réviser le procès à l'aide de la somme destinée à l'intervention. Au moment ultime la condamnée apprend que l'opération a réussi. Elle rejette la cagoule qui l'étouffe, entonne une chanson et meurt pendue sous les yeux de Jeff et de Kathy.

   Les scènes musicales se déclenchent sur une impulsion rythmique quelconque : passage du train, presses de l'usine, disque trente-trois tours en boucle, battement du filin sur le mât, bruits de pas. Leur rythme complexe tient simultanément à la section rythmique auxiliaire reprise du rythme diégétique, aux mouvements chorégraphiques et aux déplacements dans le champ (notamment du train de marchandises sur lequel se déroule le ballet), aux mouvements de caméra, aux variations de l'échelle des plans et au montage. D'où les fameuses cent caméras DV pour la scène du train, qui ont rencontré déjà trop d'incompréhension.
   Ce qui est nouveau à ce titre sont la primauté du montage sur la scène et l'usage de plans très fragmentaires, rompant avec la théâtralité traditionnelle de la comédie musicale. Et le genre de cette dernière, pour la première fois au service du drame, n'est pas par hasard subverti, de même que n'est pas innocent le fait que l'auteur ait refusé toute participation financière américaine à la production. Ce film est en effet un formidable réquisitoire contre le système américain, auquel sa qualité d'étrangère rend Selma encore plus vulnérable (thème des étrangers hérité de
Breaking the Waves.)
   On a dénoncé le schématisme du procès, qui ne laisse aucune chance à l'institution américaine. Le délire autour de la peine de mort aux USA devait-il vraiment bénéficier des règles de la raison ? Le caractère implacable du processus apparaît ainsi dans toute son horreur. Le mutisme de Selma, comme l'ellipse de la plaidoirie, dénoncent au fond la toute-puissance de l'accusation dans le procès des parias de la société. Il n'y a aucune différence entre Selma et Carla Tucker exécutée par injection en février 1998 au Texas. Certains critiques ont même parlé de racolage pour faire pleurer les foules. Or il n'existe pas de procédé de racolage en soi : non seulement c'est la fin (au sens de finalité) qui le définit, mais aussi sa position et sa valeur dans le discours filmique.
   Or, aussi bien la hauteur éthique
(1) du projet que la liberté des moyens mis en œuvres, excluent absolument toute bassesse. Ce que l'on tient pour facilité en soi prend un tout autre relief dans le contexte d'une œuvre hors-genre, admettant la coexistence d'effets émotionnels contradictoires. Les scènes les plus gaies s'avèrent plus tragiques peut-être à deuxième vision que le trajet propre de l'exécution. Le ballet sur le train, comme un kaléidoscope où s'entrecroisent des mouvements à vitesse variable sur lenteur dominante, semble glisser vers un destin implacable, plus sûrement que les péripéties documentaires du couloir de la mort. 3/03/02 Retour titres