CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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François OZON
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L'Amant double  Fr.-Bel. 2017 107' ; R. F. Ozon ; Sc. F. Ozon et Philippe Piazzo, d'ap. Leves of the Twins de Joyce Carol Oates. ; Ph. Manuel Decosse ; Mont. Laure Gardette  M. Philippe Rombi  Pr. Mandarin Cinéma (Fr.), Scope Pictures (Bel.)  Int. Marine Vacth (Chloé), Jérémie Renier (Paul Meyer/Louis Delord), Jacqueline Bisset (La mère de Chloé/Mme Schenker), Dominique Reymond (la gynécologue/Mme Wexler), Myriam Boyer (Rose, la voisine), Fanny sage (Sandra Schenker).

  

    Victime sans le savoir du syndrome dit des "jumeaux cannibales", Chloé porte le fœtus malformé de sa sœur jumelle, ce qui retentit sur son équilibre psychique et affecte sa sexualité. Les douleurs pelviennes consécutives sont traitées comme psychosomatiques. Une liaison amoureuse se noue avec le psychiatre, Paul Meyer, ce qui met fin au traitement, incompatible avec un lien intime. À la fois hypnotisée par l'ambiance du Musée d'Art moderne où elle est gardienne, dont les œuvres exposées entrent plastiquement en résonance avec son anomalie, et à son insu perturbée par la présence en elle de ce corps "unheimlich", son double étranger, elle est prise d'un délire schizophrénique sur la base de la gémellité. Meyer est, pour des raisons professionnelles, un pseudonyme. Quand elle le découvre, Chloé développe pathologiquement un monde imaginaire où Paul a changé de nom pour renier son jumeau Louis Delord, psychiatre également, aussi cynique et brutal que doux et compréhensif est le frère. Sous couvert de cure psychiatrique avec une femme, elle consulte secrètement Louis, qui la séduit avec violence et la mène à son premier orgasme. La voilà Bientôt enceinte mais de qui ? Chloé rêve qu'ils font l'amour à trois et qu'une seconde tête lui pousse pendant les ébats. Jaloux, Louis insinue que Paul a une maîtresse appelée Sandra Schenker. En fouillant dans les affaires de Paul, Chloé en retrouve la trace. Elle tombe au téléphone sur sa mère. À la suite d'une tentative de suicide pour avoir été violée par Louis et quittée par Paul, Sandra est à l'état semi-végétatif. Chloé lui rendant visite croit se voir en elle. Elle s'enfuit sous les invectives de la mère l'accusant de rapports morbides avec les jumeaux. Après quelques péripéties fantasmagoriques exaspérant les tensions, Chloé revient chez Louis munie d'un revolver. Tombant sur les deux jumeaux curieusement réunis elle en abat un avant que son ventre se déchire, livrant passage au contenu monstrueux.
   Elle se retrouve, dans la réalité, en salle d'opération à l'hôpital, où on la débarrasse du parasite. Sa mère vient la visiter, avec laquelle elle était fâchée. C'est celle de Sandra dans son délire. Elles se réconcilient. Avec Paul, enfin vient l'orgasme, figuré par le reflet dans une glace de sa jumelle imaginaire brisant le verre qui vole en éclats. 
       
    Argument intéressant que le traumatisme de cette gémellité tératologique, dont l'orgasme de la jumelle survivante indique la délivrance, dans un long métrage qualifié de thriller érotique (amant/agent double). Reste à savoir pourquoi ça ne passe pas, malgré la qualité et les trouvailles de la réalisation. 

  Ce sont d'abord, côté thriller, les complications extrêmes du scénario, toute complexité pouvant toujours se résoudre en élégance, au sens mathématique du terme. Il y a certes des tentatives de solution, mais impuissantes car surajoutées, aggravantes. La réalisation s'aliène à regarder ailleurs. Hantise de Cronenberg. On nous refait Faux-semblants, avec Jeremy Irons, véritable jumeau miroir de Jérémie Renier par anagrammatisme. Le ventre se déchirant sous la poussée intérieure d'un monstre, thématique cronenbergienne, évidemment. Sauf que Cronenberg parvenait, lui, à faire d'un écheveau une épure. 

   D'où aussi la veine fantastique qu'appelle déjà le thème du double. Mais sous la forme de clichés. Déjà au générique le rideau de cheveux couvrant la face, réminiscence de certains films d'horreur, nonobstant la taille aux ciseaux allégorisant la délivrance. Le chat, en plan serré dans l'obscurité observant Paul et Chloé accouplés : bête maléfique. Alors que Paul, le bon jumeau fait don d'une bague, Louis, le mauvais, offre une tête de chat en broche à Chloé pour son anniversaire. Accueillie chez la voisine celle-ci dort dans la chambre de sa fille occupée par un chat empaillé qui la terrifie. Mystère d'un dédoublement implicite supplémentaire et adventice, avec cette fille inconnue, malade comme Sandra. Le défilé onirique, en clair obscur, des paires de jumeaux, qui n'est pas sans rappeler les jumelles de Shining, ne dépasse guère le procédé de série B. La spirale dentelée de l'escalier prise en plongée, vieille lune. Le décor demesuré du musée, elle minuscule en noir dans l'immensité blanche d'une salle géante en plan général, ou prise dans l'entrelacs de branchages tentaculaires, est bien trop ostentatoire pour être vraiment impressionnant. Et l'inflation d'effets spéculaires, gros clins d'œil du dédoublement, n'arrange rien. 

   Côté érotisme, c'est de la pornographie aseptique. Scènes brutes de coït mécanique dans une bienséante semi-obscurité. Aucune métonymie. Nul chemin de désir. Les métaphores vulve/œil et vulve/cordes vocales :  détachées bien trop ingénieuses, morceaux de bravoure filmique, étalage de savoir-faire, frisson cinégénique ! Avec sexe rasé ! On a eu beau y rajouter la sodomie au godemichet de Paul par Chloé, c'est encore pire dans le registre de la frigidité. 

   Au total, l'image sonore se montre incapable de produire la moindre émotion par des moyens filmiques. Le montage se contente de transitions économiques, voire élégantes pour le coup, notamment par le chevauchement de la collure au moyen de la bande-son (et encore ! Tout le monde fait ça maintenant). Le cadrage est soumis aux conditions de la narration. Les acteurs font de leur mieux mais s'essoufflent dans un univers inconsistant. Marine Vacth, tête maintenue hors pour l'esthétique du pôle érotique féminin, Jérémie Renier absent. On se prend à regretter qu'il n'y ait pas même entre les jumeaux la différence imperceptible mais irréductible de l'Unheimlich. Le pathos repose sur un accompagnement musical, certes intéressant par lui-même en tant que minimaliste, mais s'insinuant de partout au détriment des puissances de l'image-son. J'ai toujours l'air d'être contre la musique d'accompagnement. Non ! Dans la mesure où l'on ne peut s'en passer (confier l'intensif au cadre et au montage est plus économique donc plus fort, mais plus difficile), je condamne celle, surplombante et dictatoriale, qui ne participe pas d'un jeu avec la diégèse.  
   Voilà le paradoxe : dans le détail, que de la qualité. Dans l'ensemble déperdition massive que couronne ce happy end forcé, sentimentaliste (Chloé versant une larme sur sa jumelle anéantie puis sanglotant dans les bras de sa mère). Ne pas confondre esthétisme avec force d'écriture... 14/04/19 Retour titre