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Josef von STERNBERG
Liste auteurs
Agent X27 (Dishonored) USA N&B 1931 88' ; R. J. von Sternberg ; Sc. J. von Sternberg et Daniel Nathan Rubin ; Ph. Lee Garmes ; Dir. art. Hans Dreier ; M. Karl Hajos et Herman Hand ; Pr. Paramount Pictures ; Int. Marlene Dietrich (Marie Kolverer), Victor McLaglen (lieutenant Kranau), Lew Cody (colonel Kovrin), Gustav von Seyffertitz (le chef des services secrets), Warner Oland (général von Hindau), Barry Norton (le jeune lieutenant).
Vienne, 1915, la belle Marie, veuve d'un capitaine, se prostitue pour survivre. Passant dans la rue, le chef des services secrets l'entend par hasard exprimer son indifférence à la mort à propos du suicide d'une voisine de même condition. Il l'engage sous le nom de X27 comme agent secret pour démasquer en les séduisant les traîtres à leur patrie. Après le général von Hindau qui, découvert, se suicide, elle entreprend la conquête de son complice le lieutenant d'aviation russe Kranau, beaucoup plus coriace. Il lui échappe mais elle le retrouve au cours de sa prochaine mission, déguisée en femme de chambre, dans l'hôtel où réside le haut commandement russe. Kranau l'a repérée grâce au chat qui ne la quitte jamais. Il la fait prisonnière et détruit les renseignements qu'elle avait volés et maquillés en partition musicale. En fuite après l'avoir drogué, la jeune femme reconstituera de mémoire le contenu codé de la partition en la jouant au piano devant les officiers autrichiens. S'ensuit une série de victoires militaires. Kranau est pris. Elle demande à l'interroger et s'arrange pour qu'il s'évade. Ce qui entraîne sa propre condamnation à mort pour haute trahison. Les dernières volontés de l'espionne sont de jouer du piano et récupérer ses vêtements de Vénus des trottoirs, dans lesquels elle est fusillée après s'être remaquillée.
À la conciliation impossible de l'amour et de la guerre, répond l'ironie antiphrastique du jeu des acteurs. La retenue ludique de l'érotisme, qui passe plutôt par des voilages d'alcôve interposés que par la fièvre de corps exposés, le détachement souverain jusque dans le tragique absolu de la femme, et le sourire sarcastique tenant lieu d'expression du désir de l'homme, font merveille en libérant les images du gros pathos qui pèserait sur la circulation des affects, et la liberté de la réception. Le comble de la dérision est atteint par une forme cynique de la sincérité contraire au monde de l'espionnage. Marie a trouvé la cigarette qui contient le message secret. "- Où l'avez-vous trouvée ? demande le général von Hindau. - Dans la poche de votre manteau." répond l'espionne d'un ton équanime, faussement candide. C'est ridiculiser le bellicisme patriotique, avec un romantisme suicidaire que figurent l'étrangeté du petit félin, ce double symbolique de l'espionne, et le langage musical secret de celle-ci.
X27 voudrait d'abord racheter son déshonneur de femme vouée à la rue en se sacrifiant pour son pays mais finalement, tout en provoquant par dérision le désir sensuel contraire à l'esprit de l'exécution, elle rend honneur à son premier état de prostituée sous les salves du peloton. Le jugement sanctionnant la haute trahison d'une espionne, s'avère injustice envers les femmes forcées de vendre leur corps dans les temps de trouble.
Cette liberté de ton soutient l'indécision des valeurs. Comme élément de différance elle procède de la même distanciation que l'esthétisation. Celle de la star introduit du faux qui libère du vrai en se combinant avec l'ironie du personnage. De même que l'accent mis sur l'espace quadratique. L'esthétique du plan chez Sternberg repose, on le sait, sur une forme de saturation de la surface écranique. Du matériel de chimie dans le bureau du chef des services secrets occupe le premier plan. Ce qui est motivé et s'accorde en outre avec la blouse de laborantin de l'assistant. D'étrange manière est ainsi illustrée la scientificité des services secrets, accroissant le mystère car on est fondé à ne pas s'attendre à des alambics dans un bureau des services secrets. Genre de parti pris qui ne devrait pas, pour des raisons d'économie, se détacher de toute nécessité diégétique. Les surimpressions fantasmagoriques, un peu trop systématiques des fondus-enchaînés remplissent tout de même une fonction de transition. Ce n'est pas le cas de serpentins de la fête nocturne masquée mise à profit par Marie pour capturer von Hindau. D'autant discutable que le burlesque de la scène (qui casse en outre la distance ironique d'ensemble) tombe à plat.
Néanmoins, Sternberg sut avec l'Ange bleu assumer remarquablement la mutation sonore et en tirer parti tant qu'il se sentait libre. On est encore dans cette liberté, qui se nourrit de l'amour du son comme résonance diégétique. Le fait que la musique soit essentiellement d'écran, et émane de l'action des doigts de l'héroïne sur le clavier, affirme le son comme matériau et non voix olympienne dictant sa loi. Car le son diégétique interagit avec les autres données diégétiques. C'est une pièce du jeu, un élément d'écriture. Tout en participant de l'univers et le caractérisant, l'élément de la pluie, marque le besoin de refuge loin du trottoir, celui des avions annonce avec la liberté de Kranau la condamnation à mort de Marie. Mais le son diégétique a également pour corolaire le silence, des plages de silence comme temporalité où mûrissent les paroles. C'est alors de la durée concrète, consubstantielle à l'action. Ainsi la liberté du faux s'appuie-t-elle sur la crédibilité du monde diégétique.
De même que, en dehors des effets sublimatoires sur l'héroïne, les éclairages, qui paraissent très modernes, alors que l'on n'avait pas les moyens techniques de la modération et du nuancement actuels, ne sont jamais intrusifs. 06/11/19 Retour titre