CINÉMATOGRAPHE 

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Victor SJÖSTRÖM
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Le Vent (The Wind) USA Muet N&B 1928 73' ; R. V. Sjöström ; Sc. Frances Marion, d'après Dorothy Scarborough ; Ph. John Arnold ; Déc. Cedric Gibbons ; Pr. Irving Thalberg/MGM ; Int. Lillian Gish (Letty Mason), Lars Hanson (Lige Hightower), Montagu Love (Roddy), Edward Earle (Beverly), Dorothy Cumming (Cora), William Orlamond (Sourdough).

   Venant de sa Virginie natale, Letty va vivre chez son cousin et frère de lait Beverley dans l'Ouest désertique balayé par des vents terribles. D'emblée elle doit, avec le vent, affronter la haine de Cora, l'épouse jalouse à la fois de Beverley et de ses enfants, qui témoignent à Letty de l'affection. Elle se trouve plongée dans un véritable cauchemar. Mise en demeure par la maîtresse de maison de quitter le ranch, mais terrorisée par la désolation de cette région hostile, elle ne peut rejeter les propositions d'union de Roddy, marchand de bétail rencontré dans le train. Cependant, tout en maintenant sa demande, il s'avoue marié.
   Il ne reste à la pauvre fille totalement démunie matériellement et moralement qu'à épouser Lige, brave cow-boy du voisinage qui, découvrant le soir des noces qu'elle ne l'aime pas, fait le serment de ne jamais la toucher et de gagner la somme nécessaire pour la renvoyer chez elle. Cependant en l'absence du mari, Roddy survient par une nuit de violente tempête. Violée, terrorisée, elle le tue, à demi consciente de son geste. Le cadavre par elle enfoui dans le sable est découvert par le vent. Elle avoue le meurtre à Lige à son retour ; mais plus trace de cadavre. Il comprend et pardonne : "le vent est bien étrange. Si un homme est tué pour de justes raisons, il finit par le recouvrir". Elle comprend qu'elle l'aime et qu'elle a maintenant la force d'affronter le vent. Le dernier plan les montre face au vent dans l'entrée de la maison, illuminés par une sorte d'aurore.

   Se réglant au concours de tir au début,
la compétition amoureuse entre Lige et son associé Sourdough introduit une note burlesque. Le burlesque est un excellent passeport pour le tragique comme on sait. Davantage, le happy-end fabriqué sur ordre ne diminue en rien la profondeur tragique du film. Celle-ci est soutenue par le mythe indien du vent figuré par un cheval sauvage, furieuse métaphore des épreuves de Letty.
   Mais il faut compter aussi avec l'expressivité du visage de Lillian Gish modulé par des éclairages fins, n'écrasant jamais ses traits délicats. Expression de terreur, ou de lassitude extrême, au bord de l'évanouissement, en alternance avec les effets extérieurs du vent. Sur ce beau visage encore enfantin sans être angélique, la caméra capte des nuances successives inattendues : les mimiques de dégoût dues au café de Lige (métaphore sexuelle) se changent instantanément en bonne figure dès qu'elle se sait observée. Nul besoin d'intertitres. De même pour l'éloquent échange de regards lorsque Lige découvre le café versé au fond d'une cruche. Que dire de l'œil prédateur de Roddy admirant Letty en photo à travers la visionneuse ?
   Outre visages et regards, les comportements n'ont rien de convenu. Letty est d'abord paralysée par les flammes provenant de la lampe à pétrole renversée par le vent sur la table. Un laps de temps s'écoule avant qu'elle n'étouffe les flammes sous une couverture.
   Surtout, ces effets du savoir-faire narratif sont sous-tendus par le jeu symbolique (1). Rody affligé d'un tic de la main affectant de chasser sur soi des impuretés, Cora détachant le cœur d'un bœuf avec un énorme couteau, l'assiette mal empilée en gros plan venant s'ajuster dans une autre (juste retour des choses…) sous l'effet du choc du corps de Roddy sur le sol, la scène prométhéenne de la pelle de Letty qui entame à peine le sable surplombé par un semblant de croix funèbre provenant d'un poteau du corral…
   On ne contredira donc pas la tradition, qui qualifie ce film de chef-d'œuvre. 15/04/01
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