liste auteurs
Le Goût du riz au thé vert (Ochazuke no aji) Jap. VO N&B 1952 116' ; R. Y. Ozu ; Sc. Y. Ozu, Noda Kogo ; Ph. Yushun Atsuta ; Son Benou Yoshisobuto ; Mont. Hamamura Yoshitosu ; M. Ichiro Saito ; Pr. Shochidu ; Int. Saburi Shin (Mokichi), Kogure Michiyo (Taeko son épouse), Tsujima Keiko (Setsuko, la nièce), Tsuruta Koji (Nonchan, le protégé de Mokichi), Awajima Chikage (Aya, l'amie de Taeko), Myake Kuniko (la sœur de Taeko).
La vie conjugale de Taeko et Mokichi, couple mûr sans enfants est devenue routinière. Taeko ment pour s'évader avec ses amies dans des lieux de villégiature où elles épinglent leurs assagis conjoints. Mokichi semble entièrement absorbé par son métier de cadre. Appelé professionnellement à voyager en Uruguay, il avertit son épouse par télégramme. Elle rentre volontairement trop tard. Mais l'avion ayant fait demi-tour à la suite d'une avarie, le mari revient pour la nuit. Cette situation imprévue entraîne, avec la prise de conscience de Taeko, une bouleversante réconciliation.
Le contexte social et familial revêt une importance extrême. Une rencontre est organisée entre un jeune homme et la nièce Setsuko. Celle-ci s'échappe avec la relative complicité de Mokichi, qui ment aussi pour l'occasion. Taeko se montre alors extrêmement dure pour elle et surtout pour son mari, qu'elle humilie en soulignant la différence d'origine sociale. Elle pense pourtant avoir elle-même souffert de son mariage arrangé. D'autre part Setsiko déclare fermement ne vouloir épouser qu'un homme qu'elle respecte. Une complicité s'établit entre elle et Nonchan, sorte de jeune Mokichi qui, comme son mentor, aime le riz dans le bouillon, ce qui exaspère Taeko à cause du bruit d'aspiration, lequel n'inquiète nullement la jeune femme.
Ozu n'hésite pas, au fil du récit, à glaner à la périphérie pour mieux aller au cœur des choses. La construction est, à ce titre, sous son aspect lâche, extrêmement rigoureuse. Ainsi la relation Setsuko/Nonchan ouvre et ferme symboliquement le récit. Dans la première séquence, Setsuko en voiture avec sa tante fait remarquer Nonchan déambulant sur le trottoir en se demandant ce qu'il fait là. Dans la dernière elle essaye en vain de le distancer dans la rue, comme pour fuir son inéluctable destin. L'histoire se répète donc en se renouvelant.
Ce qui donne cependant un réel prix à ce savoir-faire narratif est le sens de l'art, qui se manifeste à travers un humour proprement filmique, lequel n'est que l'émergence d'un travail symbolique(1) généralisé. Ainsi le son de l'avion qui emporte Mokichi rappelle celui, malséant, de l'aspiration du bouillon. Les adieux de la famille agitant les bras au bord de l'aéroport, désancrés par un rejet hors champ de l'avion, sont accentués par des changements de plan. Même jeu de désancrage sur la course de vélo filmée frontalement à distance, de sorte qu'on ne distingue pas la position relative des concurrents dont les changements sont signalés par les réactions fiévreuses de la foule des spectateurs. Un raccord analogique relie ironiquement les rangées superposées de projecteurs du stade où se trouve Taeko pour son plaisir, au quadrillage de la croisée chez elle où l'appel d'urgence la contrarie.
Dans la voiture au début, tante et nièce sont exagérément secouées de concert comme deux poupées mécaniques aux mouvements exactement coordonnés. Le sentiment de désarrois de Taeko prenant le train pour s'éloigner de son mari est à l'image de ces structures métalliques croisillonnées que traverse bruyamment le train en franchissant un viaduc. Les compositions du cadrage en intérieur chez Ozu sont toujours fascinantes parce qu'avec la prise de vue frontale à "hauteur de tatami", le cadre ne fait qu'inclure d'autres cadres ad hoc (composition quadratique). Ainsi les personnages circulent-ils chez eux comme sur la pellicule, passant d'un plan à l'autre en changeant de pièce dans un même cadre. Les sorties de champ ne sont donc pas de vraies sorties de champ quand on ne fait que passer derrière une paroi. Cela devient même ludique lorsque pour contourner un obstacle chez elle, Taeko disparaît derrière un panneau rétrécissant le cadre à gauche au deuxième plan puis ressort au premier plan. Ce qui donne lieu à des raccords originaux, comme celui où les personnages étant sortis du champ à l'arrière-plan, le plan reste un moment fixe, puis la caméra par travelling-avant semble les suivre. On se retrouve ensuite au stade par coupe franche : c'est donc la caméra qui décide et non les personnages, façon de souligner l'artifice disposant encore mieux le spectateur rassuré, à adhérer à la suite.
Enfin le son. Si la musique débarque parfois pour compenser quelque impuissance de l'image, montrant par exemple le désespoir d'un des époux sur un mode tout à fait plaintif, elle reste en général assez discrète et produit des effets d'ironie intéressants, comme la grandiloquente musique symphonique à l'aéroport. Mais une fois de plus se confirme ceci : que les sons diégétiques seraient amplement suffisants. Non seulement les bruits du train mais aussi l'appel des klaxons modulés hors champ pour souligner une ambiance. En définitive, loin d'être parmi les meilleurs d'Ozu, peut être parce qu'il est assez moraliste avec, semble-t-il une légère préférence, inhabituelle, pour les hommes, ce film porte honorablement la griffe du maître japonais. 2/07/01 Retour titres