CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Ken LOACH
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The Navigators GB VO 2001 95' ; R. K. Loach ; Sc. Rob Dawber ; Ph. Mike Eley et Bony Ackroyd ; Son Roy Beckett ; Mont. Jonathan Morris ; M. George Fenton ; Pr. Peter Gallagher, Rebecca O'Brien ; Int. Dean Andrews (John), Thomas Craig (Mick), Joe Duttine (Paul), Steve Huison (Jim), Venn Tracey (Gerry), Andy Swallow (Len), Sean Glenn (Harpic).

   Terrifiant constat de la liquidation de la dignité des Cheminots à la suite du démantèlement en 1995 de British Rail. Le récit est centré sur une petite équipe du dépôt de chemins de fer de Sheffield, disloquée par la redistribution de la sous-traitance et qui ne se trouve par hasard réunie un beau jour sur un même chantier que pour voir mourir l'un d'entre eux (Jim), heurté par un train à cause de la déréglementation.

   Le premier mérite ici, loin du didactisme, est de laisser pressentir progressivement le drame social par des symptômes dont parfois le sens ne s'éclaire que beaucoup plus tard. Ainsi, lorsque le chef d'équipe s'essaye au discours néolibéral de la nouvelle direction, il est accueilli par des éclats de rire et des plaisanteries visant l'incongruité des mots nouveaux en regard de structures qui semblaient à jamais acquises. Davantage, le système fondé sur la concurrence engendre maintes situations d'autant plus cocasses qu'elles sont tragiquement absurdes. On voit bien que l'obsession des économies entraînant la suppression des droits élémentaires, comme le congé maladie ou les congés payés, se traduit par du gaspillage, lorsque par exemple plusieurs équipes de sociétés concurrentes se trouvent sur le même poste de travail, ou qu'on détruit du bon matériel pour qu'il ne tombe pas entre des mains concurrentes.
   Un humour imperceptible enveloppant tout le récit confère une perspective particulière à ce comique du choc des deux mondes, l'un reposant sur le contrat social, l'autre ne connaissant de loi que le profit. Cet humour se manifeste à tout propos, par exemple Paul, qui a des difficultés avec son ex-épouse, croisant un chien à trois pattes. En évitant le pathos il donne la mesure véritable de la catastrophe, et ne rend que plus tragique le moment où chacun prendra conscience que la vérité même a basculé, donc qu'on ne rit plus des mêmes choses.
   L
a vie amoureuse et sexuelle de certains commence à dérailler avant même que les effets économiques et socialement déstabilisants ne se fassent ressentir. On assiste ainsi à la désocialisation d'un groupe qui, de solidaire et complice au départ, finit jusqu'au cou enfoncé dans la peur et le mensonge. Tant et si bien qu'à la fin l'humour, sorte de détournement apte à changer un déficit moral en bénéfice de plaisir, est remplacé par une forme de détournement aggravant, au contraire. Ainsi, tandis que ses compagnons discutent de savoir s'il faut transporter ailleurs le blessé parce qu'il est en situation irrégulière au regard de la loi, tout en sachant que le déplacer peut lui être fatal, les pétarades de la bétonneuse ne cessent de parasiter désagréablement tout le débat.
   La cause juste est un moteur puissant, le seul supportable à défaut d'art
(1), dans la mesure où la réalité, à ne pas confondre avec le réalisme, n'est pas affadie. Or dans la description du travail, Loach s'est efforcé, grâce au plan-séquence et à une préparation documentaire minutieuse (le scénariste est un ancien cheminot), de faire sentir le poids et la valeur du métier. Quant à la représentation (2) de la vie intime, elle atteint à l'authenticité de n'être pas soumise au déterminisme thématique et narratif, donc au cliché cinématographique. La scène sensuelle par exemple entre Paul, séparé de sa femme, et la secrétaire, divorcée, est interrompue, événement fort naturel, par la fillette de celle-ci, qui ne peut pas dormir. Mais l'épisode érotique qui s'est si bien fait désirer ne viendra pas. L'ellipse abolit ainsi le cliché, par lequel le cul est à lui-même sa propre fin.
   Que peut-on attendre d'un film dégageant une force sans atteindre à l'écriture ? Qu'il élargisse notre conscience. C'est gagné, non sans l'aide tout de même d'une certaine dose de sensibilité artistique, qui permet de ne pas se contenter d'un schématisme facile. 24/03/04
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