CINÉMATOGRAPHE
et écriture

 

Vampyr de Dreyer : synopsis

 

Espèce de pèlerin de la nuit, Allan Gray débarque muni d'un attirail de pêche à l'hôtel de Courtempierre au bord de la rivière, et dont l'enseigne se découpe lugubrement sur le ciel. Fermé à cette heure-ci, mais par une lucarne du toit une jeune fille le prie d'entrer par derrière. En parallèle, un homme portant une faux sonne le passeur, qui le fait traverser. La jeune fille conduit le voyageur à sa chambre. Par la fenêtre il peut voir l'homme à la faux face à lui emporté par le bac. Une gravure macabre qu'il détaille à la bougie orne le mur. Quelque part dans la maison, une voix murmure "Tu dois vivre". Sortant sur le palier le jeune homme croise dans l'escalier un vieillard aveugle, épouvantable gueule-cassée. Quand il retourne dans sa chambre la même voix poursuit : "que le sang soit rendu à ses veines" (travelling avant sur la porte). Il s'enferme vivement à clé mais à peine couché on frappe à la porte. La clé à l'intérieur tourne d'elle-même dans la serrure. Un homme en robe de chambre pénètre dans la pièce. "Qui êtes-vous ?". L'inconnu remonte le store et répond "Silence !". Puis, s'approchant du lit : "- Il ne faut pas qu'elle meurt vous m'entendez ?". Retournant à la fenêtre, il écrit à la lueur de la lune : "à ouvrir après ma mort" sur un paquet scellé qu'il laisse à Allan avant de disparaître par la porte.
   Allan perçoit un appel de détresse par une voix intérieure lui commandant d'apporter son aide. Il pénètre dans une fabrique désaffectée où l'ombre d'un militaire unijambiste, assis, en appui sur son fusil, se détache du corps et gravit une échelle. Une vieille femme s'avance dans un hall désert. Le double reprend sa place d'ombre portée. La Vieille l'interpelle hors-champ : "Hé l'estropié !" Doublé de son ombre, Justin, le militaire, se lève docilement et se dirige vers l'escalier où émerge l'auteur de la voix. "Obéis !" Des ombres de danseurs s'agitent au rythme d'une mazurka tétanique interprétée par d'autres ombres. La vieille femme (plan d'ensemble en plongée dans le hall au décor sur-éclairé projetant divers objets en mouvement de façon
hallucinante) y met fin en criant "silence !"
   Au dehors, en plan de coupe repris à intervalles, l'ombre d'un fossoyeur filmée à l'envers jette de la terre à la volée à l'aide de sa pelle. Par une trappe, Allan débouche dans une pièce où repose un cercueil neuf ouvert, bourré de copeaux. Par terre à côté, une plaque abandonnée annonce "docteur médecin". Des crânes adultes et des squelettes d'enfants dont un affublé d'ailes
noires par un effet d'ombres portées, ornent le dessus des meubles. Des jappements retentissent. Dans l'escalier, Allan rencontre venant de l'étage supérieur un homme à lunettes, au visage chiffonné, ébouriffé jusqu'aux moustaches, le médecin, qui ne semble pas le voir tout d'abord. Il s'arrête en bas devant la porte d'entrée, se tourne vers sa droite où il marque un temps d'arrêt en dressant l'oreille puis s'adressant à Allan : "vous avez entendu ?". Il remonte jusqu'à l'autre qui répond : "- Oui, les enfants...". "- Il n'y a pas d'enfants ici" "- Mais les chiens ?". "- Il n'y a ni enfants ni chiens". En contre-bas, la porte donnant sur l'extérieur s'ouvre d'elle-même. Il s'empresse d'y redescendre. La vieille femme émerge de ce qui paraît être l'escalier de la cave à droite de l'entrée. Il l'assiste avec déférence. Des têtes de mort en pivotant la suivent de leurs orbites vides. Elle remet au médecin une fiole de poison noire frappée d'une tête de mort blanche surmontant deux tibias en sautoir de même. Un ricanement retentit. Un panoramique dévoile la présence d'un perroquet. 
   Allan se trouve maintenant dans un parc planté d'arbres vénérables où fuient des ombres humaines. En les suivant il avise un château où, avec ses deux filles, Léone et Gisèle, et des domestiques, vit l'homme qui lui est apparu dans sa chambre, dans la même tenue d'intérieur. Muni d'un candélabre, le père (il s'agit de lui) visite la chambre où Gisèle dort puis celle de Léone veillée par une religieuse garde-malade. "Ses plaies sont presque guéries", fait-il remarquer. Mais Léone hurle : "Le sang ! Le sang !" Le châtelain recommande : "N'allez pas dormir avant l'arrivée du médecin".
   Allan s'approche du château dont il observe l'intérieur à travers une fenêtre. Soudain il lève la tête alors que se projette en raccord au plafond l'ombre d'un long couvercle qu'entrebâille une main, laissant passer un fusil disposé à l'envers, qu'on épaule. Un coup de feu éclate. Le châtelain s'effondre. Le candélabre couché continue de brûler. Allan frappe au carreau. Le majordome lui ouvre la porte. Ils trouvent la victime agonisant. Gisèle et la garde-malade sont accourues. Le moribond tire de sa robe de chambre un petit cœur en argent qu'il tend à sa fille avant d'expirer. On attelle la calèche. Allan explique à Gisèle interrogative : c'est pour aller à la police, ce qui semble l'effrayer. Le pas du cheval s'éloignant se prolonge anormalement. Allan ouvre le paquet qui contient un livre intitulé
L'Etrange histoire des vampires de Paul Bonnat.
   Sans que les rares paroles s'éliminent, les pages du livre, lues d'abord par Allan, vont tenir lieu dorénavant de carton, annonçant au fur et à mesure l'action, transposition des exemples donnés. Soudain le lit de Léone est vide, énigmatiquement, le temps d'un aller-retour de la caméra pour suivre la garde-malade, partie du chevet à gauche pour sortir à droite de l'autre côté du lit dans un cabinet de toilette. Gisèle qui l'a aperçue par la fenêtre du salon errant dans le parc en chemise de nuit, l'appelle d'un ton doux et plaintif, presque animal. Avec Allan ils se précipitent au dehors suivis du majordome, Allan répétant "allo !" en contrepoint des appels de Gisèle dans un espace sonore ouaté. Ils trouvent Leone inconsciente à demi allongée sur un banc de pierre, la vieille femme penchée sur
elle, exacte illustration de ce qu'Allan vient de lire concernant des vampires. Dès qu'elle décèle leur présence, la vampire s'éclipse. La malheureuse est transportée dans son lit par le serviteur principal et son épouse.
  Allan poursuit sa lecture qui explique la raison du stigmate au cou. Léone pleure de désespoir : "Ah si seulement je pouvais mourir !"
articule-t-elle en découvrant ses incisives supérieures. Puis en suivant des yeux sa sœur elle prend une expression de concupiscence cruelle à laquelle elle renonce hargneusement en voyant la religieuse rejoindre Gisèle. La calèche revient mais le cocher s'effondre, mort. On entend très distinctement les pas du cheval, identiques à ceux du départ. Dans le livre il est question d'un médecin qui aidait les vampires en Hongrie. Coïncidence : la sonnette électrique annonce le docteur. Il ausculte la malade qui respire péniblement. "Il lui faut du sang humain". Il fait une saignée à Allan dans une pièce adjacente puis retourne auprès de Léone.
   C'est le serviteur principal qui poursuit la lecture du livre. Il y est mentionné l'existence d'un vampire dans le cimetière de Courtempierre, Marguerite Chopin, ainsi que la méthode à suivre pour l'anéantir, au moyen d'un épieu. Il s'agit de la vieille femme. Le livre explique aussi que les victimes sont poussées au suicide pour se perdre définitivement. Le docteur ordonne à la religieuse d'aller se coucher puis ferme la porte sur Allan. Celui-ci lui crie qu'il perd son sang. Le docteur entrebâillant la porte lui répond cyniquement qu'il ne peut être perdu puisqu'il est ici (le sang prélevé), puis referme. Allan s'assoupit.
   Le serviteur lit la page sur l'histoire du vampire Marguerite Chopin du cimetière de Courtempierre. Une porte bat. Il se retourne. Le docteur jette un regard au dehors par une fenêtre de l'étage. Un cri rauque retentit. Allan fait un cauchemar où un squelette serre dans sa main la fiole de poison du médecin. Il est réveillé par le serviteur principal : "Venez vite, il se passe quelque chose d'effroyable ! Venez vite !". Il aide Allan à enfiler sa veste.
   En parallèle la main de Léone saisit la fiole. La colonne torse du lit dramatise par analogie les
phalanges de la main refermée sur le produit mortel. Dans l'escalier, projections mouvantes de lumière à travers les pilastres, accompagnées d'inquiétantes modulations de scie musicale. La musique auxiliaire s'interrompt. Panoramique silencieux dans le salon au rez-de-chaussée. Au dehors, des ombres transparentes au sol fuient.
   Bousculant le médecin, Allan empêche la jeune fille de porter la fiole à ses lèvres puis retourne au parc. Léone se lamente : "Ma sœur, j'ai peur de mourir. Mon Dieu ! Mon Dieu !". La religieuse se met en prière après l'avoir consolée. Allan court dans le parc. Le serviteur qui s'apprête aussi à sortir, déclare à la religieuse : "Il ne faut pas qu'elle meurt. Qu'elle vive jusqu'à l'aube !".
   Épuisé après une chute, Allan s'assoit sur un banc et son double transparent se détache pendant que le serviteur muni d'outils se dirige vers le cimetière. L'action est entrecoupée à intervalles par des plans fixes du ciel. Le double d'Allen retourne chez le docteur où gît un cercueil recouvert d'un linceul. Il y découvre son propre cadavre étendu. Dans une autre pièce, Gisèle est prisonnière, les mains attachées aux barreaux d'un lit de fer. Le docteur rentre dans la maison, prend la clé cachée dans une haute horloge comtoise à l'entrée de la pièce où est détenue Gisèle mais, sous les yeux du double d'Allan embusqué, renonce à ouvrir.
   Après avoir vu son propre corps inerte dans le cercueil, il s'y glisse pour s'y fondre. Justin met en place sur lui le couvercle percé d'une lucarne vitrée. Pendant qu'il le fixe au moyen des vis et à l'aide d'un vilebrequin, la musique s'interrompt. Seul résonne le grincement de l'outil. Marguerite Chopin l'observe un instant à travers la vitre du couvercle scellé. Le docteur donne des ordres à des serviteurs. On transporte le cercueil et le paysage défile en contre-plongée avec des contrechamps sur le visage secoué aux yeux grands ouverts et expressifs tout en étant
fixes du mort à travers la vitre balayée par l'ombre des feuillages. Ayant croisé le banc, le cortège se dissout dans le coin supérieur droit de l'image et le double réintègre son corps naturel.
   Entre-temps, le serviteur ouvre la tombe de Marguerite Chopin à l'aide d'un pied-de-biche pour dégager le cercueil. Allan vient lui prêter main forte. Le corps est intact mais se transforme en squelette après le rituel de l'épieu, qui est entrecoupé d'images du ciel. Leone se dresse dans son lit : "je me sens forte. Mon âme est libre". La tête en plan serré paraît détachée au milieu des draps. Elle pousse un soupir et s'immobilise, les yeux fixes (est-elle morte ?). En parallèle, le serviteur finit de refermer la tombe.
   Chez le docteur, Justin joue de la mandoline. Des éclairs font apparaître la tête gigantesque du châtelain encadrée dans la fenêtre. Le docteur et Justin ont un mouvement de recul. Justin essaye de franchir une porte. Le docteur disparaît par une autre porte vitrée qu'il referme derrière soi et que Justin ne parvient pas à ouvrir non plus. Un éclair y découpe la silhouette du perroquet. Un rire dément éclate. Le docteur ressort en courant. Un cri. À la suite d'une chute mortelle dans l'escalier Justin est étendu inerte, la tête renversée, les yeux fixes.
   Les mains d'Allan en gros plan libèrent celles de Gisèle. À l'extérieur le jeune homme ouvre une barrière pour livrer passage à la jeune fille. Le docteur se réfugie dans un moulin, mais une porte de fer grillagée se verrouille derrière lui. Il est pris au piège dans une cage située sous la meule dont les rouages se mettent en mouvement. Le serviteur paraît au-dessus, sur le bâti de la machine, indifférent aux appels du prisonnier qui meurt étouffé après un dernier cri sauvage sous des masses de farine au rythme d'un battement mécanique.
   En montage alterné, Allan et Gisèle traversent en barque un étang brumeux. Ils lancent des appels. Un
passeur sur la rive les guide en écho puis vient les aider à accoster. À travers de hautes futaies, se tenant par la main, dans une vision lyrique en plan d'ensemble, baignée d'un reste de brume que traversent les rayons naissants du soleil et animée par le vent traversant les feuillages, ils se portent à la rencontre de la lumière de l'aube s'intensifiant. La coda de la musique auxiliaire s'amorce, puis à la faveur du retour du plan sur les engrenages s'immobilisant peu à peu, est déviée sur un thème tragique avant de s'achever sur une note d'espoir correspondant au mot fin. (voir également le commentaire)

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