CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Steven SODERBERGH
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Solaris USA VO 2003 96' ; R., Sc. S. Soderbergh, d'après Stanislaw Lem ; Ph. Peter Andrews, S. Soderbergh ; Mont. S. Soderbergh ; M. Clift Martinez ; Pr. James Cameron, Rae Santini, Jon Landau/20th Century Fox ; Int. George Clooney (Chris Kelvin), Natascha McElhone (Rheya Kelvin), Viola Davis (Helen Gordon), Jeremy Davis (Snow), Ulrich Tukur (Gibarian).

   À la suite de phénomènes mystérieux affectant gravement le comportement de l'équipage, Gibarian le chef scientifique de la station Prométhée en orbite autour de Solaris, fait appel au psychologue Chris Kelvin, qui accepte de quitter la terre pour lui venir en aide. Il débarque bientôt pour constater le désastre : sur quatre membres, deux suicidés dont Gibarian, un troisième, Snow, délirant et un quatrième, Helen Gordon, cloîtrée dans sa cabine, sans compter un garçonnet inconnu qui hante les coursives. On lui fait savoir qu'il comprendra bientôt par lui-même de quoi il retourne.
   Au cours de la nuit, Rheya, son épouse morte depuis dix ans, se trouve soudain à ses côtés. Solaris, une entité intelligente, a la capacité de matérialiser les fantasmes tapis au fond de la conscience. Le garçonnet est la reproduction du fils de Gibarian. Chris enferme d'abord Rheya dans un module qu'il envoie dans l'espace, mais il ne résiste pas à la deuxième incarnation, qu'il veut ramener sur terre contre l'avis de Helen Gordon. Rheya s'était suicidée et il veut recommencer avec elle à zéro. Mais Rheya n° 3 comprenant sa propre nature de simulacre généré par la conscience de Chris, préfère disparaître avec l'aide de Helen qui la bombarde de rayons subatomiques. Entre-temps, Snow s'étant suicidé, et la station en perdition menaçant d'entrer en collision avec Solaris, les deux survivants se préparent à rentrer sur Terre. Chris décide
in extremis de rester cependant. La chute de la station s'accélère. L'esprit de Chris intensifiant ses échanges avec le passé, un vrai-faux Chris retrouve sa fausse-vraie Rheya pour toujours.

   Remake de la version de Tarkovski (1972), dont les droits ont été rachetés. La différence tient au sens artistique. L'un l'a, l'autre pas : autant, témoignant d'un amour de l'homme et de la vie, le devancier possède un sens profond de la réalité humaine, des modalités de perception de la mémoire et du fantasme, des regards et des gestes de l'amour rendus de façon inimitable avec des moyens filmiques, autant le suiveur se contente de notions rudimentaires, exprimées à travers des clichés glanés dans quelques films-cultes, ce qu'un critique aveugle ou poli appellerait "rendre hommage" :
2001, Blade Runner, etc.
   Soderbergh ne paraît pas être conscient du fait que la moindre fausse note grève la totalité d'un film. Snow, le psychopathe de service, semble répéter son numéro pour la galerie. Le visage de Natasha McElhone est impavide, ses gestes d'amour, des actes de palpation télécommandés. Bien que rappelant par le maquillage Natalia Bondartchouk, sa préfiguration à trente ans en arrière, elle est à des années-lumières du jeu bouleversant de celle-ci. Quant à Clooney (Galerie des Bobines), le personnage est techniquement surtraité. Un éclairagiste s'amuse à sculpter son visage, en accentuant les fosses orbitales ou les plissements de front sans savoir vraiment pourquoi (réminiscences de Kaidanov dans
Stalker ?). L'acteur fait bien son boulot en général ce qui n'exclut pas certaines attitudes et expressions fausses qui ont échappé à l'attention du monteur (Soderbergh soi-même) : voir notamment à la fin, le double retrouvant sa moitié.
   L'ensemble de la réalisation traduit un doute fatal. Le chef opérateur semble découvrir qu'on peut produire des effets d'anamorphose par le point. Le monteur (Soderbergh), qui sent bien que cela fait poétique, ne s'en lasse pas. Non satisfait du résultat cependant, réalisateur pour le coup, il assène le contenu de l'image à l'aide des puissants outils à sa disposition : cadrage, montage et musique de soutien. Le pauvre spectateur est sommé d'éprouver de la compassion pour ces personnages pressés comme des citrons par la machine pour que leur jaillisse du corps le jus de l'émotion. Un effort a bien été fourni quant au décor, très "high tech" et glacé... comme les personnages.
   Enfin, un soubassement éthique
(1) de catéchisme, dans le goût du fameux "God bless America", qui maquilla naguère la conquête économique en guerre sainte, trahit définitivement la boursouflure. Pour le convaincre de reprendre une vie à deux, Rheya, qu'on suppose dans les petits papiers du ciel tout à coup confondu avec l'océan, informe Chris "qu'ils ont été pardonnés". Voici qu'un thème qui permettait de poser des questions touchant le fond essentiel du tragique humain, se trouve ramené à l'absolution des improbables
pêchés de deux individus lambda.
   L'histoire qui, chez Tarkovski, était riche d'un monde où la nature, les animaux familiers, la frémissante humanité avaient leur place, se réduit ici à un individualisme de pacotille. Les personnages en général ne s'inscrivent jamais dans un contexte culturel, politique, social, institutionnel, économique, historique : il suffit d'un coup de fil de Gibarian pour que Chris paraisse, comme si cela n'engageait pas toute une machinerie sociale complexe.
   Conformisme et misère éthique par conséquent (ceci expliquant cela et réciproquement) :
Solaris est aux antipodes de sa référence tarkovskienne (voir plus loin, Solaris de Tarkovski). Le projet, qu'incarne si bien le producteur Cameron, voulait concilier ambition d'auteur et d'affaires. Résultat : un ersatz, sans art ni bénéfices, car à l'heure où j'écris ces lignes, quelques semaines après sa sortie, on ne parle déjà presque plus du film. 3/05/04 Retour titres