CINÉMATOGRAPHE 

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Victor SJÖSTRÖM
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Larmes de clown (He Who Gets Slapped) USA Muet N&B 1924 90' ; R. V. Sjöström ; Sc. Carey Wilson et V. Sjöström d'après la pièce de Leonid Andreïev ; Ph. Milton Moore ; Déc. Cedric Gibbons ; Cost. Sophie Wachner ; Pr. MGM ; Int. Lon Chaney (Paul Beaumont), Norman Shearer (Consuelo), John Gilbert (Bezano), Marc McDermott (le baron Régnard), Ruth King (Marie Beaumont), Tully Marshall (le comte).

   Le savant Paul Beaumont et Marie son épouse sont entretenus par un mécène, le baron Régnard, qui séduit l'épouse et pille les découvertes du mari en le faisant passer pour fou, le giflant à ce titre en pleine séance de l'Académie des Sciences. Puisant dans la figure du traumatisme pour pouvoir continuer à vivre, le malheureux devient sous le nom de Il (He) un clown célèbre, à se faire souffleter au milieu de soixante clowns, avatar symbolique
(1) de l'aréopage des savants qui ajoutèrent foi aux allégations du baron. Il tombe amoureux de Consuelo, l'écuyère éprise, elle, de son équipier le voltigeur Bezano. C'est une jeune comtesse que son père désargenté sacrifie en mariage au riche baron. Beaumont fait dévorer les deux aristocrates par un lion mais il est blessé à mort par le comte. Il expire sur scène, dans les bras de Consuelo, en lui confiant : "Tu seras heureuse et je serai heureux moi aussi".

   Le burlesque est ici le déguisement léger du tragique le plus atroce. La claque du baron fait basculer sans retour le destin de Paul Beaumont. Le clown He a beau choisir la dérision comme moyen de revanche sur un monde fondamentalement mauvais (représenté par la mappemonde avec laquelle il jongle). Il continue à être nié avec une cruauté inouïe à travers les gifles et le simulacre d'enterrement de son cadavre bâillonné et garrotté après enfouissement du cœur à même la piste. Consuelo répond à sa déclaration d'amour par une baffe en éclatant de rire avec la meilleure foi du monde. Ses manifestations de révolte contre la présence du baron pendant le spectacle, sont selon elle ce qu'il a fait de plus drôle. La dérision vengeresse se retourne contre lui car il ne peut être autre que pitoyable ou effrayant. À l'extinction de l'enseigne du cirque, une main s'abattant sur un visage de clown en tube néon, deux yeux durs brillent un bref instant. Et le public applaudit sa véritable agonie.
    Mais l'applaudissement, en montage parallèle, du numéro des écuyers, s'adresse indirectement au baron en difficulté, tout en étouffant ses appels désespérés. Finalement c'est le festin du lion qui est vraiment applaudi, encore plus terrible d'être masqué par une table renversée. La véritable dérision, c'est donc le film qui l'assure. Pas de pitié pour Beaumont dont la tête posée sur les genoux de Marie affiche une minable calvitie en plongée. Par un effet délibéré de hors-champ, il est hissé sur des échasses au milieu de la masse des têtes des clowns en amorce, pour mieux être précipité sur un sol plus bas qu'au départ. À la fin, les figurines des clowns encerclant le globe terrestre précipitent son corps dans l'abîme hors-champ côté caméra. Les clowns eux-mêmes sont une dérisoire parodie de clowns !
   Comme dans
Parade de Tati cependant, les spectateurs et l'orchestre sont plus risibles que le spectacle. La petite pomme que tient entre ses dents un spectateur boursouflé de graisse, a l'air d'un nez de clown. Le seul vainqueur est l'amour, si bien magnifié par les éclairages. Consuelo est idéalisée à dominer Bezano d'une demi-tête dans un entretien tendre, mais le plan suivant révèle qu'elle se tenait sur un degré. L'amour s'oppose aux fausses valeurs véhiculées par le comte et le baron. Un raccord antithétique associe le collier que tient le baron rêveur dans ses mains, avec le collier de fleurs que tresse Bezano pour Consuelo au même moment. À noter que l'usage irréaliste et même fantaisiste de l'éclairage (la mappemonde éclairée par en haut dans une pièce sombre) n'a d'incidence sur la crédibilité de l'intrigue que positive.
   Œuvre trop méconnue, à réhabiliter absolument. Il serait intéressant d'en étudier l'influence sur
Le Cirque de Chaplin (1927). 18/07/01 Retour titres