CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

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George STEVENS
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L'Homme des vallées perdues (Shane) USA VO couleur 1953 118' ; R. G. Stevens ; Sc. Alan B. Guthrie Jr., d'après Jack Shaeffer ; Ph. Loyal Griggs ; M. Victor Young ; Pr. George Stevens ; Int. Alan Ladd (Shane), Jean Arthur (Marian Starrett), Van Heflin (Joe Starrett), Jack Palance (Jack Wilson), Elisha Cook Jr. (Torrey), Ben Johnson (Chris Calloway), Edgar Buchanan (Lewis), Brandon DeWilde (Joey Starrett). 

    Surgi de nulle part, face d'ange et tenue de justicier, Shane est engagé comme aide chez les Starrett : Joe, Marian et leur garçonnet Joey tout de suite admiratif de l'Inconnu. Les paysans du coin vivent dans la terreur du vieux Rufe Ryker, obsédé d'annexions foncières. il a engagé Jack Wilson, tueur au sourire cynique aussi sombrement vêtu que clair est Shane. Averti par un acolyte repenti (Chris) d'un piège tendu par la bande à Ryker, Shane retrouvant son arme et sa tenue s'y rend après avoir neutralisé Joe, les abat, puis retourne à son mystérieux destin, au grand désespoir de l'enfant.


   On croirait une série B de patronage. En réalité le manichéisme naïf souligné par une musique western des plus ringardes, n'est, très habilement, qu'un langage formulaire recouvrant des enjeux plus puissants. Comme l'indique son nom et le titre original se jouant sur
shame "honte", Shane est un ange maudit condamné à l'errance pour un meurtre en légitime défense - ce que marque symboliquement le tintement des éperons tandis que, sur un malentendu, il se dirige vers son cheval pour quitter les Starret. On ne sait rien de son passé mais on le devine, comme Marian visiblement, au moment où Shane est, sans d'abord réagir, humilié par Chris. Comme il a l'air de bien connaître Wilson on lui demande d'en dire plus, mais une diversion calculée du récit préserve le mystère.
   Débarquant dans ce paradis terrestre où les animaux sauvages viennent se désaltérer à l'eau de la ferme, vallée perdue entre de hauts massifs montagneux à trente lieues de toute autorité, il a pour mission providentielle de le délivrer du mal qui l'infecte. Les animaux ont un rôle symbolique
(1) très fort. Un chien s'esquive et sort du champ lorsque Wilson arrive au saloon la première fois. Imperceptiblement suggérée, existe une forte attirance entre le héros et Marian. Des contrechamps silencieux signalent une permanente attention réciproque. L'amour de Joey pour Shane est un déplacement de celui de sa mère. Elle semble lui recommander pour elle-même : "ne t'attache pas trop à Shane". En lui rappelant qu'il ne devait plus reprendre le revolver, elle dévoile un serment secret.
   Le jeu du montage tend parfois à les rapprocher intensément mais sans exclure totalement le mari. L'impression qu'ils pouvaient s'être déjà connus est irrésistible. Joe qui s'y est montré si maladroit est frappé par l'harmonie de leurs gestes pendant la danse. Ils incarnent assurément la vraie puissance amoureuse, qui est irreprésentable. Et pour une fois ce rôle ne revient pas, comme dans le star-system à la beauté féminine, Jean Arthur étant volontairement présentée comme assez lourdaude, notamment par les pas.
   Bref, Shane représente le moi idéal du couple amoureux et le père idéal de Joey. Marion et Shane se trouvant seuls un moment le soir au coucher sont interrompus par Joey qui appelle sa mère de la chambre voisine. Shane entend l'enfant confier à sa mère qu'il aime Shane "presque autant que papa". L'intéressé sort discrètement. Marian qui l'a remarqué demande à Joe soudain présent de la prendre dans ses bras sans mot dire, comme si elle investissait sur lui l'amour rayonnant de l'autre.
   C'est pourquoi la bagarre qui doit empêcher Joe d'aller se faire assassiner par Ryker revêt une telle puissance épique, rendue par les cris
in ou hors-champ, et les mouvements impétueux des animaux de la ferme, bétail enfonçant des clôtures, chevaux les franchissant avec gros plans sur les piétinements paniques. Son enjeu est en effet surhumain : préserver l'accomplissement de l'amour comme fondement vital.
   Cependant, la poésie de l'amour a aussi besoin de nourritures plus concrètes. La vie quotidienne des paysans la lui fournit. Son réalisme souligne la solidarité dans l'isolement et l'importance des rites sociaux. Isolement souligné par le temps mis aux visiteurs dans la profondeur de champ pour atteindre la ferme. La scène du petit cimetière en plein vent est remarquable de vérité dans son hétéroclite fraîcheur. Les familles sont venues en chariot pour le dernier adieu à Stonewall. Munies de chaises et mêlées aux chevaux dételés, elles sont disposées sans ordre au long du terrain chaotique hérissé de tombes en tous sens. Pendant la cérémonie Joey caresse un poulain. Le chien du défunt en geignant pose une patte sur le cercueil déjà engagé dans la fosse.
   La caméra rend sensible ce naturel aléatoire en multipliant les points de vues et en variant les angles et les grosseurs. Comme toujours, c'est la singularité du détail, autant par sa nature que par le maniement de la caméra qui fait la richesse artistique. La caméra étant posée sur le chariot en marche, ce sont les montagnes qui tanguent. Une poule sur un toit évoque mieux la ferme qu'un plan d'ensemble englobant toute la panoplie. Le pathétique du meurtre tient à cette figure prémonitoire des efforts de Stonewall pour ne pas glisser dans la boue de la rue devant son meurtrier, qui arpente tranquillement les planches du trottoir. L'annonce de sa mort est tragique d'être proférée à distance des fermes, prolixement et de façon inaudible, par le copain ramenant le corps à cheval. Une petite fille en contrechamp répond par un signe d'adieu.
   Les voyants artifices du décor peint, du Technicolor, voire de la coiffure artistique du héros passent alors tout à fait au second plan. Décidément, chaque réussite artistique est toujours totalement surprenante : le cinéma n'est jamais ce qu'on croit. Le meilleur Western jamais tourné selon l'écrivain américain James Lee Burke, et je l'approuve. 13/08/01 Retour titres