CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

 

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Jacques DOILLON
Liste auteurs

Le Petit criminel Fr. 1990 100' ; R., Sc. J. Doillon ; Ph. William Lubtchansky ; M. Philippe Sarde ; Mont. Catherine Quesemand ; Son Jean-Claude Laureux ; Pr. Sara Films ; Int. Gérald Thomassin (Marc), Richard Anconina (Gérard, le flic), Clotilde Courau (Nathalie, la sœur), Jocelyne Perhirin (la mère). 

   À quinze ans, Marc vit avec une mère alcoolique remariée, sa petite sœur étant en nourrice. Il ne connaît pas son père et porte le nom de son beau-père. Il manque l'école qui le préparait au CAP. Une sœur aînée, Nathalie, dont il ignorait l'existence se manifeste soudain au téléphone. Muni d'un pistolet trouvé dans l'armoire où l'avait caché son beau-père, Marc va braquer une parfumerie.
   Le flic Gérard, qui le connaît comme petit délinquant, le fait monter dans sa voiture pour l'amener au collège. Sous la menace de son arme, dont il fait usage pour l'intimider, Marc, tout en promettant de se rendre ensuite, oblige Gérard à le conduire chez Nathalie. Celle-ci décide de ne pas abandonner ce petit frère tombé du ciel. Elle s'embarque avec eux pour convaincre le flic d'innocenter son frère. Elle parvient elle aussi à prendre Gérard en otage. Mais ils se laissent insensiblement gagner par une confiance réciproque. Marc rêve de récupérer la petite sœur pour vivre à trois avec la grande sous le nom du père. Gérard est désemparé. Les deux ados passent la nuit chez lui. Le matin il conduit au collège le garçon, qui est désireux de se réintégrer sous le nom paternel, dont il vient juste de prendre connaissance. Évidemment, ça ne marche pas et Marc consent à être livré au commissariat.

   Trois paramètres sont à envisager pour rendre compte de la valeur de ce film, qui en est la résultante.
   - Les qualités hors pair de l'observation et de l'étude psychosociale de l'adolescence dans un contexte donné. Manque de père, alcoolisme de la mère, beau-père peu fiable, absence de la petite s
œur : les repères de Marc sont instables. L'énergie qui le caractérise a pourtant besoin de s'exercer. Puisque ce n'est pas pour se construire, ce sera pour émettre des signaux de détresse, par diverses dérives. L'énergie tend à se muer en violence.
   Mais le surgissement d'une s
œur aînée change la donne. Elle détient le nom du père qui peut lui permettre de renouer avec les fondations. Le jeune homme rétorque à Gérard qui lui reproche de défier la loi, que la loi, ce devrait être aussi de réunir les frères et les sœurs séparés. Estimant être frustré de son droit, Marc remet en question le système des valeurs morales garanties par la justice. Il commet le braquage pour quitter la maison et repartir sur la base saine de la fratrie avec ses deux sœurs. Nathalie de son côté rentre pleinement dans ce projet en prenant tous les risques pour protéger ce frère tard trouvé. La même énergie auparavant mal employée ou latente habite les deux adolescents.
   - L'étonnante justesse de la prestation à cet égard de Gérald Thomassin et de Clotilde Courau face à Richard Anconina porte haut un enjeu aussi complexe et le rendent vrai à l'écran.
   - Le filmage est entièrement au service d'une logique qui s'est déterminée en dehors de lui : le caractère des protagonistes, le milieu social, la détresse et sa négation par des moyens illégaux ou prohibés, la situation nouvelle favorable à la résilience.
   Par conséquent, cadrage et montage sont voués à la médiation transparente du tout-cuit. La sobriété et la justesse du décor, limité à des intérieurs reflétant le niveau social : entrées, escaliers, appartements, cabine de la voiture du flic, et à des extérieurs
ad hoc : la ville quand c'est nécessaire, des lieux souvent retirés pour éviter toute intervention extérieure qui risquerait de compliquer l'intrigue.
   Naturels, les décors sont pour favoriser cet effacement de la filmicité devant le propos prémédité. Davantage ensemble d'éléments prédigérés que matériau, le contenu est intransformable. C'est le discours qui domine et impose ses compromis avec l'intersubjectivité réglée sur le spectateur type. On ne croit pas un seul instant que Marc va tirer sur ce flic trop gentil, cela mécontenterait par trop les attentes. Flic du reste invraisemblable pour les mêmes raisons d'adoucissement, tout le jour seul au volant d'une grosse 4X4 anglaise mythique qui visiblement dépasse les possibilités budgétaires de n'importe quel service de police. Anconina est parfait comme faire-valoir des deux ados. Mais son rôle modérateur s'étend à la marche de l'intrigue. Avec un tel personnage, ça ne peut pas vraiment mal finir.
   Bon film par conséquent, dans la mesure où il dispense sur un cas exemplaire une lumière crue. Mais, à défaut d'un investissement d'écriture qui déboussolerait les attentes, il atteint très vite en fin de compte les limites inhérentes à la représentation. 04/08/08 
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