Ewald-Andreas DUPONT
Liste auteursPiccadilly (Nachtwelt) GB Muet N&B teinté 1929 108' ; R. E.-A Dupont ; Sc. Arnold Bennett ; Ph. Werner Brandes ; Déc. Alfred Junge ; Pr. British International Pictures Ldt. ; Int. Gilda Gray (Mabel Greenfield), Anna May Wong (Sho-Sho), King Ho-Chang (Jim), Jameson Thomas (Valentin Wilmot), Cyril Ritchard (Victor Smiles), Hannah Jones (Bessie), Charles Laughton (le client irascible), Charles Paton (le portier).
Victor, partenaire de Mabel, la première danseuse du night-club, est viré pour l'avoir tenue de trop près. La vedette est amoureuse de Wilmot, le patron, lequel s'intéresse à la Chinoise Sho-Sho, qui est fille de cuisine. Après avoir renvoyé celle-ci pour une histoire d'assiette sale, Wilmot l'engage dans un numéro de danse typique, qui regonfle les recettes, en déconfiture depuis le départ de Victor.
Mabel est donc doublement spoliée, dans son amour et dans son métier. La jeune asiatique est retrouvée morte après une nuit câline avec Wilmot, auquel appartient le revolver trouvé sur les lieux du crime. Au procès, deux événements successifs disculpent l'amant d'une nuit. Mabel déclare être venue pour s'expliquer avec Sho-Sho après avoir attendu dehors le départ de son infidèle, mais menacée d'un poignard, avoir dû se servir du revolver dérobé au patron, avant de perdre connaissance.
Son témoignage établit de plus que c'est le Chinois Jim, âme damnée de Sho-Sho, qui lui a ouvert la porte. Ce que ce dernier a dissimulé au procès. Le juge désire entendre Jim, qui s'est esquivé. On apprend bientôt qu'il a tenté de se suicider sur le cercueil de sa maîtresse adulée. Moribond, il avoue avoir tué par jalousie, au moyen du revolver que Mabel avait lâché de saisissement avant de s'enfuir dans un état second.
Deux mondes divergent, le riche et le pauvre, par le vêtement, le comportement, les lieux. Ils semblent ne pouvoir se rejoindre que de façon ravageuse et précaire par la médiation du sexe. Gavée de substituts symboliques, la richesse s'approprie les déchets qui manquent à son analité sublimée.
Réciproquement, inondé d'admiration pour la puissance sublimatoire, le bas social lubrifie son propre viol. Le riche s'encanaille et le pauvre s'immole à la gloire du fric. Tout part du scandale de l'assiette sale déclenché par un client irascible, indifférent aux corps érotiques suant sur la piste. Il représente l'incorruptibilité du pouvoir de l'argent, pour mieux souligner l'enjeu transgressif du film.
Moiteur des cuisines, vêtements élimés, œil coulissant sous les jupes et étude de mœurs des bas quartiers de Limehouse, culminent dans le déclassement exotique. Cet érotisme de perdition se concrétise de façon troublante dans l'état mixte du costume de la Chinoise : seuls les bas sont loqueteux, filés et troués comme une invitation à perforer plus haut le corps sous la jupe impeccable. La médiocrité des danseuses, y compris de Mabel, s'accorde magnifiquement avec l'exploration érotique d'un sous-monde.
Les mouvements d'appareil semblent concrétiser le fantasme par des travellings avant en légère plongée braqués en dessous de la ceinture, du plan d'ensemble jusqu'au plan rapproché. Authentique œil fureteur et prompt, la caméra opère des rapprochements suggestifs comme, dans la cuisine, le voyeurisme urétral des jambes aux bas troués de Sho-Sho avoisinant deux cuvettes sales, la pulsion se concrétisant au besoin dans quelque fugace figure.
Aussi les raffinements érotiques sur le thème du dévoilement dilatoire se potentialisent-ils d'un piment inavouable. Par elle-même suffisante, cette richesse fantasmatique exigeait une grande sobriété de facture. Hélas, des excès de mystère, jeux de miroirs avec clairs-obscurs ou mysticisme oriental et autres chinoiseries, ainsi que - sauf à évoquer les volants d'un jupon dans l'escalier où Wilmot guette la descente de Sho-Sho - un expressionnisme superfétatoire, provoquent une malencontreuse inflation esthétique.
Ce qui n'empêche pas le film de rester, paradoxalement, un modèle d'indépendance artistique(1). 11/01/04 Retour titres