CINÉMATOGRAHE 

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Yasujiro OZU
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Il était un père (Chichi ariki) Jap. VO N&B 1942 87' ; R. Y. Ozu ; Sc. Tadao Ikeda, Takao Yanai, Y. Ozu ; Ph. Yuuharu Atsuta ; Mont. Yoshiyasu Hamamura ; Lum. Ichiji Naito ; M. Gyoichi Saiki ; Son Yoshizaburo Seno ; Déc. Tatsuo Hamada ; Pr. Shochiku ; Int. Chishū Ryū (Horukawa, le père), Shuji Sano (Ryohei), Haruhiko Tsuda (Ryohei enfant), Takeshi Sakamoto (professeur Hirata), Mitsuko Mito (Fumiko Hirata), Shin Saburi.(Kurokawa, l'ancien élève de Kanawaza).

   Professeur de lycée à Kanawaza et veuf, Horukawa élève seul son fils Ryohei. Il démissionne de son poste à la suite du décès d'un élève lors d'un voyage scolaire sous sa responsabilité. Après un court épisode comme gratte-papier à la mairie dans la petite ville d'Ueda dont il est originaire et où Ryohei est scolarisé, le père s'exile à Tokyo pour subvenir convenablement aux études du fils maintenant interne en collège. Malgré leur désir, père et fils ne pourront jamais revivre sous le même toit en raison des études secondaires puis universitaires, à Sendai, de Ryohei, suivies de son premier poste de professeur au lycée technique d'Akita ; à l'exception d'une semaine à Tokyo, dernière de la vie de Horukawa, qui meurt d'une attaque sous les yeux de son fils. Entre-temps l'ancien professeur aura eu la satisfaction d'être honoré par ses élèves, qui ont retrouvé sa trace, et d'arranger le mariage de Ryohei avec Fumiko, la fille de Hirata, son meilleur ami et ancien collègue au lycée de Kanawaza.

   L'éternel conflit entre loi et désir se résout, en réponse aux violences de la vie, par une série de prises de décision déchirantes, donnant préséance à la loi, dans un dé accompli au profit de l'épanouissement de l'être.
   En bref, la vie ne s'écoule pas mais elle enchaîne une succession de violentes ruptures exigeant des réponses régulatrices. Deux ordres de réponse sont en conflit, ressortissant respectivement à la loi et au désir. Mais, générateur de flux lénifiant, la satisfaction du désir (vivre sous le même toit) détourne de la réalité, tandis qu'ayant dans ses applications la même structure discontinue que la vie, la loi fait rempart : les décisions du père sont des coups de hache mais structurants. Père et fils ne vivront pas ensemble conformément à leur désir, mais Ryohei sera armé pour la vie, et cela d'autant mieux que le père expire serein. En apparence cependant dominent la rigide morale paternelle et la soumission du fils. Il s'agit, au vrai, d'une adéquation réglée entre un réel aveugle par essence et des individus agissant. Et le cinéma d'Ozu se prête remarquablement à cet enjeu de ce qu'il ne saurait se contenter de préceptes moraux, ordonnant tout son matériau au dessein éthique implicite.
   Le plan fixe et le montage économique sont la figure de l'ordre implacable du réel, dont la présence est affirmée indépendamment de l'utilité de l'action. Après les 33 premiers plans courant sur quelque 6 minutes on a fait la connaissance des protagonistes, dont le destin bascule déjà. Tout le reste du film, plus de quatre-vingt minutes, porte sur les efforts de régulation de ce déséquilibre initial. Le premier plan présente un joli coin de Kanawaza que visite un groupe de jeunes filles chargées comme des pèlerines. Au plan 33, cérémonie funèbre au temple en présence des professeurs et élèves.
   Pour chaque situation nouvelle, un ou deux plans préalables en matérialisent concrètement l'approche, qui ne se fait jamais de façon abrupte mais par le truchement du matériau. Après la présentation, muette, de la ville comme site attractif, plan en enfilade d'une rue en profondeur de champ avec des passants, en même temps que naissent les sons rythmés, à dominante métallique, des activités domestiques. Ce n'est pas n'importe quelle rue mais, par opposition au site "touristique" du début, une rue calme de faubourg, caractérisant un mode de vie en rapport. Puis intérieur jour d'une pièce d'habitation où un garçonnet semble se préparer. C'est Ryohei, qui s'adresse à son père rejeté hors champ. Plan serré du père accroupi en train de rassembler des livres, répondant à son fils, etc.
   On pénètre donc de la périphérie au cœur du décor par quelques bonds entre lesquels s'intercalent des repères concrets (cette rue, ces sons). De même que l'apparition du père est précédée du son concret de son interpellation motivée par une question domestique. Tout est fait pour que le monde visuel et sonore ait une persistance en dehors de l'action narrative. Après quelques échanges où se manifeste clairement l'extrême soin mis par le père à l'éducation du fils, ils quittent la pièce principale, laissant le champ vide : la maison a une existence en dehors des personnages. Puis retour au plan de la rue vide, où les protagonistes apparaissent sortant de la maison. La rue est restée à la même place, sous le même angle.
   Il ne s'agit donc pas de représentation naturaliste, c'est-à-dire évocation crédible de la réalité extrinsèque supposée, mais de l'agencement par montage de fragments signifiants, construisant une figure surdéterminée. Il y a ainsi tout un ensemble ponctuatif par plans de coupe, d'autant plus prégnants qu'ils ne comportent pas de personnages, étant de purs contrechamps sans raccord regard ni témoin assigné. Mais aussi des objets têtus telle l'inévitable bouilloire, occupant souvent un angle du cadre. Le sens du film ne vient donc pas d'un discours dogmatique, il découle de la dynamique émanant de conjonctures événementielles où se croisent choses et personnages, mieux : fragments métonymiques de personnages.
   De là cet humour particulier qui ne fait jamais mot d'auteur. Ryohei n'est pas mécontent de quitter Kanawaza où on l'appelait "le fils du blaireau", d'après le surnom du professeur. Mais c'est le surnom qui est appliqué spontanément par les pensionnaires le jour où Horukawa rend visite à son fils à l'internat d'Ueda, genre d'invraisemblance plus vraie que toute logique scénaristique. Davantage, on découvre à la soirée de la fin organisée en son honneur que le professeur avait connaissance du sobriquet.
   La pellicule est tellement autonome que des faux raccords semblent indiquer qu'on ignore ce qui se passe dans le hors champ entre deux plans. Un personnage surgit soudain là où la logique des axes ne l'attendait pas. Bien entendu il s'agit d'un jeu affirmant la prépondérance du langage sur la représentation. Le cadrage "quadratique" (voir
glossaire) des intérieurs, ordonnant la diégèse aux bords du cadre, qui ont l'air de feuilleter l'écran et de le multiplier dans la diégèse, le bord inférieur se confondant avec le plan du sol, feint la continuité entre la diégèse et l'écran sur le mur, donc la salle obscure.
   Ozu ne tombe pas dans le piège consistant à reculer indéfiniment la position dogmatique d'auteur. Il est évident que l'autonomie de la pellicule est le produit d'un agencement délibéré. Mais en optant pour la logique poétique, il opère un saut qualitatif, disqualifiant le sujet comme conscience centrale. 6/04/08 Retour titre