CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Charlie CHAPLIN
Liste auteurs

L'Opinion publique (A Woman of Paris) USA Muet N&B 1923 75' ; R., Sc. C. Chaplin ; Ph. Rolland Totheroh, Jack Wilson ; Mont. Monta Bell ; Déc. Arthur Sibolt ; Pr. United Artists ; Int. Edna Purviance (Marie Saint-Clair), Adolphe Manjou (Pierre Revel), Carl Miller (Jean Millet), Lydia Knott (la mère de Jean), Charles French (son père), Clarence Geldert (le beau-père de Marie), Betty Morrissey (Fifi), Malvina Polo (Paulette), Henry Bergman (le maître d'hôtel), C. Chaplin (le porteur à la gare). 

   L'amour partagé de Marie Saint-Clair et du peintre Jean Millet est désapprouvé par les familles. Marie chassée un soir par son beau-père, n'ayant où passer la nuit, ils décident elle et Jean de prendre le train de nuit pour se marier à Paris. Alors que Jean fait sa valise, son père est victime d'une attaque. Inquiète de ne pas voir arriver son promis,
Marie l'appelle de la gare mais, en raison de l'arrivée du médecin, il a juste pu lui annoncer qu'une chose affreuse était arrivée, que leur voyage devrait être remis, la priant de ne pas quitter. Elle raccroche néanmoins et décide de monter dans le train sans lui.
   Un an plus tard à Paris, Marie est luxueusement entretenue par le financier Pierre Revel, qui va épouser une femme aussi riche que lui sans renoncer à sa maîtresse. Marie tombe par hasard sur Jean, qui vit avec sa mère dans un atelier d'artiste au Quartier Latin. Elle lui commande un portrait, pour lequel elle doit poser. Il finit par déclarer l'aimer toujours et vouloir l'épouser. La jeune femme accepte de renoncer à son luxe pour Jean, jusqu'à ce qu'elle le surprenne promettre à sa mère, sous la pression, de renoncer au mariage. Elle lui tourne le dos. Jean au désespoir se munit d'un revolver. Il fait passer à Marie un billet par le maître d'hôtel du grand restaurant où elle dîne avec son amant. Invité par un
cynique geste mondain de celui-ci à leur table, il le brutalise. L'agresseur est expulsé. Il se suicide dans le hall d'entrée. Sa mère est résolue à le venger de la même arme. Mais elle y renonce quand elle trouve à l'atelier Marie effondrée en larmes sur le corps de son fils.
   Un beau jour en voiture à la campagne
Pierre croise une charrette de paysans qui chantent accompagnés à l'accordéon et sur laquelle a pris place, sans qu'il le sache, Marie avec un enfant. En compagnie de la mère de Jean, elle voue désormais sa vie aux orphelins.   

   Drame conçu,
quoi qu'en dise Chaplin, comme un burlesque dont le décor, de studio, est subordonné à l'action à l'exception de la dernière séquence où la lumière, l'air et le vaste horizon sont à la mesure de l'espérance retrouvée. La maison du beau-père de Marie est un véritable praticable étagé reliant la rue à la chambre où Marie est prisonnière. Point besoin de vraisemblance, Marie s'est déjà évadée dans son cœur, même si se fait regretter la caution du vrai. Ne pas censurer l'artifice c'est permettre la véritable émotion de l'art, sans identification. Mais en dehors du burlesque pur cela ne devrait pas condamner le rendu du réel, du reste sans faille quant au jeu des acteurs. 
   Les personnages ne sont donc pas si facilement définissables. Le père de Jean ne veut plus jamais le revoir, ce qui ne l'empêche pas de lui donner de l'argent pour Paris. Pierre est censé se consoler avec Paulette du penchant déclaré pour Jean de Marie. Mais après la soirée au restaurant le Sagouin's, pourtant tout un programme, il la renvoie chez elle. Marie prétend à Pierre ne pas être à vendre et, joignant le geste à la parole, jette son collier par la fenêtre. Quitte à le reprendre des mains du clochard qui l'a ramassé. Davantage, l'image de la charrette finale figure le bonheur enfin trouvé, sauf qu'un des paysans tient une faux comme l'allégorie de la mort. Bref, il n'y a pas de préméditation morale. La femme entretenue n'est pas rabaissée comme c'est traditionnellement le cas.
   Improvisé au tournage, le film se veut labyrinthique, se frayant un chemin malaisé dans les limbes de l'âme, ce qu'il figure par le montage et le cadrage. On passe toujours d'un plan à l'autre avec un certain retard dans le mouvement ou bien on sort du cadre par un bord intradiégétique, par ex. un angle de mur, après avoir effectué un mouvement en escalier droite-gauche, puis dans l'axe de la caméra vers l'arrière-plan, puis droite-gauche en disparaissant derrière l'angle de mur, comme dans The Kid.
   Le hors-champ est véritablement partie prenante. Ce n'est pas le train qui défile mais le reflet de ses fenêtres éclairées sur le mur de la gare. Le strip-tease est hors champ grâce à un amusant procédé consistant à faire s'enrouler autour du corps tournant sur lui-même d'un homme visible à l'écran la bande de tissu emmaillotant le corps de la femme
debout hors-champ sur un socle pivotant. On imagine du coup Marie nue dès que rejetée sous le bord-cadre inférieur lors du massage.
   La solidarité du champ et du hors-champ se marque dans le décadrage, lorsqu'un personnage en plan serré se redressant sans recadrage se trouve privé à l'écran d'une partie de lui-même. Le faire-semblant assumé est aussi un élément de l'humour, indispensable pour que le drame n'impose pas un pathos de pacotille. "Les mouchoirs parfumés empestent ma cuisine" se plaint, à propos de la visite de Pierre, le maître queux qui fait ses délices de la viande faisandée. Ou bien Fifi se sert du ridicule petit saxophone (sexophone s'entend) de Pierre comme cendrier, etc.
   Mais humour et sérieux sont absolument complémentaires. Plus c'est sérieux plus c'est drôle, et réciproquement. Il y va de la crédibilité du jeu des acteurs. Ici la direction d'acteur est totalement émancipée de l'obédience théâtral. Tout est en retenue. Voyez les impalpables signes de la complicité de Marie et Jean dans la séance de pose. Quand le cadavre de Jean est apporté, ni cris, ni gestes, ni larmes de la mère, mais incompréhension absolue. À comparer à un film de la même année, par ex. La Rue de Karl Grune, le progrès est remarquable, même si Chaplin n'en est pas le seul initiateur contrairement à ce qui est affirmé généralement, voir notamment Griffith. En revanche je donnerai à Grune l'avantage quant aux extérieurs naturels de la ville. On comprend pourquoi A Woman of Paris se traduit par l'Opinion publique.
03/12/17 Retour titres