CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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David LYNCH
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Mulholland Drive USA-Fr. VO 2001 146' ; R., Sc. D. Lynch ; Mont. Mary Sweeney ; Ph. Peter Deming ; M. Angelo Badalamenti ; Déc. Jack Fisk ; Pr. Pierre Edelman/Alain Sarde ; Int. Laura Elena Harring (Rita/Camilla), Noami Watts (Betty Elms/Diane), Justin Theroux (Adam), Ann Miller (Coco).

   Après s'être vengée par contrat meurtrier de la trahison sadique de son amie, une lesbienne se suicide. En réalité, un puzzle expert, ne se débrouillant qu'au titre du rêve, du fantasme, voire du fantastique comme à l'accoutumée : amnésique à la suite d'un accident de voiture sur Mulholland Drive, la route de crête dominant Hollywood, la brune Rita, se réfugie dans un appartement vide où, pour faire carrière au cinéma, débarque la blonde Australienne Betty, nièce de la propriétaire partie en voyage. En réalité l'accident a évité à Rita (prénom d'emprunt) de finir sous les balles d'un pistolet pointé par l'un des occupants maintenant morts de la voiture. Le mobile semble lié aux liasses de dollars garnissant son sac à main, à côté d'une curieuse clé bleue.
   Betty et Rita sympathisent au point de coucher ensemble. Elles font des recherches et tombent d'abord sur le cadavre d'une jeune femme dont le nom, Diane X, semble troubler Rita. Parallèlement, un tueur commet des bourdes qui l'amènent à multiplier les cadavres autour du corps de celui qu'il devait "suicider" ; un metteur en scène nommé Adam se voit imposer de force une actrice par la mafia des producteurs ; un jeune homme a la phobie d'un monstre qui n'est peut être pas imaginaire ; Rita est recherchée par les flics et des agents occultes de la production ; et Betty, que de faux indices identifiaient à l'actrice imposée, se voit devancée à l'audition par la véritable, pistonnée.
   À deux heures du matin, Rita ayant rêvé d'un music hall appelé "Silencio" y entraîne Betty. Elles sont bouleversées par la performance
a capella d'une chanteuse latino, qui s'effondre sur scène sans que s'éteigne pourtant la voix. Betty découvre alors dans son sac à main une boîte cubique bleue à serrure. À la maison, Rita essaye la clé pendant que Betty disparaît sans laisser de trace. En plongée serrée évacuant le personnage, la boîte tombe béante sur le tapis. Fermeture au noir.
   Betty et Rita devenues Diane et Camilla folâtrent sur un canapé dans un studio triste et vieillot qui n'est autre que celui de la découverte macabre. Camilla annonce son intention de rompre. Diane a un rictus de souffrance haineuse. Plus tard Camilla l'appelle au téléphone. Une voiture vient la prendre et la dépose en plein Mulholland Drive. Surgissant des broussailles, Camilla lui fait emprunter le chemin par où la Rita rescapée de l'accident avait gagné la ville, et l'entraîne vers une luxueuse villa où l'on retrouve Adam et sa mère "Coco" qui n'est autre que la gardienne de l'immeuble de la tante dans la première partie. Là, elle annonce son mariage avec Adam puis embrasse à pleine bouche la fameuse actrice imposée. Au snack Winkie's de Sunset Boulevard, Diane passe avec le tueur maladroit un contrat sur Camilla, dont le signal d'exécution est une clé bleue déposée chez Diane. Celle-ci, qui a trouvé la clé, entre en délire et se suicide sur son lit. La découverte macabre de Betty et Rita, c'était elle. Tous les malheurs annoncés par la boîte de Pandore bleue se rebouclent.

   Reste l'énorme arsenal des effets de décor, de caméra, de musique, d'éclairage et de maquillage. Les intérieurs et notamment les couloirs, sont filmés par travellings instables sourdement angoissants. Le travelling avant est d'ailleurs le procédé anxiogène de prédilection. Il prend une petite marge d'antériorité pour se lancer sur la chose terrible supposée ou son absence.
   On joue également sur les aspects vieillots, vaguement néogothiques et sur la végétation luxuriante de Hollywood, dont le plan général vertigineux nocturne rutilant est comme la réplique artificielle avec en arrière-fond un fantastique de survivance archéologique de l'âge d'or hollywodien, par les allusions à Sunset Boulevard, à Rita Hayworth et à Bette Davis.
   La musique de Badalamenti, à réverbération travaillée et associée à d'autres sons continus, est toute en points d'orgues expectatifs.
   Les gros et très gros plans visent au bizarre, ceux surtout alternés sur des objets contrastés à l'instar des deux actrices principales. En intérieur de même, les vues d'ensemble sont décalées à l'imperceptible limite angulaire du vertige.
   Le meilleur est sans doute (outre le dialogue) dans la direction des acteurs, avec le jeu des maquillages brouillant les identités. Logique de la métamorphose au principe même du récit qui, en fin de compte, est comme la linéarisation de l'ubiquité du rêve. D'où les incohérences discursives.
   Monstre d'intelligence artistique, Lynch contrôle lucidement des processus qui relèvent habituellement de l'intuition et de la sensation, tout en y appliquant les soulignements ordinaires de la culture de masse : caméra signalétique et "fosse" supplétive, fût-ce travail d'orfèvre. Il en résulte une exhibition géniale qui hélas culmine dans le cauchemar éveillé de la suicidaire où, dans une gamme de gris crépusculaires, des personnages hystériques hurlants fondent sur elle. Mais il faut avouer que l'auteur de
Eraser Head ne se laisse pas si facilement prendre en défaut, ayant eu soin de légitimer cette pauvre chute par l'euphorie chorégraphique du générique qui lui fait pendant.
   Ce flou artistique virtuose et constructiviste est finalement le symptôme du néant éthique
(1) rongeant un cinéaste diaboliquement doué, condamné à rouler indéfiniment son rocher sur les collines hollywoodiennes. 8/12/01 Retour titres