CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Fritz LANG
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Metropolis All. Muet N&B 1926 151' ; R. F. Lang ; Sc. Thea von Harbou ; Ph. Karl Freund, Günther Rittau ; Eff. sp. Eugen Shüfftan ; Déc. Otto Hunte, Erich Kettelhut, Karl Vollbrecht ; Cost. Anne Willkomm ; Pr. UFA ; Int. Brigitte Helm (Maria), Gustave Fröhlich (Freder), Alfred Abel (Joh Fredersen), Rudolf Klein-Rogge (Rotwang), Heinrich George (Groth). 

    Sous le pouvoir du maître Joh Fredersen, Metropolis, ville du futur traversée de voies et de passerelles à circulation intense y compris aérienne entre les
tours, a relégué sous terre les ouvriers. Ceux-ci soumis au rythme implacable des machines nécessaires au fonctionnement de la cité. Freder, le fils du maître des lieux, tombe amoureux de Maria, innocente beauté du fond remontée au jour pour faire admirer aux enfants des ouvriers les jardins suspendus réservés aux seigneurs de la surface. Elle est refoulée par des gardes. 
   Freder à sa recherche découvre dans le monde souterrain les cadences infernales imposées par la machine. Les ouvriers étant débordés, celle-ci s'emballe et explose, laissant de nombreuses victimes. Freder, qui a cru voir Moloch, fait part
de ces conditions inhumaines à un père indifférent. Groth, le contremaître du cœur de la machine, vient informer ce dernier de la découverte sur les victimes de plans indiquant un complot. Le père fait espionner son fils. Celui-ci retourne au fond mais pour remplacer au pied levé l'ouvrier n° 11811, un "frère" selon lui, épuisé d'avoir à manier à la main les aiguilles de la grande horloge réglant la production.
   D
ans la seule maison sans âge, "gothique", de la ville vit le savant fou Rotwang, qui aima Hel, la mère défunte de Freder. Il y a dressé un mausolée à sa mémoire et créé une machine humaine à son image en sacrifiant sa propre main droite comme apport biologique. À Fredersen venu lui rendre visite pour connaître la signification des plans, il fait savoir qu'il s'agit des catacombes et confirme le complot ouvrier en le conduisant à une réunion secrète. Dissimulés derrière une paroi rocheuse, ils y découvrent Maria annonçant à la foule la venue du Médiateur car, dit-elle, entre le cerveau et la main, il faut la médiation du cœur. Freder, que les autres ont entraîné là après dix heures de travail épuisant, se pressent désigné. Sans cacher ses sentiments envers lui, Maria le confirme. Afin d'en user pour détruire la foi en cette fille, le père demande à Rotwang de prêter au robot ses traits.
   Le savant capture Maria afin de la soumettre chez lui à la mystérieuse opération électro-chimique du transfert de son image au robot qui doit
détruire les Fredersen et leur ville. En l'absence de la vraie Maria prisonnière, la fausse illustre le mythe de la Babylone de l'Apocalypse de Jean par des danses lascives, à demi-nue, sous les yeux exorbités d'hommes surexcités jusqu'au meurtre et au suicide puis, descendue au sous-sol, exhorte les disciples de la vraie Maria abusés à anéantir les machines. C'est la volonté de Fredersen de pousser les ouvriers à la violence pour mieux les abattre et les soumettre, mais c'est en réalité Rotwang qui domine le robot. Il n'y a donc pas de limite.
   Dans le temple souterrain usurpé, la fausse Maria
laissant croire que le Médiateur ne viendra plus, excite la masse à anéantir les machines. Groth abaisse le rideau de fer donnant accès au cœur de la machine, mais Fredersen lui intime par vidéo-téléphone l'ordre de le rouvrir. Le contremaître tente alors de juguler la révolte en évoquant l'inondation qui résulterait du saccage, en vain : le cœur est mis hors-service. Des flots dévastateurs envahissent la cité des parias.
   Cependant Maria échappe à son geôlier, assommé par Fredersen dans une rixe. Avec Freder et Josaphat, l'ancien bras droit de Fredersen congédié, ils évacuent les enfants par les escaliers de secours pendant que les parents font la ronde auprès de la machine en feu. Groth
met fin à la liesse en s'enquérant des enfants. Il veut savoir qui a commandé la catastrophe. La foule en furie comprend que "la sorcière" est responsable. Elle est rattrapée et immolée sur un bûcher. Freder, qui croit y voir Maria, est empêché par la masse de la secourir. 
   Dans une crise de démence
Rotwang confond Maria avec Hel. Pourchassé par Ferder, il l'emporte au sommet de la cathédrale parmi les gargouilles puis la dépose sur le faîtage du toit pour faire front. Dans la lutte, il est précipité dans le vide. Entretemps le flot humain, calmé à l'annonce par Groth de la mise en sûreté des enfants, s'est massé devant la cathédrale. Au pinacle, le jeune homme et sa belle s'étreignent, rejoints par le père qui a suivi toute la scène d'en bas, terrassé de frayeur et d'autant humanisé. Puis sur le parvis, Maria incite son cher Médiateur à réconcilier le maître avec les ouvriers. Sur ses instances, Fredersen et Groth se serrent la main devant les insurgés. "Le lien entre la pensée et les mains ne peut être que le cœur" conclut un carton.       

  
"Plastique inoubliable" ! Inscription au patrimoine de l'humanité ! Incontournable ! Et pourtant me saute aux yeux la discordance entre une indéniable performance plastique et la mièvrerie du propos1, aggravée par la théâtralité du filmage. Il faut toujours se méfier du terme "plastique" appliqué au cinéma, évoquant un modelage étranger à la bidimentionnalité de l'image. On ne peut certes ignorer la hardiesse futuriste des décors de la ville, ni l'imaginaire mythique des machines, ni même l'esthétique de leur dynamique (malgré l'abus de la surimpression), pas davantage le jeu des arcs électriques et des bouillons chimiques de laboratoire. Cela entraîne la stylisation de la gestuelle, par la décomposition des mouvements du corps et le ballet des ouvriers distribués rythmiquement dans les alvéoles de la machine, en coordination avec sa mécanique articulée. Mais finissent par se confondre stylisation et gesticulation grimaçante : contorsion, crispation des mains, désarticulation des membres, ostentation gestuelle, yeux exorbités ou levés au ciel, etc., bref, un expressionnisme exacerbé semble être responsable de ces naïvetés, ce à quoi n'échappe nullement la mise en avant des décors.
   Le corps ostentatoire voudrait instiller tout le sens dans le moment de l'image en soi, alors que le propre du cinéma, la filmicité, réside dans la relation supranarrative, corrélative de la fragmentation, autrement dit dans la différance. L'expressionnisme ne peut passer au cinéma que comme jeu, ce qu'il ne fit guère à ma connaissance au plan filmique, se contentant du graphisme des décors. Nous n'avons au contraire ici que du sérieux se prenant au sérieux de l'idéologie dominante. Même le savant fou est censé vous faire trembler de ses yeux caves et sa tignasse ébouriffée, qui ont manqué leur potentiel d'humour ou de burlesque. Ce sont aussi de pauvres effets que ces crânes et squelettes de catacombes dévoilés dans l'obscurité par la lampe de poche de Rotwang qui font Maria se tordre de ri... Pardon, de terreur ! De même que le décor, qui est ici l'atout principal du film, son icône, ne devrait en être qu'une fonction. C'est la "plastique" pour la plastique. "Tout illustre, écrivait Kracauer dans De Caligari à Hitler (Flammarion, "Champs contre-Champs", p. 166), le penchant de Lang pour l'ornementation pompeuse."
   Tout cela conforme au fétichisme du signifié guidant le récit. Il s'agit de se réfugier dans des valeurs sûres, de ne pas prendre le risque de l'écriture. Ce que renforce une narration toujours prévisible. Aussi bien le fou n'a-t-il escaladé le toit de la cathédrale avec son fardeau que pour être mieux précipité dans le vide, 
destin à la mesure de tout mégalomane qui se respecte. Mais il fallait d'abord qu'il déposât Maria sur le faîtage, afin qu'elle soit encore disponible pour le dénouement, non sans avoir fait frémir le spectateur en perdant l'équilibre avec rattrapage ultime dans une posture instable. Encore une occasion de perdue pour le burlesque. On peut regretter enfin que tout ce qui tournait autour de la main, qui pouvait donner lieu à un régime d'écriture, soit mis au service d'aussi plates idées. Mains crispées des opprimés de la main-d'œuvre (l'arrivée de la main-d'œuvre extérieure en cinq colonnes venant de l'arrière-plan dans l'axe de la caméra réunies à l'avant plan), main manquante du fou qui fait vivre la machine humaine, main fraternelle de Freder et poignée de main du pacte. 
   En définitive, ce chef-d'œuvre pourrait avantageusement s'intituler Jésus revient. C'est Freder (synthèse de frère et de Bruder) crucifié sur les aiguilles de l'horloge géante, le Médiateur au doux visage, dont est espéré l'avènement, celui qui "montre le chemin", annoncé par la sainte Marie les yeux au ciel et nimbée de lumière, muée en grande prêtresse des catacombes comme aux premiers temps de la chrétienté. Mais un Jésus qui, à l'amour des humbles,
préférera la conciliation solennelle du capital et du travail, quitte à justifier ces noces obscènes en humanisant in extremis le grand patron.  09/11/17 Retour titres

Notes

1 "Colossalement stupide" notait Gide dans son journal le 19 avril 1927 après avoir vu le film.