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Erich von STROHEIM
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La Loi des montagnes/Maris aveugles (Blind Husbands) USA Muet N&B 1919 70' (durée originale, 107') ; R., Adapt., Sc. E. von Stroheim, d'après The Pinnacle, du même ; Ph. Ben Reynolds ; Pr. Universal/Carl Laemmle ; Int. E. von Stroheim (lieutenant von Steuben), T.H. Gibson Gowland (le guide Sepp), Sam DeGrasse (Dr Armstrong), Francellia Billington (Mrs. Margaret Armstrong), Fay Holderness (la femme de chambre de l'hôtel), Valerie Germonprez et Jack Perrin (Mr. et Mrs. Right, les jeunes mariés).

   Le docteur Armstrong et Madame séjournent à Cortina d'Ampezzo, dans les Dolomites, sous le même toit hôtelier que le lieutenant autrichien von Steuben, élégant écumeur de jupons. Parallèlement à d'autres idylles
ébauchées, il courtise Mrs Armstrong qui, souffrant du désintérêt de son époux et émoustillée par le voisinage de Mr et Mrs Right, jeunes mariés démonstratifs, n'est guère indifférente. Cependant le guide Sepp, ami du docteur, à qui il sauva la vie dans la montagne, veille au grain. Durant ses absences, Armstrong confie son épouse au fringant officier. On est sans nouvelles de trois hommes plus intrépides que compétents lancés à l'assaut d'un sommet. Le docteur se joint à l'expédition de secours. Von Steuben qui, sous l'œil sourcilleux de Sepp, a déjà fait preuve de hardiesses manuelles, s'empresse d'offrir un coffret ancien à sa proie. Il pénètre dans sa chambre et obtient une promesse de faveurs, par peur autant que désir.
   Armstrong un jour décide d'entreprendre l'escalade du terrible Pinnacle. Von Steuben ne peut que participer pour ne pas déchoir. 
Mrs Armstrong les accompagne jusqu'au refuge ainsi que le guide et les époux Wright. Sepp veille dans le couloir car les chambres de la belle délaissée et de l'entreprenant officier se font face, ce qui n'empêche point, l'espace d'une seconde d'inattention, une lettre de se glisser sous la porte de ce dernier. Le lendemain matin les deux rivaux entreprennent la périlleuse escalade. À l'arrivée Steuben est épuisé. Armstrong trouve dans la poche de celui-ci la lettre sans pouvoir la lire, car son destinataire par un sursaut d'énergie l'envoie d'une pichenette dans le vide. Le mari offensé coupe la corde qui les relie et redescend seul sachant son compagnon inapte.
   Prise d'un pressentiment marqué par le montage
parallèle, Margaret convainc le guide et la Compagnie Tyrolienne des Fusiliers Impériaux de passage de partir à la recherche des deux hommes. Pendant la descente le docteur retrouve la lettre. Elle prouve l'innocence de Margaret. Il se ravise donc mais en se hâtant de remonter fait une mauvaise chute. Il est recueilli par l'équipe de secours. Sur ses indications, elle se lance à la rescousse du coéquipier. Pris de panique cependant, celui-ci suit le mortel chemin de la lettre dans le vide. Sur la place du village tout le monde fait ses adieux aux Armstrong, sur le départ en même temps que les Right. Sepp recommande à son ami de bien aimer sa femme. Dans la voiture, le couple établi n'est pas moins démonstratif que le jeune.

   Ce film réussit le tour de force d'être à la fois moral et immoral sans contradiction, car bien que le suborneur ait été sacrifié et que l'honneur de la digne épouse soit sauf, l'érotisme transgressif n'en constitue pas moins la matière du récit, dont l'éthique
(1) affirme en dernière instance que le sexe ne supporte la conjugalité que sur la base d'un clivage. En un mot, la sexualité est une réalité irréductible.
   Tout montre que la logique du sexe suit sa voie propre sans être incommodée par celle parallèle de la morale. Von Steuben (von Stroheim, Galerie des Bobines) et les époux Armstrong se sont rencontrés dans la voiture de poste menant à l'hôtel. Sanglé dans un impeccable uniforme, les mains appuyées sur le pommeau du sabre indécemment dressé entre ses jambes, le lieutenant braque un impertinent monocle sur cette belle inconnue à l'air un peu perdu. L'œil prédateur se portant net aux jambes, on ne sait pas tout d'abord ce que pense la femme, en tout cas son regard à elle est aussi prudent qu'actif. Plus tard enhardi jusqu'à lorgner en coulisse, Steuben provoque une réponse sous la forme d'un nuage de fumée de cigarette projeté comme un brouillard enveloppant Margaret dont les jolis yeux clignent avec un plaisir évident
, sous ceux de Sepp posté à l'arrière plan. Ce qui indique un jeu plus pervers.
   Il y a toujours un stimulus voyeuriste par la permanente présence des jeunes tourtereaux à la vue de Margaret, qui retourne ensuite au militaire. Ce qu'elle distingue en l'occurrence est une main féminine se glissant vers le pantalon, que l'homme dissimule d'un pan de veston. Le contrechamp s'accompagne d'un
soupir, qui n'échappe pas au mari. Davantage, il y a toujours un ou plusieurs tiers jaloux (la femme de chambre séduite) ou attentifs : Sepp n'est nullement innocent. Ne s'immisce-t-il pas dans la vie du couple à surveiller l'épouse puis prodiguer des conseils intimes au mari ? Le Saint-Bernard qui l'accompagne partout et pénètre même un moment dans la chambre de 
Mrs Armstrong marque une ambiguïté. Le chien veille, mais en animal, pendant instinctuel de la pureté supposée du guide, dont l'abondante pilosité pourtant le rapproche.
   Bref, la dialectique de l'œil et du corps déploie l'espace érotique du film. Le lieutenant toise le corps de Sepp pour se féliciter en comparaison, sous la forme particulièrement scabreuse du travelling vertical descendant collé au
corps, soulignant par contrecoup un guide lui-aussi en lice. Ce n'est pas un hasard, du reste, si les seuls autres travellings verticaux concernent la montagne, présentée comme puissance érotique et dont Sepp est expert. Si les trois alpinistes amateurs y sont ineptes, c'est pour mieux mettre en valeur le caractère sacré de l'accomplissement. Il n'est pas davantage fortuit que le film soit dédié au vrai guide des montagnes dans la réalité, Sepp Innerkofler. Les allusions des cartons sont claires. Le docteur "grimpe" la montagne (pendant que d'autres songent à le faire avec sa femme). De la montagne enveloppée de brouillard, à l'instar de Mrs Armstrong dans la fumée du séducteur, et dans la tension érotique du vis-à-vis des chambres soulignée par l'oreille plaquée contre la porte, proviennent de véritables signaux de parade amoureuse sous la forme d'"une chouette de montagne appelant sans cesse… appelant".
   Cette figure indique une conquête surhumaine impliquant une lutte de nature spirituelle. La pente de la montagne est, un moment, hyperbolisée par le cadrage oblique d'un plateau horizontal : la tension provient de ce que les personnages, au lieu d'être verticaux selon les lois de la gravité sont perpendiculaires à la
pente
(comme dans un dessin d'enfant). Les scènes de varappe en plan fixe insistent interminablement sur les ratages, donnant la mesure des enjeux du conflit triangulaire formé par les deux hommes et la femme. Maintenus à distance par l'arbitrage du guide, les protagonistes, que sépare un simple couloir, méditent leur tactique. Un objet éclairé par la lampe à pétrole de Sepp évoque des cornes de taureau stylisées, véritable figure archaïque suggérant un dénouement sanglant. La victoire finale est marquée lyriquement par la participation massive de la population aux adieux des vainqueurs. Le dernier plan lointain en fermeture à l'iris sur la voiture gravissant une route déserte et bifurquant vers le bord du cadre (et non à l'horizon idéal), affirme que l'aventure continue, car rien n'est gagné d'avance.
   Voilà donc un premier film qui est un coup de maître, parce qu'il ne fait aucune concession au cinéma du temps, et donne libre cours au développement d'un fantasme
(1) formateur avec des moyens filmiques, bien loin de toute fastidieuse démonstration en règle. 23/04/04 Retour titres