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L'Ile nue (Hodaka no Shima) Jap. VO N&B Scope 1960 92' ; R., Sc. K. Shindo ; Ph. Kiyoshi Kurora ; M. Hikaru Hayashi ; Pr. Kindai Eiga Kyokai/Toho ; Int. Nobuko Otawa (Toyo, la mère), Taiji Tonoyama (Senta, le père), Shinji Tanaka (Taro), Masanori Horimoto (Jiro).
Toyo, Senta et leurs deux garçonnets vivent sur un îlot escarpé dépourvu d'eau douce. Pour les cultures et la vie domestique les parents font d'incessants allers-retours en barque, rapportant du continent les seaux d'eau qu'il faut ensuite hisser par paires au moyen d'un balancier prenant appui sur l'épaule. À chaque saison sa peine : semer, faucher, battre le grain, le porter à la ville pour le vendre, récolter les algues. Sans compter l'aîné qu'il faut conduire à l'école sur le continent.
La vente du produit de leur peine, auquel s'ajoute un poisson de belle pointure capturé par les garçons, est l'occasion d'une sortie familiale en ville. Mais, en l'absence des parents à la corvée d'eau, le fils aîné tombe malade et meurt avant l'arrivée du médecin. La cérémonie funéraire se tient sur l'île en présence de la classe d'école et du prêtre. Au soir les parents comblent la fosse. Le lendemain, dans une crise de désespoir, la mère répand la précieuse eau et se prend à arracher les pousses avant de s'effondrer sur le sol poussiéreux à grands cris. Jiro imperturbable continue à soigner les cultures. À cette vue, Toyo finit par se calmer et suivre son exemple.
"Dépouillement" est le maître-mot : l'essentiel réside, sans une parole, dans l'inlassable portage jusqu'à la terre altérée absorbant avidement le précieux liquide pour rendre de maigres pousses. Pour le reste, l'habitation est sommairement présentée de l'extérieur où errent quelques animaux, une chèvre et des canards. À peine quelques indications de la vie domestique : repas, bain du soir pris à tour de rôle dans la même barrique de fer par toute la famille. Les seuls événements marquants sont le trébuchement dans la montée de la femme sous le faix, aussitôt punie d'une gifle de la main de son époux, la capture du gros poisson, le voyage à la ville et la mort de l'enfant entraînant le débarquement du cortège funèbre.
L'inlassable succession des mêmes gestes dont le caractère exténuant est souligné par des cadres serrés, associés à des angles incommodes liés à la pente mais qui permettent d'inclure tour à tour le ciel et la mer : porter, ramer, emplir ou verser, gravir et dévaler, arroser, creuser, se voudraient le témoignage d'une vie de labeur héroïque interrompue par un drame qui en affecte à peine le cours.
L'accompagnement intermittent d'un thème musical en crescendo mélancolique en est l'envahissante et désuète expression sonore. Les plages de silence cependant n'apparaissent guère plus authentiques, le film étant conçu comme une démonstration mélodramatique dont la simpliste morale se résume au cliché : "la vie continue". C'est ce que conclut en tout cas le dernier plan aérien en hélicoptère, la caméra contournant un côté de l'île avant de prendre la tangente. La gifle même qui, par son caractère inopiné, semblait devoir entraîner un questionnement, n'est guère que le contrepoint par anticipation de la crise de désespoir, pour souligner l'indifférence apparente du mari.
Le parti-pris documentaire ne manque pas d'intérêt en soi, mais il implique un choix de pertinence éliminant la chair même de la vie. Les choses sont là pour définir un monde et non son humanité. Les animaux domestiques présentés à titre informatif au début, disparaissent ensuite : ils n'ont pas de dimension symbolique(1). Le ciel et la mer sont des acteurs privilégiés, jusqu'au pittoresque. Très belles photos de l'aube, du coucher de soleil et du crépuscule sur les fossoyeurs de leur propre enfant, genre Angélus de Millet.
Bref, en insistant sur le thème de l'effort surhumain, que la catastrophe du deuil met en question pour mieux le valoriser, le filmage ne s'inquiète guère d'une quelconque émergence émotionnelle à l'image sonore. Tout cela semble loucher du côté du cinéma soviétique, en ceci que, dans un contexte réaliste de productivité associée à de beaux paysages (même la tombe est cadrée comme une carte postale sur fond de littoral dominé par le relief), le malheur personnel doit être dépassé en faveur du bien commun représenté par la magnification du travail. D'où, sans doute, le grand prix décroché au festival de Moscou en 1961.
La critique est aisée... rétorqueront les inconditionnels, feignant d'ignorer que le risque est mortel de s'exposer à juger selon son âme ce que la critique officielle se fait un devoir d'adorer. 15/03/05 Retour titres