CINÉMATOGRAPHE 

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Anthony MANN
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L'Homme de l'Ouest (Man of the West) USA VO DeLuxe Color CinemaScope 1958 96' ; R. A. Mann ; Sc. Reginald Rose, d'après The Border Jumpers de William C. Brown ; Ph. Ernest Haller ; M. Leigh Harline ; Pr. Artistes associés/William M. Mirisch ; Int. Gary Cooper (Link Jones), Julie London (Billie), Lee J. Cobb (Dock Tobin), Arthur O'Connell (Sam), Jack Lord (Coaley).

   Chargé par les citoyens d'un trou perdu de l'Ouest de ramener une institutrice moyennant un an de salaire d'avance, Link Jones (Gary Cooper : Galerie des Bobines) prend à Crosscut, après cinq jours de cheval, le train pour Fort Worth. À bord, un joueur professionnel, Sam Beasley, qui lui colle aux basques, lui présente la chanteuse de saloon Billie Ellis, ancienne institutrice précisément. Attaqué cependant à la faveur d'un approvisionnement en bois, le train parvient à filer, laissant le trio en rade à cent miles de la prochaine ville, tandis que quatre hors-la-loi, dont un mortellement blessé, détalent sous les balles. Link conduit ses deux compagnons dans une baraque isolée par lui connue. Ils tombent sur la bande du hold-up, que dirige Dock Tobin, son oncle, avec lequel il avait écumé les banques avant de changer de vie.
   Dock lui en veut toujours de l'avoir laissé tomber sans crier gare. Il souhaite pourtant le reprendre. Par prudence, Link feint d'accepter et, afin de la protéger, présente Billie comme sa compagne : "She's my
woman" (et non wife), ce qui n'est guère suffisant. Mettant un couteau sous la gorge de Link en effet, Coaley, un cousin, contraint la jeune femme à un strip-tease, interrompu par Dock que préoccupent les choses sérieuses à l'instigation de Link : l'attaque de la banque de Lassoo, censée être un riche dépôt de mineurs.
   Le lendemain matin, arrive Claude, le fils de Dock qui, méfiant à l'égard de son cousin Link, pense l'éliminer à la première occasion. Cependant Lassoo s'avère être une ville fantôme dont la banque ne comporte guère que des coffres tout aussi fantômes. Cela tourne mal pour Link qui abat les membres de la bande un à un, pendant que Dock resté à l'arrière viole Billie confiée à sa sauvegarde. En apprenant la mort de son fils, l'oncle force le neveu à l'abattre en faisant mine de le viser. Link trouve sur lui son argent.
   Le couple repart en chariot sans espoir d'avenir commun. En dépit d'un sentiment refoulé et de l'amour déclaré de Billie à son égard, Link restera fidèle à son épouse. La qualité d'institutrice est un atout dérisoire qui souligne la cruauté de la situation, exigeant qu'elle s'éloigne. Dans le dernier plan, le chariot disparaît à l'horizon d'une vallée moins aride dans un plan général en plongée, comme pour sauvegarder du précieux secret l'instantané d'une chance impossible.

   Descente aux Enfers par conséquent pour celui qui s'était refait une virginité sans avoir expié sa faute. Il lui faut décimer, malgré un prénom fédérateur ou plutôt à cause du choc de cette inadéquation, ce qui lui reste de famille et résister à la tentation amoureuse comme dans une épreuve initiatique. Le trémolo involontaire quand il la prie de se rhabiller, la rage mise à venger le strip-tease en déshabillant Coaley et le meurtre de l'oncle violeur, sans compter les gestes tendres, disent suffisamment les sentiments de Link envers Billie.
   C'est tellement un destin de tragédie que, sans nuire à la force dramaturgique, cela peut commencer comme un banal western dans les règles : une arrivée joyeusement rythmée dans une ville animée et la rencontre d'un personnage bonhomme et rondouillard à qui Link aide à dresser une échelle contre la façade du Longhorn Palace pour remplacer l'enseigne libellée "Billie Ellis à la voix d'or". La chanteuse en effet quitte pour toujours l'établissement, trop heureuse d'échapper aux mains baladeuses. On s'amuse ensuite de la trouille du héros sur le quai à l'arrivée du train crachant des jets de vapeur, de l'inconfort qui l'oblige à plier ses longues guiboles pour se caser sur un étroit fauteuil, de son désarroi du démarrage hoquetant de grosse mécanique.
   Fausse piste que tout cela, pour mieux tromper l'attente du spectateur, qui va être empoigné sans avoir pu préparer aucune défense. Le changement d'enseigne marque en fait symboliquement une rupture. Comme l'annonce Beasley, il n'y a dans ce pays que serpents, tarentules et hors-la-loi. Le registre véritable est tout entier dans la situation de non-retour (à cent miles de la ville, pas de train avant une semaine) qui le conduit sous un ciel jaunâtre dans un passé de cauchemar à travers des paysages arides et désertiques, jusqu'à la ville fantôme où tout se dénoue enfin dans le bain de sang familial.
   Les images sont si cohérentes que, prolixe la plupart du temps, la musique de soutien en reste parfois coite. En étirant considérablement l'espace entre les êtres par l'élargissement de champ, puis en le recomprimant, le Scope permet un jeu hypnotique de réévaluation permanente des rapports, imprimant une dynamique mentale au mouvement de la crise. Tout cela ferait un film exceptionnel s'il n'y avait les clichés. Sans parler du commentaire musical pléonastique (hautbois et violons pour la tendresse, etc.), les mines et QI patibulaires (Stout, Ponch et Trout), la bagarre au milieu des chevaux hennissant de frayeur, effet hyperbolique déjà vu notamment dans
L'Homme des vallées perdue (George Stevens, 1953), et le brave second rôle, Beasley, se sacrifiant en prenant pour lui la balle destinée au héros... 13/04/04 Retour titres