CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE



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Marcel CARNÉ
Liste auteurs

Les Portes de la nuit (générique) Fr. N&B 1946 120' ; R. M. Carné ; Sc. Jacques Prévert, Joseph Kosma, d'après le ballet Le Rendez-vous ; Ad., Dial. Jacques Prévert ; Ph. Philippe Agostini ; Déc. Alexandre Trauner ; Mont. Jean Feyte et Marc Gottié ; M. Joseph Kosma ; Pr. Pathé-cinéma ; Int. Yves Montand (Jean Diégo), Nathalie Nattier (Malou), Pierre Brasseur (Georges), Serge Reggiani (Guy Sénéchal, le frère de Malou (Galerie des Bobines)), Saturnin Fabre (le père), Julien Carette (Quinquina (Galerie des Bobines)), Mady Berry (Mme Quinquina), Dany Robin (Etiennette), Jean Vilar (le Destin), Raymond Bussière (Raymond Lécuyer), Sylvia Bataille (Mme Lécuyer), Christian Simon (leur fils Cricri), Fabiren Loris (le chanteur des rues), Jean Maxime (l'amoureux d'Etiennette). 

   Février 1945. Venu annoncer à son épouse la mort sous le peloton d'exécution de son copain Raymond, Jean Diégo a la joie de le retrouver vivant. Après avoir été torturé comme communiste résistant, il fut sauvé
in extremis pour supplément d'enquête. Jean dissimulé dans une cachette avait été témoin de la dénonciation sans voir le visage du traître. Il invite la petite famille au restaurant du marché noir où il rencontre le Destin, qui lui montre une inconnue au dehors dans une luxueuse automobile. Survient Guy, le fils de Sénéchal, le propriétaire de Raymond, un ancien collabo. Le fils ne vaut guère mieux que le père. Le Destin lui prédit une mort sordide.
   Le dernier
métro passé, Raymond offre l'hospitalité à son pote. Au cours de la nuit, Jean retrouve dans la maison la femme de l'auto, Malou, qui se trouve être la fille de Sénéchal et la sœur de Guy. Elle vient de quitter son riche mari Georges. Ils dansent sur l'air des Feuilles mortes joué
par le Destin à l'harmonica. L'amour les unit aussitôt. Entre-temps Guy se sentant grillé vient faire ses valises. Jean le reconnaît à sa voix : c'est le délateur. Retenu par la présence de Malou, il l'épargne.
   Toujours sur leur chemin, le Destin conseille à Guy de renoncer au revolver. Celui-ci passe outre et s'esquive. Au dehors il rencontre Georges cherchant sa femme au bord du canal où l'on vient de repêcher une noyée. Non ! Ce n'est pas elle. Guy apprend que la fugitive est sa sœur. Flairant la possibilité d'une vengeance, il se présente et propose de le mener à elle mais, évoquant un danger possible, confie son revolver à l'homme délaissé. En voiture, ils tombent sur les amoureux qui s'étreignent en pleine
rue, malgré les avertissements du Destin. Malou confirme à son époux qu'elle le quitte. Il tire. Guy s'éclipsant va se suicider sous un train de manœuvre guidé par le cheminot Raymond. Malou meurt à l'hôpital. Jean s'enfonce dans les labyrinthes de la grande ville.

   La puissance du mystère tient ici à la poésie du Paris populaire d'après-guerre, dont la photographie magnifie la nuit désertique et trouble dans une ambiance de transition historique.
   Car symboliquement le monde ne se limite pas à Paris. L'omniprésence du métro et du chemin de fer dont les sifflets stridents percent la nuit, la référence aux États-Unis où ont séjourné indépendamment Malou et Jean, à l'île de Pâque où ils faillirent se croiser ayant gravé leur nom sur la même statue, à Londres où la jeune femme a passé une partie de la guerre avec son mari, tout cela crée un contexte planétaire qui donne puissance au Destin, dont le pouvoir d'ubiquité est absolu.
   Le rôle de celui-ci cependant recouvre un mythe de la certitude qui n'est qu'une affirmation du doute en rapport avec l'enjeu du temps. L'esthétisation de la
laideur urbaine, qu'on a pu appeler réalisme poétique, apparaît comme une forme de fétichisme rassurant, proposant de faux repères à un monde qui n'ose regarder en face son avenir.
   Ce fantasme
(1) inconscient est peut-être le plus intéressant dans un film par ailleurs obnubilé de perfection technique. D'autant qu'à y regarder de près, la force de l'espoir n'en est pas absente. Si en effet l'amour, qui est la dynamique de l'avenir, est rendu impossible par la mort, la courte idylle des protagonistes est doublée par celle, imperceptible, d'Etiennette, la jeune voisine : petite lueur du lointain à venir.
   À cause de cela peut-être, et non de la qualité du dialogue, des décors, des éclairages, du cadrage, de la musique, de la distribution (malgré l'incompréhensible défaveur consensuelle de la critique à l'égard de Montand),
Les Portes de la nuit, dont le titre en dit plus qu'il n'en a l'air, peut être tenu, fût-il daté, pour un des films les plus estimables de Carné. 14/08/04 
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