CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


sommaire contact auteur titre année nationalité





Luc et Jean-Pierre DARDENNE
Liste auteurs

Le Fils Bel.-Fr. 2002 103' ; R., Sc., L. et J.-P. Dardenne ; Ph. Alain Marcoen ; Son Jean-Pierre Duret ; Mont. Marie-Hélène Dozo ; Pr. Les Films du Fleuve, Archipel 35 ; Int. Olivier Gourmet (Olivier), Morgan Marinne (Francis), Isabella Soupart (Magali).

   Professeur de menuiserie dans un centre de réinsertion, Olivier accepte, après avoir refusé, de former le jeune Francis, bien qu'il ait en lui identifié le meurtrier de son propre fils, libéré après cinq années de détention. Attiré pour des raisons obscures par l'adolescent, il le suit et l'espionne.
   Entre-temps, Magali, son épouse divorcée, lui annonce qu'enceinte elle va se remarier. Il l'informe de la libération de Francis en dissimulant son propre rôle. À la fin de la semaine il s'est proposé de reconduire le jeune homme chez lui. Magali survient en fureur. Laissant Francis dans la voiture il se porte au-devant d'elle et confirme ce qu'elle craignait. Elle perd connaissance. Après l'avoir secourue, Olivier propose à Francis de l'accompagner dimanche, pour chercher du bois à la scierie à une centaine de kilomètres de la ville.
   Pendant le trajet, Francis, délaissé par ses parents, exprime le désir d'avoir pour tuteur Olivier, qui ne se prononce pas. Le maître une fois sur place teste les connaissances de l'apprenti puis brusquement lui lance que le garçon étranglé pour un autoradio était son fils. Francis va se cacher au fond des empilements de planches puis s'échappe dans la forêt. Olivier le rattrape, le terrasse, esquisse un geste de strangulation puis retourne à la scierie. L'adolescent finit par revenir vers lui pour l'aider à charger la remorque. La reprise de la tâche commune marque avec l'apaisement le dépassement du conflit.

   Le tour de force consiste à interroger une conscience tourmentée en quête de baume, à partir des gestes du corps dans un environnement donné. Opiniâtre capteur sensoriel, la caméra légère tenue à bout de bras dans des plans-séquence, colle à la chair et aux muscles en action pour atteindre à l'âme blessée.
   Le matériau de départ offre des pistes de lisibilité. La souffrance s'inscrit dans la ceinture de force, la forte myopie, la corpulence et le souffle d'un quadragénaire doté d'une vitalité à ruades dans les brancards pour se reconstruire sur la base du corps meurtri. L'exiguïté des intérieurs : locaux du centre d'apprentissage, logements, habitacle de voiture, impose un cheminement malaisé, à tâtons, labyrinthique. La menuiserie nourrit l'imaginaire de la réparation en acte. Non seulement comme figure purement physique, mais surtout de ré-apprentissage à l'existence, du père avec le meurtrier qui est, par un profond paradoxe, comme l'incarnation la plus fidèle du fils.
   Ensemble il font inconsciemment le deuil en montant pour le nouvel élève une boîte à outil en forme de petit cercueil de bois blanc porté en bandoulière. La concorde finale est marquée par la parfaite coordination des quatre mains enveloppant
comme d'un linceul les madriers. La précision du geste, la mise en œuvre véridique des méthodes de travail du bois sont comme la caution d'authenticité du cheminement prophylactique rendu sensible par le rythme d'écoulement de la durée dans le plan : débarrassé de tout placage musical extrinsèque, celui-ci capte en effet ludiquement la dynamique des êtres et des sons.
   Olivier ne porte donc pas pour rien le nom de l'arbre. Le bois est une réalité diversifiée dans sa nature et dans ses états. Tout un travail d'évaluation préalable est nécessaire pour en tirer le bon matériau. Maître de la détermination des essences, du façonnage, du montage et des mensurations, Olivier initie simplement un adolescent impliqué dans son drame pour se donner un compagnon de misère.
   Francis aussi porte les stigmates du traumatisme : il est un peu trop réservé et prend des médicaments pour dormir mais s'assoupit le jour. Il ne s'agit pas de pardonner comme on l'a cru, mais de surmonter avec les moyens qu'offre la vie. L'étiquette de meurtrier décollée, il reste un autre enfant à adopter, dénouement nécessaire d'autant que le père est solitaire et que la mère du défunt de son côté attend un enfant.
   Il serait dommage en définitive d'affadir ce film en le classant dans un genre. Certains critiques, inspirés par la formation de documentaristes des frères Dardenne ont pu parler de réalisme. Certes ! Mais en tant que moyen seulement...
   L'exploration minutieuse de la réalité n'est que l'instrument de celle du mystère du monde intérieur. Encore est-on fort loin d'une méthode documentaire. Jamais le documentaire ne se tiendrait proche des personnages au point de transgresser les règles cognitives, ni ne les accompagnerait dans leur aventure symbolique. Au diable le genre, ce n'est qu'un filtre commode! Parlons plutôt de filmicité
(1), de tragique(2), du symbolique(3) et de ses effets éthiques(4).
   E
ffectuant un retour critique sur nos valeurs calibrées, déchirant un coin du voile, ce film découvre d'imperceptibles traces en train de s'évanouir, indiquant une vérité toujours à reconstruire. On est bien aux antipodes du réalisme ! Le Fils méritait amplement la Palme. En couronnant l'acteur principal en 2002, le jury cannois avait pris l'effet pour la cause. 24/05/05 
Retour titres