CINÉMATOGRAPHE 

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Luigi COMENCINI
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L'Argent de la vieille (Lo Scopone scientifico) It. VO couleur 1972 118' ; R. L. Comencini ; Sc. Rodolfo Sonego, d'après un fait divers ; Ph. Giuseppe Ruzzolini ; M. Piero Piccioni ; Pr. Dino de Laurentiis ; Int. Alberto Sordi (Peppino), Silvana Mangano (Antonia), Bette Davis (la milliardaire), Joseph Cotten (George), Domenico Modugno (Righetto), Antonella Demaggi (Cleopatra), Mario Carotenuto (le professeur). 

  Une richissime vieille Américaine passionnée de cartes et plus particulièrement de "Scopone scientifico" vient comme à l'accoutumée passer le printemps à Rome où l'attend impatiemment un couple de pauvres qui s'est entraîné pour la plumer.
   Antonia et Peppino dépendent du coup de fil de "la vieille" qui les invite sur les hauteurs de la ville dans la somptueuse villa louée, séparée par des grillages de leur misérable bourgade. Un quatrième joueur se joint à eux, le factotum George, ancien amant réduit en esclavage. À chaque fois, la vieille dame leur prête un million qu'ils perdent régulièrement depuis huit ans. Une nuit pourtant, ils gagnent jusqu'à deux cent quatre-vingt millions. Leur hôtesse est terrassée par une attaque mais s'acharne moribonde jusqu'à regagner toute la somme, augmentée de trois cent mille lires.
   La veille du départ de la vieille sorcière, Antonia met en jeu son mariage en faisant équipe avec un soupirant, le joueur professionnel Righetto-le-tricheur. Tout le quartier se cotise pour la mise : un million trois cent mille lires. Ils perdent, et le grand joueur commet un suicide manqué, tandis que le sage de la communauté, dit le "professeur", qui avait organisé la collecte est poignardé. Peppino et Antonia réconciliés gagnent l'aéroport afin de s'acquitter de leur dette, en espérant que leur créancière leur fera grâce, comme toujours, de la somme hypothéquée
in extremis sur leur bicoque. Mais cette fois l'Américaine propose de la jouer et elle l'emporte. Cleopatra, la fille aînée lui offre un bouquet de fleurs et un gâteau empoisonné qu'elle a confectionné à son intention pour le voyage. 

   Traitée dans le style de la comédie burlesque, il s'agit d'une satire sociale et politique sur l'injustice fondamentale de la société humaine. Les cinq enfants du chiffonnier Peppino et de la femme de ménage Antonia, sont forcés de travailler de nuit. Les parents succombent au mirage du jeu pour se sortir de la misère. On vient de proposer à Peppino un commerce dans ses cordes à un prix intéressant. Il pourrait aussi rembourser ses dettes et racheter la liberté de sa sœur, qui fait le trottoir. De condition identique, tout le quartier se passionne pour le combat.
   Bien que prétendant ne pas jouer pour l'argent, la milliardaire est une femme d'affaires impitoyable, qui ne fait pas de différence entre le jeu et la bourse. Tout en leur témoignant une condescendante affection, elle les considère comme des larbins, bons à lui préparer des spaghettis au milieu de la nuit. Elle feint d'ignorer les allusions désobligeantes à son égard venues par hasard frapper ses oreilles. Son acharnement se marque par une riche série de faux abandons. Tout le monde, y compris le médecin, s'oppose à ce qu'elle continue. On la donne enfin pour morte. Les croque-morts sont sur les dents. Mais elle se réveille, articule péniblement son intention de reprendre le jeu. À la fin, pur symbole de la vitalité aveugle de la finance, elle est à nouveau fraîche comme une rose malgré des heures de veille et plusieurs fatales
attaques.
   Le leurre trompant l'attente romanesque du spectateur est à la mesure de celui dont sont victimes les pauvres. Il souligne le caractère infranchissable du fossé social. La petite Cleopatra au visage trop sérieux est le contrepoint déterminant qui va donner au régime comique son piment tragique. Le renversement est d'autant plus sensible que le film se termine comme il a commencé : à l'aéroport, à la suite d'une ellipse sur le dénouement de la dernière partie de cartes qui est comme une commotion dans le régime narratif ordinaire au film. On annonçait gagnants les pauvres mais l'on découvre Righetto à moitié noyé, ce qui empêche le suicide de Peppino au même endroit du fleuve.
   Avec maestria les fils complexes de l'intrigue et de son enjeu éthique
(1) se mêlent puis se fondent en une seule ligne d'une impeccable netteté. Sous le divertissement sans faille, une brillante démonstration, dont l'intérêt ramassé au coup de théâtre final fait regretter la véritable émotion artistique dont la cause, elle, n'est pas localisable. 21/04/03 Retour titre