CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE


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Frank DARABONT
Liste auteurs

La Ligne verte (The Green Mile) USA VF 1999 189' ; R., Sc. F. Darabont, Stephen King, d'après sa nouvelle ; Ph. David Tahersall ; M. Thomas Newman ; Pr. Frank Darabont, David Valdes ; Int. Tom Hanks (Paul Edgecomb), Dabbs Greer (le même âgé), Michael Clarke Duncan (John Coffey), David Morse ("Brutal" Brutus Howell), Michael Jeter (Edouard "Del" Delacroix), Sam Rockwell ("Wild Bill" Wharton), Doug Hutchison (Percy Whetmore), James Cromwell (Hal Moores, le directeur), Barry Pepper, Jeffrey DeMunn. 

   Dans une maison de retraite, après avoir vu à la télévision un passage du film
Swing Time (1936, avec Fred Astaire et Ginger Rogers) qui l'a bouleversé, un centenaire entreprend d'expliquer les raisons de ses fréquentes petites escapades à une amie. S'ensuit le récit rétrospectif d'une partie de sa vie, qui va constituer l'essentiel de La Ligne verte.
   En 1935, Paul Egecomb, gardien-chef du pénitencier de Cold Mountain en Louisiane dans le quartier des condamnés à mort, se faisait un devoir d'adoucir les derniers instants des pensionnaires. La ligne verte, ce sont les derniers mètres avant la chaise électrique en raison de la couleur du sol du couloir qui y conduit.
   Débarque
John Coffey, colosse noir condamné à mort pour le viol et l'assassinat de deux fillettes blanches. Sous son effrayant gabarit, il a une âme d'enfant et manifeste bientôt des pouvoirs surnaturels qui délivrent Paul d'une infection urinaire tout en lui insufflant une vigueur sexuelle nouvelle. L'homme reconnaissant ira jusqu'à prendre sur lui de faire quitter la prison à son bienfaiteur pour qu'il guérisse la tumeur cervicale maligne de l'épouse du directeur. Par ses dons de voyance transmissibles par contact, John révèle aussi l'identité du vrai coupable du double meurtre dont il est accusé, le dernier détenu arrivé, l'abominable psychopathe surnommé Wild Bill.
   Entre-temps paraît une souris que le détenu Delacroix adopte comme mascotte. Percy Whetmore, le gardien sadique, qui se croit invulnérable en tant que neveu du gouverneur, écrase la souris et par une fausse manœuvre délibérée fera atrocement souffrir Delacroix dans ses derniers instants sur la Chaise, au point de faire fuir les spectateurs installés face à lui sur des chaises naturelles. Cependant John ressuscite la souris et envoûte Percy, qui tue Wild Bill avant de sombrer dans la folie.
   L'heure de l'exécution du redresseur de torts approchant, Paul lui propose d'organiser son évasion. Il refuse et succombera à la décharge fatale au milieu des gardiens en larmes. Pour adoucir sa fin, Paul a accédé à son désir de voir un film avant de mourir.
Swing Time. La boucle est bouclée, et le moment venu pour le centenaire, dont le grand âge est imputable à la contagion des pouvoirs de John, de lever le voile du mystère de ses escapades. Il invite son amie à le suivre dans un cabanon sur la colline où une petite souris se prélasse dans une boîte à cigares garnie d'ouate : l'actrice même du drame toujours en vie après soixante années pour les mêmes raisons magiques.

   Très séduisant conte de fées empoisonné. On se passionne tellement pour les aventures de la petite souris et les exploits surnaturels du gentil géant, on se laisse si fort gagner aux bons sentiments des gardiens du couloir de la mort, qu'on en oublie l'extrême violence sociale présidant à l'extermination légale des plus doués pour le malheur, notamment des parias de la Grande dépression.
   De même qu'on est conduit à accepter que John, ce saint homme, puisse cautionner un tel système à faire justice soi-même en condamnant les deux crapules de l'histoire, l'un à la folie, l'autre à la mort. Sous des habits d'innocence, c'est la loi du plus fort dans ce qu'elle a de plus abject qui s'illustre ici.
   La distribution participe de cette vaste entreprise de mystification et de propagande en répartissant nettement les rôles selon la catégorie physique. Les deux méchants ont une
sale gueule. Tous les autres sont des braves types à en juger par le pur azur du regard de Paul ou la bonne bouille de panda familier de Brutal. Mis à part le psychopathe, les condamnés sont nécessairement du bon côté : non pas criminels mais figurants, pour légitimer la compassion des matons aux yeux du public.
  Il n'est donc pas question de sentiment chrétien, mais de la loi du Talion. Ils vont jusqu'à venger Delacroix en brutalisant Percy : toujours cette conception individualiste de la justice qui de surcroît banalise l'implacable machine d'État et fait accepter les scènes d'exécution - en temps "réel" - comme des maux inévitables.
   En résulte un néant artistique total, si l'on admet que la forme artistique
(1) est inséparable d'un projet spirituel qui ne peut se faire jour qu'à s'inventer un langage. Ce qu'on appelle esthétique n'est pas le Beau Idéal, mais l'accomplissement inouï à travers un support matériel qu'il transforme d'un sursaut de l'esprit adressé à l'humanité. Le conformisme idéologique ne peut conduire qu'au cliché esthétique.
   Si les scènes de surnaturel sont fascinantes, c'est parce qu'elles reposent sur des sentiments sublimes, mais ces derniers s'annulent d'être instrumentalisés par l'idéologie sous-jacente, avec laquelle la contradiction est absolue. Car au fond, ce qui est bel et bien affirmé en définitive, c'est la légitimité morale de la peine de mort. Chaque pas en avant sur ce parcours fleuve complaisant est minutieusement conçu pour nous amener insensiblement à une vérité aussi perverse que le
God Bless America de la conquête impérialiste. 5/06/03 
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