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Franz HOFER
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La Boule noire (Die schwarze Kugel) All. teinté 1913 35' ; R., Sc. F. Hofer ; Pr. Luna-film ; Int. Maria Cordes (Edith), Manny Ziener (Violetta), Paul Meffert (le vicomte Giron).

   Après l'enterrement de Gussy, on remet à ses sœurs,  Edith et Violetta
, une lettre posthume les sommant de retrouver le vicomte Giron, séducteur responsable de la mort de la jeune femme. Jurant de ne jamais appartenir à aucun homme, elles apparaîtront masquées sur la scène où elles se produisent comme jongleuses. Justement, après le spectacle, Giron émoustillé veut se les faire présenter. Il découvre leur véritable identité mais, convoitise passant prudence, glisse un billet à Violette qui, flattée, le dissimule dans son corsage.
   Edith s'introduit clandestinement chez l'affreux suborneur pour mener son enquête. Dissimulée par une tenture elle voit tomber d'une armoire secrète ouverte devant
elle un album de photos de Gussy. Les sœurs décident d'agir. Celle à qui, au terme du spectacle, restera en main l'unique boule noire parmi les blanches de la jonglerie, est désignée pour demander raison au vicomte. Le sort tombe sur Edith, mais Violetta la file.
   Une fois à demeure, Edith se démasquant sermonne le vicomte qui la fait arrêter par ses domestiques au faux motif du viol du meuble secret. Fuyant par un passage tout aussi secret repéré à sa première visite, elle retrouve dehors Violette dont elle emprunte le
chapeau avant de se plonger dans un buisson. Ignorant la substitution, le palefrenier sur ses talons prend Violetta en chasse. Finalement Edith et Violetta rattrapées sont ramenées au vicomte qui a fait une grave chute entre-temps et se repent. Mais les filles sortent en le toisant avec hauteur.

   Divisée en trois actes, l'intrigue s'alimente à tout un fatras mythologique daté et tire profit d'un numéro de music hall
"unheimlich", selon les termes mêmes de l'intertitre : entre rituel sauvage et
féerie, et la séance de teinture de la boule noire a des relents de cérémonie occulte. Le décor intérieur qui, peint sur fonds de toile, se doit d'évoquer l'aristocratie romanesque, le passage secret, la vertu offensée, les poursuites acrobatiques font le reste.
   Gros yeux et gestes emphatiques ne nous sont guère davantage épargnés, même s'ils sont un peu plus sobres que ne le voudrait la norme européenne d'alors. La mise en scène est encore soumise au modèle théâtral, à point de vue frontal fixe avec effets de rideau. Ainsi le décor est-il conçu pour un objectif sinon fixe du moins aux déplacements strictement transversaux et les portes et passages sont toujours disposés face au
spectateur, ce que confirme en abyme (figuré dans le récit même) la position des spectateurs intradiégétiques dans leur loge
, alors que
chez Stellan Rye et Sjöström ou dans l'école danoise (Urban Gad, August Blom) et outre-Atlantique (Ince, Porter, Griffithle décor était déjà ordonné aux bords du cadre et à des axes variables selon des points de vue multiples.
   Pourtant ce film est techniquement évolué, tout à la fois quant au recours à une forme ancestrale du zoom, à l'utilisation de la profondeur de champ comme plan distinct du premier plan, à l'économie du hors-champ et du plan-séquence (donc aux mouvements d'appareil témoignant d'un certain questionnement filmique), au montage décomposant le mouvement en distribuant les différents moments dans des plans distincts et au recadrage (en une vision plus intime), supposant un souci du raccord tel que la dernière scène montrant l'envers du rideau par lequel sortent les deux s
œurs après avoir exprimé leur mépris au vicomte.
   Même si c'est le personnage qui se déplace et non la caméra, la boule noire transportée le long de son axe jusqu'à l'objectif produit un effet
zoom (comme la lune chez Méliès, peinte sur un praticable qui s'approchait de l'objectif). Il est certain que la préoccupation de la profondeur de champ est corrélative du dispositif théâtral supposant un point de vue frontal fixe. Il n'empêche qu'après la présentation au vicomte des deux masques, l'arrière-plan devient un plan à part entière où un comédien déguisé en coq fait mine de poursuivre une partenaire poule par allusion burlesque à la situation.
   Un pas en avant essentiel est franchi cependant avec la conscience du hors champ qui est au cinéma inséparable du champ. Ainsi, est filmique non un plan d'ensemble incluant le taxi et le personnage qui l'attend, mais le fait, comme ici, que le taxi étant hélé
hors champ on reste focalisé sur l'acteur. Ce qui est également le cas dans le plan séquence où, la caméra accompagnant les personnages, le décor défile jusqu'à devenir l'équivalent d'un changement de plan.
   Un autre progrès filmique relève du montage combiné avec le cadrage. Lorsque Edith ramasse l'album de Gussy chez le vicomte, la caméra serre sur le geste, de sorte que l'essentiel du corps et surtout le visage sont rejetés hors champ. Cependant le corps ainsi en amorce commence à se redresser et sa tête surgit par le bord inférieur du plan suivant qui se termine en rapproché taille. Suit un plan serré de la photographie de Gussie sur l'album ouvert dans sa
main.
   Ce qui n'empêche les archaïsmes : le saut dans le vide des domestiques poursuivant la jeune femme est monté en trois plans au prix d'une suspension du temps, telle qu'elle se pratiquait alors, comme s'il s'agissait d'une bande-dessinée : en intérieur le palefrenier saute par la baie fixe qu'il vient de briser. Dans le plan suivant l'autre domestique va vérifier par l'ouverture si tout s'est bien passé. Le troisième cadrant la façade en extérieur reprend jusqu'à l'atterrissage le
saut vertical depuis le premier étage.
   Comme quoi l'économie de l'ellipse est nécessaire au cinéma, dont le langage mit un certain temps à se trouver un début de maturité. 21/11/04
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