CINÉMATOGRAPHE 

ÉCRITURE

sommaire contact auteur titre année nationalité




Masaki KOBAYASHI
liste auteurs

Kwaïdan Jap. VO couleur 1965 180' ; R. M. Kobayashi ; Sc. Yoko Mizuki d'apr. les contes de Yakumo Koizumi ; Ph. Yoshio Miyajima ; Déc. Shigeaki Toda ; M. Toru Takemitsu ; Pr. Shigeru Wakatsuki/Bungei Pro & Kurabu Ninjin ; Int. Michiyo Aratama, Misako Watanabe, Rentaro Mikuni, Kenjiro Ishiyam, Ranko Akagi (Les Cheveux noirs) ; Tatsuya Nakadai, Keiko Kishi, Yuko Mochizuki, Kin Sugai (La Femme des neiges) ; Katsuo Nakamura, Tetsuro Tanba, Takashi Shimura, Yoichi Hayashi, Kunie Tanaka, Kazuo Kitamura, Shizue Natsukawa, Akira Tani (Hoïchi sans oreilles) ; Haruko Sugimura, Ganjiro Nakamura, Keï Sato, Akiko Naraoka (Dans un bol de thé). 

 Quatre contes fantastiques.

   
1) Les Cheveux noirs. Un samouraï ruiné quitte son épouse pour une riche héritière bientôt répudiée. N'ayant pu oublier la première, il la retrouve après quelques années pour une nuit au logis marital inchangé. Au réveil il découvre au milieu de ruines un cadavre décharné enveloppé de l'opulente chevelure qui faisait son admiration. L'homme se transforme lui-même en un vieillard cadavérique se débattant avec la chevelure.
   2)
La Femme des neiges. Deux bûcherons épuisés par la neige et le froid se réfugient dans une cabane de passeur. Grâce à sa beauté, le jeune Minokichi est épargné par la femme des neiges qui vient de tuer le vieux sous ses yeux. Elle lui fait promettre de ne rien révéler à quiconque de ce qu'il a vu, sous peine de mort. Un an plus tard chez sa mère, la santé recouvrée, le jeune bûcheron offre l'hospitalité à une belle orpheline rencontrée dans la forêt. Elle devient sa parfaite épouse et la mère de ses enfants. Après dix ans, frappé lors d'une veillée d'hiver par une étrange association, il fait à sa femme le récit interdit. Elle se révèle être cette femme des neiges qui, ne lui laissant la vie sauve qu'à cause des enfants, s'évanouit dans le décor neigeux.
   3)
Hoïchi sans oreilles. Accompagné de son luth, Hoïchi, novice aveugle, conte merveilleusement l'épopée médiévale des Héiké, décimés à la bataille navale de Da-nu-ura. Il s'éclipse tous les soirs, conduit par un mystérieux guerrier en armures pour se produire en secret devant une cour prestigieuse. Le bonze le fait suivre et le découvre au pouvoir du fantôme d'une des victimes de Da-nu-ura. Déclamant dans le cimetière des Héiké, il se croyait, par envoûtement, à la cour défunte devant le jeune empereur sacrifié pendant le combat pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi. Afin d'éloigner le maléfice, on couvre le corps de l'aveugle de caractères sacrés du Soutra en exceptant par négligence les oreilles. Ce qui le rend invisible au fantôme, sauf ces dernières, qui lui seront du coup arrachées. Le lien avec l'au-delà est rompu et "Hoïchi sans oreilles" qui, pour la paix de l'âme des morts tragiques, consent à exercer son art devant les dignitaires, enrichit le monastère.
   4)
Dans un bol de thé. Le narrateur s'interroge off sur les contes inachevés. Il prend l'exemple de l'un d'eux situé à l'ère Tenwa et imaginé par un écrivain de l'ère Meiji. Pour le nouvel an, un seigneur se rend à Edo au temple Hongo avec sa suite, dont le Samouraï Kanaï. Un visage sarcastique est apparu à celui-ci au fond d'un bol de thé. Il a eu beau vider le bol puis le briser, à chaque nouveau remplissage, l'apparition se produit. Il finit par en avaler le contenu. Mais étant de garde le soir c'est l'homme entier qui surgit de l'ombre et se présente : "je suis Shikibu Heinai, enfin je vous rencontre !" Kanaï tente de le sabrer mais il s'évanouit pour réapparaître plus loin. Finalement touché, il disparaît dans le mur. Kanaï donne l'alerte. On cherche partout sans succès, ce qui attire les quolibets. En pleine nuit il est réclamé par trois visiteurs qui se présentent comme les vassaux de Shikibu Heinai, annonçant que leur maître viendra se venger dès sa blessure remise. Kanaï dégaine et, avec un rire dément, pourfend en vain des ombres.
   La voix
off nous ramène à l'auteur du conte inachevé. Son éditeur vient le visiter. Il est introuvable et pourtant n'est pas sorti. La voix propose une fin qui explique la suspension du manuscrit : "ce qui peut arriver quand on avale une âme". Et l'on découvre avec horreur le reflet de l'écrivain faisant des signes muets au fond d'une jatte de terre.

   On peut être charmé par les qualités à maints égards remarquables de ce métrage original : les audaces du décor peint, l'inspiration graphique de la composition de l'image, la lenteur des mouvements d'appareil parfaitement accordés à cette épure, l'utilisation d'estampes historiques dans le récit de Hoïchi, la sonorisation instrumentale stylisée du grand Takemitsu (toujours rappeler
La Femme des sables), n'excluant pas la dramatisation par des plages de silence ; remarquable montage enfin qui est sans doute la seule véritable performance artistique du film.
   Car péchant par la surabondance d'effets plastiques il s'égare dans une laborieuse signalétique de l'inquiétude fantastique, renonçant par un maladroit surréalisme pictural à l'ancrage naturaliste nécessaire au genre. Le véritable fantastique est en effet l'intrusion du surnaturel dans le naturel. Plus c'est étrange plus ce doit être crédible.
   Ici au contraire nous avons affaire à une surnaturalisation massive, visuelle et sonore, de la nature. Le spectateur est donc toujours-déjà immunisé contre le nécessaire caractère indécidable de la démarcation entre l'ici-bas et l'au-delà. Qui plus est par des détournements de support cassant l'économie filmique.
   Le cinéma c'est, fondamentalement, ce qui peut faire d'une citrouille un carrosse sans rien changer à la citrouille. Maquiller la citrouille c'est se tromper de langage ! Le pouvoir de l'image filmique en son essence est tel que la difficulté est de ne pas l'inhiber par des rajouts accessoires. C'est donc par la sobriété que l'on atteint à l'émotion.
   Or, ici encore, une caméra omniprésente dans la promenade surexplicative, l'abus des plongées ou du cadrage penché se substitue à l'invisible jeu des rapports propre à enrichir en sous-main l'image-son sur la base de ses propriétés irréductibles. On le voit bien dès que le montage remplace cette description visuelle consubstantielle à l'action, et lourde d'autant, qu'est l'action ostensible de la caméra.
   On reconnaît le cinéma, comme art s'entend, à cette incommensurabilité entre la filmicité et le contenu narratif comme représentation, supposant une transformation radicale, "alchimique" du scénario. Car le plus inquiétant n'émane pas de cet éclairage et de ce filtre bleuté mais de la façon dont est cadrée la femme des neiges en vue d'un montage qui fait éclater l'unité cognitive en faveur d'une combinaison d'écriture. À savoir qu'accroupie, se dressant en plan rapproché, elle disparaît haut-cadre de la tête qui surgit bas-cadre au plan
suivant, étrangement plus large que le précédent.
   De même que la savante et délicieuse sonorisation de Takemitsu n'atteindra jamais à la valeur émotionnelle des sons
nécessaires, comme, dans le même conte, ces battements des lavandières rythmant ironiquement leurs compliments à l'égard d'une femme trop parfaite pour être honnête.
   Bresson : "On ne crée pas en ajoutant, mais en retranchant". 15/08/06
Retour titres