King Kong USA VF N&B 1933 100' ; R. E. B. Shoedsack et Merian Cooper ; Sc. James Creelman, Ruth Rose, d'après Edgar Wallace, sur une idée de M. Cooper ; Ph. Edward Linden, Verne Walker et J.O. Taylor ; Eff. Spéc. Willis O'Brien ; M. Max Steiner ; Pr. Cooper/Schoedsack/Selznick/RKO ; Int. Fay Wray (Ann Darow, l'actrice), Robert Armstrong (Carl Denham, le cinéaste), Bruce Cabot (John Driscoll, le soupirant de Ann), Frank Reicher (le capitaine Englehorn).
Le cinéaste Carl Denham va tourner dans une île inconnue au large de Sumatra sur laquelle régnerait un dieu vivant honoré par les indigènes. Une idylle se noue entre la vedette Ann Darow et le capitaine en second, John Driscoll. Ils aborde à l'île dont la partie habitée est séparée de l'essentiel des terres par une gigantesque muraille remontant à la nuit des temps. Les autochtones offrent au dieu Kong des jeunes filles en sacrifice. C'est pourquoi Ann Darow est enlevée puis attachée entre deux totems plantés de l'autre côté de l'enceinte dans l'axe de la porte cyclopéenne aussitôt refermée.
Kong, un gorille géant, vient prendre possession de l'offrande qu'il détache délicatement et emporte au creux de sa main. Conduit par Denham et Driscoll, l'équipage se lance sur les énormes traces. Ils affrontent une faune antédiluvienne qui décime leurs rangs. De son côté, Kong défend sa jolie proie terrorisée contre trois attaques successives de reptiles géants. Il l'effeuille avec douceur lambeau par lambeau, la chatouille et se renifle les doigts. Évanouie et à moitié nue, elle semble se pâmer. Tirant profit de ce que l'anthropoïde cyclopéen est occupé par la troisième attaque, John vient au secours de sa fiancée. Ils parviennent à franchir la porte. Mais Kong sur leurs talons la défonce et massacre les indigènes jusqu'à ce que Kenham projette une bombe anesthésiante. On le capture endormi avec l'intention de faire découvrir la "huitième merveille du monde" au public new-yorkais.
Au retour, King Kong est présenté enchaîné sur scène. Mais les flashes des photographes le mettent en fureur. Il brise ses chaînes puis enlève sa belle qu'il emporte au sommet de l'Empire State Building. Une escadrille de l'armée de l'air entreprend de l'éliminer. King Kong pose sa fragile prisonnière en sûreté et fait front. Abattu il va s'écraser sur le trottoir. "La Belle a tué la Bête ".
Pourquoi cette fraîcheur encore après soixante-dix ans ? Le mythe, l'érotisme, l'aventure, la réalisation qui les unifie peuvent constituer une explication. Le thème mythique de la Belle et la Bête trouve ici une forme originale en s'enracinant dans le mythe des origines que complète celui du paradis terrestre souligné par le physique doux de la star. Cet îlot préservé du temps témoigne d'une démesure correspondant au fantasme fondateur. N'était-il pas dit déjà dans L'Iliade que les hommes d'autrefois étaient dix fois plus forts ? La paléontologie populaire y prête main-forte.
L'érotisme de la Belle et de la Bête se joue sur le contraste entre animalité superlative et frêle féminité. L'enjeu sexuel tout à la fois disproportionné et contre-nature contraste lui-même avec la bienséance des relations entre la star et l'officier de marine, qui en est l'amorce et le faire-valoir. Driscoll, le soupirant respectueux, forme avec Denham un couple intrépide probablement inspiré des réalisateurs mêmes, tous deux capitaines et aventuriers. Le style particulièrement résolu des décisions prises où l'on risque sa peau est inhabituel. Il s'inscrit dans la conception globale d'une humanité où les hommes ont les traits énergiques et le regard direct de Robert Armstrong et Bruce Cabot.
S'il y a art c'est par la cohérence d'un univers auquel la réalisation s'efforce à chaque pas de satisfaire. Mais il y a aussi savoir-faire dans l'imaginaire de la disproportion nécessaire au même univers. Le long voyage en bateau préfigure par la distance parcourue le degré du risque encouru. Plus l'attente est longue plus fort le mystère et plus étonnantes ses manifestations. Denham sait parfaitement à quoi s'en tenir en faisant durant le voyage, une prise photographique de sa vedette simulant la découverte de quelque chose de terrible la surplombant. On comprend alors qu'il a censuré des informations inavouables. Le même cadrage avec le vrai Kong laisse en outre supposer la préméditation : l'actrice est offerte en holocauste au dieu vivant pour les besoins du film. On remarquera que dans le simulacre anticipateur, les parements de sa robe combinés avec un filin tendu à l'arrière-plan figurent déjà les liens du sacrifice. Ce qui confère un intérêt accru à l'action comme métaphore de la réalité de la production cinématographique, pour laquelle l'individu compte moins que le chiffre d'affaires.
Enfin, les plans vertigineux et le jeu des variations de grosseur sur Kong, de plus confrontés avec le monde lilliputien qui est le nôtre, s'adresse à nos frayeurs infantiles. En plan d'ensemble franchissant la porte cyclopéenne, en plan moyen maniant un gros joujou de métro ou saisissant l'avion au vol telle une vulgaire maquette ou encore péchant la belle dans sa chambrette de poupée. Un effet habile surprend le spectateur à présenter vide, sans repère d'échelle, la scène où doit se produire le spectacle, avant que n'apparaisse Denham, minuscule et latéralisé par le cadrage.
Néanmoins le gigantisme s'efface au dénouement par un plan très lointain, dans lequel la petite silhouette en chute libre le long de l'imposant Empire State Building rend pathétique la mort de King Kong. C'est l'homme qui fait alors figure de géant malfaisant. Ce qui était dès le départ inscrit dans le geste autoritaire de la main velue de Denham pointée sur la petite île en effigie, se confirme de façon plaisante par l'humanité des expressions du visage en gros plans de Kong et son sens aigu de la féminité humaine. Ambivalence en accord avec l'immolation suggérée de la star aux intérêts de la production et qui introduit un certain jeu dans le système des images, c'est-à-dire une souplesse sensibilisant le détail à l'ensemble.
Par conséquent, la rigueur de conception unifiant des données diverses, voire hétérogènes, potentialise le détail qui, n'étant pas saisi uniquement pour soi, ne s'épuise pas. À ne pas confondre avec l'alchimie du signifiant reposant sur un désancrage dont l'effet est beaucoup plus puissant. La différence est de l'ordre du degré de liberté pris avec l'ordre thématique, liberté propre à l'art (1). Obnubilé, du reste, par le Golem de Wegener et Boese, King Kong n'a pas cette liberté. Témoin, le recours à un commentaire musical aussi criard que pléonastique. 1/05/03 Retour titres